A sa sortie de prison, Leo Handler revient chez lui avec un seul but : rester dans le droit chemin. Il trouve du travail chez son oncle Franck, patron de l’Electric Rail Corporation, qui règne sur le metro dans le Queens. Son ami de toujours, Willie, l’initie aux méthodes de la société. Leo decouvre la face cachée des florissantes opérations de son oncle. Témoin de chantage, corruption, sabotage et même meurtre, il est au centre d’une situation explosive : il détient un secret qui fait de lui la cible de la plus impitoyable famille de la ville… La sienne.
L’avis de Fabien
Diplômé de l’école de cinéma de l’Université de Californie du Sud James Gray a réalisé Litte Odessa, son premier long métrage, à l’âge de 24 ans. Pour ce coup d’essai-coup de maître cette splendide tragédie grecque a obtenu le Lion d’argent et la coupe Volpi du meilleur second rôle féminin pour Vanessa Redgrave au Festival de Venise 1994 ainsi que le Prix de la Critique du Festival de Deauville. Pour James Gray qui s’est beaucoup demandé sur le milieu de la mafia russe dont le personnage principal interprété magistralement par Tim Roth est issu « le film est l’histoire d’une personne qui cherche à revenir dans le droit chemin mais bien sûr sa tragédie c’est qu’il ne peut y arriver parce qu’il est allé trop loin ».
Six ans plus tard Gray met en scène dans The Yards une chronique familiale où le personnage principal est en quête de rédemption pour devenir « socialement productif ». On y retrouve cette extrême noirceur dans l’étude des rapports familiaux nonobstant une fin moins désespérée que celle le Little Odessa.
Dès les cinq premières minutes Gray installe un climat oppressant avec la présence du contrôleur judiciaire à la fête d’accueil du personnage de Mark Walhberg, fraichement sorti de prison. Surveillé, Léo sait que le moindre écart de conduite signifie le retour à la case prison. Mais très vite il est pris dans un engrenage fatal : un sabotage de voies ferrées perpétré par la bande de Willie, petit ami de sa cousine et nouvel employeur véreux, tourne au meurtre; Léo est accusé à tort. La fatalité impose son programme cruel; le cycle du malheur se perpétue. Trahi par son ami Willie et son oncle, Léo est redevenu un paria, contraint de fuir sa famille retrouvée notamment sa mère et sa cousine bien aimées.
Comme dans Little Odessa la famille est une structure bancale, la mère malade, le père absent.
Dans ce premier film, le père était une crapule fini (inoubliable scène d’humiliation du père par le fils obligeant son violent géniteur à se dévétir sous la menace d’une arme dans un paysage hivernal), ici c’est l’oncle, joué par James Caan, le traître. Seule la mère, avec la cousine incarnée par la troublante Charlize Théron, est source de réconfort. Gravement malade, accablée par le chagrin et l’inquiétude, la mère (émouvante Ellen Burstyn), comme dans son premier film, détermine le retour, au mépris du danger, du héros dans sa famille, une cellule gangrenée par l’argent (oncle/meilleur ami), la maladie (mère), la jalousie (le personnage de Phoénix apprend que les cousins auraient été ensemble à l’âge de quinze ans), le mensonge (opposition de la droiture incarnée par Walbherg à la tromperie personnifiée par Caan et Phoénix).
Le thème de la trahison paternelle, des rapports familiaux complexes et violents renvoie à la tragédie grecque dont The Yards se réclame au même titre qu’au film noir. Le personnage principal, pris dans un étau, lutte pour sa survie au sein d’un milieu pourri et corrompu.
Adoptant une structure opératique (Gray est un grand fan du Parrain de Coppola) le film voit la tension monter crescendo, dans une progression dramatique anti-spectaculaire (un seul coup de feu est tiré) mais intense, explosant dans le dernier quart d’heure avec un montage parallèle unissant tous les personnage dans le malheur. The Yards n’a pas l’aspect baroque, démesuré du Parrain mais affiche une prédilection pour les murmures, un jeu retenu, une réalisation soyeuse.
La photographie, chaude et constitué de clair-obscur dramatiques, est inspiré de Le Carravage et de Georges de la Tour, auteur de peintures ténébreuses où les personnages semblent émerger de l’ombre sans crier gare (voir ce plan superbe où Walhberg, traqué, émerge soudain de la nuit à la rencontre de Charlize Théron).
A l’image de Little Odessa l’interprétation est de tout premier ordre. Les bouleversants tête-à-tête mère-fils, la confrontation fiévreuse entre Walhberg et Phoénix, amis devenus rivaux, la tension progressive dans le couple passionnel Phoénix/Théron confirme le grand talent de directeur d’acteur de Gray.
Avec un grand sens de la dramaturgie et une réalisation empreinte de classicisme, James Gray bâtit avec The Yards, six ans après Little Odessa, sidérant de maîtrise pour un premier film, un drame crépusculaire intense et splendide.
The Yards est disponible depuis le 20/08/2010 en blu-ray chez Bac films dans une édition malheureusement vierge en bonus.