Sibyl est une romancière reconvertie en psychanalyste. Rattrapée par le désir d’écrire, elle décide de quitter la plupart de ses patients. Alors qu’elle cherche l’inspiration, Margot, une jeune actrice en détresse, la supplie de la recevoir. En plein tournage, elle est enceinte de l’acteur principal… qui est en couple avec la réalisatrice du film. Tandis qu’elle lui expose son dilemme passionnel, Sibyl, fascinée, l’enregistre secrètement.
Le film est présenté en compétition au Festival de Cannes 2019
L’avis de Quentin :
Après s’être faite remarquée durant la semaine de la critique 2016 avec Victoria, Justine Triet est de retour sur la Croisette, avec cette fois ci une oeuvre propulsée en compétition officielle. La réalisatrice française présente cette année Sibyl. Après avoir analysée et posée de nombreuses questions sur le métier d’avocat, de manière interne et externe à la profession, avec une approche judicieuse dans Victoria, la cinéaste revient ici sur la difficulté d’une psychologue à se reconvertir en romancière. Une analyse qui semble très personnelle, de la part de Justine Triet. Parviendra-t-elle à transformer l’essai marqué par sa première réalisation et s’imposer comme une grande metteuse en scène du cinéma français ?
La réponse ne se fait pas attendre, le film nous propulse de manière directe dans ses problématiques, névroses. En effet, la réalisatrice joue sur les difficultés à distendre son métier et sa vie privée, dans l’hypothèse où notre métier s’est emparé de nous, devenant un pan de notre être. Effectivement, le personnage principal, veut quitter son métier pour devenir romancière et se trouve confrontée à une dernière patiente la libérant de sa névrotique page blanche. La psychanalyse va alors totalement dévier, conduisant notre héroïne dans une confusion totale entre son métier, sa personne et sa patiente. L’oeuvre propose de suivre une reconstruction identificatoire de l’héroïne, préférant usurper, devenir l’autre au lieu de se constituer en tant qu’individu singulier.
Triet met en parallèle le rapport aux hommes que l’héroïne a connu par son passé et l’homme, manipulateur, que connaît sa patiente. La comparaison est menée de manière exaltante et nous enferme également dans les recoins les plus sombres de la personnalité de l’actrice principale. Le film révèle un portrait de femme tenant ses vices, ses déviances à bout de bras pour ne pas choquer, heurter et faire exploser une vie familiale durement conçue.
La cinéaste a su s’entourer d’un casting redoutable d’efficacité, qu cela soit Adèle Exarchopoulos, Gaspard Ulliel, Laure Calamy ou bien Sandra Hüller, le complexe jeu pervers proposé par l’oeuvre est superbement retranscrit par les acteurs. Cependant, il ne faut pas oublier la vedette de cette réalisation : Virginie Efira. L’actrice française y est stupéfiante dans son rapport ambiguë qu’elle entretient avec Adèle Exarchopoulos, excellant également dans son rôle. Depuis sa présence dans Elle de Paul Verhoeven, la comédienne a orienté sa carrière vers le sommet des interprètes français. Elle propose dans Sibyl, une femme aux multiples facettes, séduisante, fascinante et indépendante de toute autorité masculine.
C’est d’ailleurs sur ce point que l’oeuvre est à féliciter. Sibyl est une oeuvre émancipatrice pour les femmes. L’héroïne n’est pas présentée comme un modèle de féminité construit pour plaire aux hommes mais plutôt comme un modèle humain saisissant, un portrait d’individu, c’est ce vers quoi le cinéma se doit de tendre. Au revoir, maquillage, soutien-gorge, mère dévouée à ses enfants et autres artifices pour convenir aux représentations mentales de la femme pour les hommes.
Sur le plan technique, le long-métrage a sa propre personnalité, se trouvant dans les détails et les manières de cadrer de la réalisatrice. Une caméra qui sait nous montrer le plus important. La proposition de Justine Triet s’emporte parfois même à jouer sur la matière, les textures, lors d’une escapade à proximité de Stromboli. On retiendra particulièrement l’échappée nocturne, suffocante, angoissante et excitante , de Virginie Efira, sur la roche volcanique.
Sibyl est une réussite qui propulse Justine Triet et Virginie Efira au rang des figures indispensables du cinéma hexagonal. Un thriller initiatique obsédant parvenant à envelopper toutes les problématiques du cinéma moderne de la condition de la femme, à la condition d’artiste. Une franche réussite.