David et Lance travaillent ensemble sur les marquages d’une route endommagée. Tandis que l’un se languit de sa fiancée, l’autre ne pense qu’à la fête. Ensemble ils vont passer du temps à parler d’amour et de sexe, et font la rencontre des habitants de la région à l’histoire parfois tragique.
L’avis de Quentin :
Prince of Texas est un film de David Gordon Green sorti en 2013. Le réalisateur s’est fait un nom au cours d’une carrière toute en émotion en partant de l’amusant Délire Express, mais aussi par le dramatique Joe avec Nicolas Cage en 2014. Son nom scintillera, également une fois de plus, dans nos salles obscures, l’an prochain avec le nouveau chapitre de la licence horrifique Halloween.
Nous revenons ainsi sur Prince of Texas, grâce à Outbuster, qui a été un tournant décisif dans la carrière du réalisateur. Ce dernier ayant reçu le prestigieux ours d’argent de Berlin pour ce film.
Le long métrage nous situe en pleine forêt texane ayant été dévorée par les flammes, véritable désert humain, où nous suivrons le parcours de Lance (Emile Hirsch) et Alvin (Paul Rudd), deux employés d’une grande entreprise ayant pour fond de commerce la signalisation des routes.
Nous parcourrons à leurs côtés les nombreux kilomètres de routes vierges qu’ils devront imprégner de leur peinture jaune afin de délimiter les voies. C’est de ce point de vue que le film pose son climat. Un climat dichotomique, bipolaire.
La segmentation bipartite de cette étendue d’asphalte n’est pas anodine et nous renverra tout le long du film entre deux mondes : le calme de la ruralité et la frénésie de la cité.
Gordon Green nous propose alors l’axe suivant : comment deux hommes peuvent gérer la schizophrénie de ces deux sphères géographiques, les allers et retours entre les deux mondes ? Sous ce prisme d’attaque, le réalisateur dégagera de nombreuses thématiques telles que la famille, l’amour, la sexualité, le rapport promiscuité/solitude, ou encore bien la notion de temps.
On pourrait donc se demander si le pari judicieux mais aussi abyssal de son réalisateur, parviendra à être assez percutant et incisif à la vue de la multiplicité des thèmes empruntés.
C’est là que Gordon Green joue justement sa carte forte : celle d’un casting réduit mais envoûtant et essentiel.
L’ensemble des thèmes seront ainsi explorés, discutés, vécus par les protagonistes de manière habile et particulièrement intelligente.
Les deux personnages principaux sont opposés l’un à l’autre en tout point.
Le premier Alvin, quinquagénaire, cherche sa rédemption dans ce travail éloigné de tout signe de vie. Il veut y développer une philosophie de vie. Un moyen de méditer sur l’enfer quotidien qu’est la ville pour ce dernier. Quitte à y laisser sa famille et y retourner de façon épisodique.
Le second, quant à lui, Alvin, la vingtaine, cherche à tout prix à échapper à la nature qu’il ne parvient pas à saisir, comprendre. Cette dernière l’ennuie réellement, il n’est présent dans cet environnement uniquement car il a besoin d’argent et qu’il se trouve être le beau-frère d’Alvin.
Les deux hommes que tout oppose autant dans leurs visions du monde que de la vie vont devoir cohabiter et s’entraider de manière à accomplir le travail de manière effective.
On assiste à une première partie de film où Alvin tente tant bien que mal de donner à Lance, les moyens, les outils pour se débrouiller à la fois dans son métier mais aussi dans son approche de la vie. Il tente d’avoir l’influence d’un père spirituel, qui néanmoins est dépassé par son temps, par l’époque dans laquelle il vit.
Puis dans un second temps, nous voyons l’ascendance de Lance sur Alvin. Ce dernier allant expliquer alors à Alvin que le monde tel qu’il a pu le connaître n’est plus et que le seul espace, interstice où Alvin pourra se sentir maître de son univers est la nature, car la nature dispose de lois universelles et millénaires contrairement à la ville étant continuellement en mouvement.
