Après maintes victoires chevaleresques, Jeanne est capturée par le camp adverse puis vendue aux Anglais. Elle est gardée prisonnière au château de Rouen avant de comparaître pour sorcellerie.
L’avis de Quentin :
Potemkine, éditeur français incontournable, livre un début d’année important autant sur sa distribution cinéma avec la remasterisation 4K de Requiem Pour Un Massacre que sur son édition au format DVD/Blu-ray avec The House That Jack Built, ou encore la proposition d’un nouveau master dans la collection Robert Bresson : Procès de Jeanne D’arc. Nous nous intéresserons dans ces lignes à l’oeuvre singulière qu’est Procès de Jeanne D’Arc.
L’article se divisera en 2 parties :
I) La critique de Procès de Jeanne D’Arc
II) Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-ray
I) La critique de Procès de Jeanne D’Arc
Procès de Jeanne D’arc occupe une place particulière dans le cinéma de Robert Bresson. Il est tout d’abord son oeuvre la plus courte, frôlant la catégorie des moyens-métrages du haut de ses une heure et quatre minutes. Procès de Jeanne D’Arc est une proposition affirmant la manière de travailler ainsi que de penser l’art par le cinéaste français.
Bresson relève le pari d’adapter un des plus beaux textes de la langue française en réutilisant mot pour mot les lignes du procès de condamnation de Jeanne D’Arc. La contrainte choisie par le réalisateur d’utiliser le texte de 1431 se révèle tout simplement prodigieuse. Un travail d’orfèvre a ainsi été mis en chantier pour parvenir à retranscrire une époque, une ambiance qui de nos jours nous échappe.
Le texte, noyau du film, permet au metteur en scène de totalement se laisser à traiter des sujets qui lui tiennent à cœur. Tout d’abord, l’oeuvre met un point d’orgue à la représentation du divin, à la transcendance de l’âme ainsi qu’au caractère temporaire de l’enveloppe charnelle. Il parvient de cette manière à accéder à un registre cinématographique rare, le domaine du divin. On aborde une perception du monde qui se veut à la fois supérieure, divine mais également parfaitement ancrée dans le réel, dans la pierre, raccroché au sol. Le cinéaste ne cessera d’ailleurs de prendre sous l’angle de sa caméra, les pieds des protagonistes, rappelant que l’enveloppe corporelle n’est que geôle arrimée au monde terrestre et que l’âme est l’image de notre potentiel à parvenir à se transcender, à atteindre le divin.
Le long-métrage aborde les grandes réflexions que le réalisateur travaillera tout au long de sa carrière. On y retrouve la religion, le travail sur la condition de l’être humain, le monde sensible ainsi que la transcendance face au spirituel. Il aborde la dichotomie religieuse entre l’institution cléricale et la croyance en Dieu. Le cinéaste parvient à tourner son propos de manière à apporter au texte d’origine, un accent prêtant parfois à sourire. Florence Delay y est tout bonnement splendide et sait de manière discrète mais cependant radicale jouer avec les mécanismes judiciaires de l’église catholique.
Ici, Bresson nous présente une Jeanne D’Arc, qui ne cesse de défendre la parole de Dieu face à une assemblée cléricale ayant perdu tout émerveillement face à la présence du divin. Un jury ecclésiastique perverti par la quête du statut social. Il peint la désillusion de l’être humain face au surnaturel. On compare assez rapidement le personnage principal au Christ, qui malgré ses dires, ne fut pas un instant écouté, pour être au final exécuté en martyrs. L’histoire de Jeanne D’Arc, est le récit de l’éternel recommencement, le conte d’une civilisation n’apprenant pas de ses erreurs.
Procès de Jeanne D’Arc actualise son propos en jouant sur l’axe de la collaboration. Il invite son récit sur les événements qui ont eu lieu dans la France occupée de la seconde Guerre Mondiale où les institutions françaises répondaient directement aux ordres et commandes émanant de l’état allemand. On assiste alors ici à un procès joué d’office avec des séances tenues par un prêtre français répondant aux missives de la royauté anglicane. Une manière de montrer l’autorité dont fait preuve le roi d’Angleterre à Rouen, en terres françaises.
Bresson affirme avec cette oeuvre sa réputation de cinéaste de la transcendance. Il asseoit de nouveau son rôle d’artiste du cinématographe. Il ne s’inspire ni du théâtre, ni de la littérature pour mettre en scène son histoire. Il préfère plutôt, comme il le démontre au travers de tous ses films, concevoir des œuvres répondant uniquement aux critères cinématographiques et s’inscrivant uniquement sur le savoir faire du 7° art. Il n’a pas la volonté de représenter des arts existants, il veut créer, apporter de nouvelles manière de penser l’art, de penser le cinéma. Procès De Jeanne D’Arc parvient de cette manière à devenir une oeuvre émouvante à la limite de l’expérience sensorielle. Bresson se sert du cadre de la caméra pour continuellement symboliser, magnifier la tragédie. La scène de mise à mort de Jeanne D’Arc en devient l’interprétation la plus intimiste et proche du divin que le cinéma a su nous donner à voir. Un travail pictural majeur nous est offert par le maître français.
Procès de Jeanne D’Arc est en cela une oeuvre de référence, un film à part. Il détient en lui l’essence même du cinéma tout entier. Un film d’une intensité et d’une sensibilité rare. L’oeuvre la plus intime de Bresson, le plus grand travail de sa filmographie, pourtant riche, une des plus majestueuses expériences que le cinéma a aujourd’hui à nous conter. En un mot : sublime.
II) Les caractéristiques techniques de l’édition blu-ray
Image :
Potemkine films propose pour cette sortie événement un tout nouveau master 4K offrant à l’oeuvre de Bresson le plus beau des hommages. L’image est tout juste merveilleuse, exempte de toutes traces ou griffures. Le piqué et les contrastes relèvent d’un travail d’orfèvre. C’est tout bonnement extraordinaire. Une des plus belles propositions que l’on puisse se procurer pour un long-métrage fêtant bientôt son soixantième anniversaire. Remarquable.
Pour se rendre compte du travail effectué par l’éditeur parisien, l’édition blu-ray nous propose un comparatif entre deux scans.
Note image : 5/5
Son :
La copie sonore proposée excelle de par sa simplicité. Bresson a eu la brillante idée de ne mettre aucun arrangement musicaux hormis les roulements de tambours en début et fin de film. Cette décision laisse alors le champ libre aux pistes vocales ainsi qu’à la création d’un spectre sonore reposant uniquement sur les mouvements des protagonistes : bruits de pas, coup de marteau, portes qui se ferment, feu qui crépite.
La piste DTS HD master Audio Dual mono remplit alors à merveille son rôle et nous plonge au cœur du texte originel, au cœur du film, ou tout simplement au coeur du travail de Bresson. Encore une grande réussite !
Note Son : 5/5
Suppléments :
Enfin Potemkine assoit une fois de plus sa position d’éditeur luxueux en nous proposant pas moins de quatre entretiens de très grande qualité. Chacun observe d’un angle différent le film de Bresson. Une fois que vous aurez visionné ces quatre suppléments, Procès de Jeanne D’Arc n’aura plus aucun secret pour vous.
Les entretiens proposés par l’éditeur français sont :
- Un entretien avec Robert Bresson par Mario Beunat datant de 1962 : ce court entretien est capital, il nous donne l’occasion de connaître l’avis du cinéaste sur son oeuvre. Un supplément relativement court qui permet cependant de cerner le travail du cinéaste et ce qu’il a voulu accomplir au travers de cette oeuvre. Les mots de Bresson sont justes et pertinents.
- Un entretien avec Florence Delay : l’actrice sous les traits de Jeanne D’Arc, revient sur son rôle et sa rencontre avec Robert Bresson. Un moment émouvant mettant en lumière les coulisses du cinéma de Bressonien . Le supplément permet également de mettre en lumière la relation qu’entretenait Bresson avec le choix de ses acteurs, et la manière de les diriger. Florence Delay fait preuve d’une grande lucidité et sympathie envers le travail du cinéaste français. Une interview humble et touchante.
- Un entretien avec Hervé Dumont, historien du cinéma, ancien directeur de la Cinémathèque Suisse : il s’agit d’un entretien essentiel pour toutes personnes ayant besoin de redécouvrir l’histoire de Jeanne D’Arc, de son parcours, de son procès ainsi que les siècles d’histoire qu’elle a traversé. Hervé Dumont prend remarquablement soin de nous narrer cette histoire qui nous permettra une fois de plus de se replonger dans l’oeuvre de Bresson avec un oeil nouveau. Un entretien pertinent, intéressant et primordial pour faire de l’édition de Potemkine une vraie référence en la matière.
- Un entretien avec Olivier Assayas, réalisateur : le réalisateur Olivier Assayas revient sur Procès de Jeanne D’Arc et nous explique l’importance que ce dernier a eu dans sa cinéphilie. Une véritable déclaration d’amour envers Robert Bresson. Quel plaisir de découvrir la manière dont un des plus grands réalisateurs français actuel a perçu cette oeuvre à son premier visionnage ainsi que tout au long de sa carrière.
- Enfin, Potemkine propose deux minutes pour comparer l’état du film avant et après sa restauration. Un devoir de mémoire utile pour se rendre de tout le travail réalisé par l’éditeur français pour proposer la plus belle sortie blu-ray de ce début d’année.
Et comme nous aimons chipoter chez Cinealliance.fr, nous aurions rêvé avoir quelques mots de Bruno Dumont sur le film en tant que cinéaste héritier du cinéma de Bresson, et nouveau réalisateur des aventures de Jeanne D’arc avec Jeannette : L’Enfance De Jeanne D’Arc et prochainement Jeanne. Mais ne boudons pas notre plaisir, nous sommes déjà si gâtés.
Note suppléments : 5/5
L’édition Potemkine de Procès de Jeanne D’Arc est un véritable coup de maître. L’éditeur parisien a réussi à exceller dans tous les domaines qu’il s’agisse de la restauration des images jusqu’aux pistes sons proposées. La plus belle sortie blu-ray de ce début d’année si ce n’est la plus belle de l’année. Bravo !