Le film prend ainsi toute sa force, toute sa vigueur. Il débat de l’écart générationnel, des avancées d’un monde qui ne parvient plus à avoir d’icônes, de repères, de valeurs stables dans le temps comme dans leur structure. La ville est une ogresse qui ne cesse de changer les règles du jeu. Là où il y a 50 ans les générations parvenaient encore à se comprendre, aujourd’hui, d’une génération à l’autre, le vide est gargantuesque.
Gordon Green parvient ainsi avec malice à pointer le doigt sur cet aspect si implicite de notre société et pourtant si flagrant. Il dépeint une ruralité prenant ses apparats de dernier bastion face à la voracité de la transformation sociétale. Dernier bastion n’étant d’ailleurs plus pris en compte par le gouffre qu’est la ville en la laissant à la discrétion des flammes.
Le film nous adresse ainsi le portrait d’une campagne représentée par le troisième âge.
Durant le voyage que nous propose notre duo, nous serons confrontés à d’autres personnages attestant, encore plus de ce gouffre.
Cette génération du troisième âge qui à travers les flammes a tout perdu : ses souvenirs, ses fiertés, son existence. Cette génération qui ne parvient plus à trouver sa place dans le monde actuel. Cette population qui ne trouve plus de lieu pour vivre et se sentir inclus à la société.
Ce parcours initiatique que nous propose le réalisateur américain a par delà ses personnages bien d’autres forces.
Dans un premier temps, la mise en image est pleine de bon sens, elle est parfaitement adaptée au propos avec la présence de plans relativement lents voir pour la plupart fixes. Ce qui appuie l’ambiance générale du film. Le réalisateur a également su filmer la faune de telle manière qu’il nous susurre le destin de cette campagne. Les travaux ont commencé et ce n’est pas le plan sur le travail acharné des fourmis qui nous dira le contraire.
Dans un second temps, la sonorisation de l’œuvre est parfaitement adaptée à son propos. Très peu nombreuses sont les pistes musicales utilisées dans le métrage et ces dernières sont en totale adéquation avec l’environnement. La mise en son montre aussi quelques tentatives d’intervention et de pénétration de la ville dans le calme de la campagne. Ainsi le poste de Lance crache du rock Fm 80 dès que ce dernier se retrouve seul. Cette musique lui permettant de toujours trouver une jonction vers la ville , cette dernière qui lui manque tant. Cependant, tous les protagonistes croisant le chemin de Lance avec son poste allumé feront en sorte que ce dernier s’éteigne immédiatement.
C’est d’ailleurs sur ce point que le film gagne en hauteur. Il la gagne par le contraste mis en exergue entre humour et fatalité. Car malgré le propos fataliste et grave que peut délivrer le film, il n’est en aucun cas et en aucune direction pessimiste.
C’est sur cette finesse que Gordon Green parvient à se différencier et donne de l’ampleur à son film.
Il propose une œuvre consciente de son époque, consciente de ses enjeux. Dans laquelle chacun de ses personnages veut trouver sa propre place, sa propre vocation à être accepté.
Prince of Texas en devient un véritable appel à rechercher en soit l’être qui sommeille et de l’exposer à la face du monde dans un élan de positivisme rare et qui en soit en sera libérateur.
Pour conclure, Prince of Texas est un parcours initiatique d’une élégance certaine, qui parvient à travers son avancée à peindre un monde individualiste, rude, en proie à la destruction mais qui cependant laisse une lueur d’espoir dans les rapports humains. Notre rédemption se trouverait alors tout simplement au fond de chacun de nous, il ne reste plus qu’à trouver la personne qui nous tendra la main pour nous élever de manière singulière et radieuse vers un monde dissimulé mais regorgeant d’espoir et de beauté. Il ne s’agirait alors que d’ouvrir les yeux.