Un vieil homme, persuadé qu’il a gagné le gros lot à un improbable tirage au sort par correspondance, cherche à rejoindre le Nebraska pour y recevoir son gain. Sa famille, inquiète de ce qu’elle perçoit comme un début de sénilité, envisage de le placer en maison de retraite, mais un de ses deux fils se décide à l’emmener en voiture pour récupérer ce chèque auquel personne ne croit. En chemin, le père se blesse les obligeant à s’arrêter quelques jours dans sa petite ville natale du Nebraska. Épaulé par son fils, le vieil homme retrouve tout son passé. (Rassurez-vous, c’est une comédie!)
Film présenté en compétition au 66ème Festival International de Cannes
L’avis de Fabien:
Neuf ans après Sideways, Alexander Payne nous embarque pour un nouveau road-movie avec Nebraska, une comédie en noir et blanc à travers quatre états de l’Amérique profonde avec des acteurs professionnels (Bruce Dern, Bod Odenkirk, Stacy Keach) et amateurs. Comme dans le précédent The descendants il est avant tout question d’une famille qui apprend à se connaître en en passant du temps ensemble.
Le point de départ farfelu, l’obsession d’un vieillard à traverser quatre états pour retirer son chèque de 1M$ promis par une loterie par correspondance, est prétexte à un voyage intime où le fils cadet va, en croisant diverses connaissances de son père, découvrir des secrets sur cet homme qu’au fond il ne connaît pas si bien. Ils seront rejoints, lors d’une halte forcée sur la route, par la femme du vieil homme, une dame âgée qui n’a pas sa langue dans sa poche et le fils aîné, présentateur remplaçant d’une chaîne locale.
Payne pose un regard à la fois tendre et amusé sur les habitants de cette Amérique profonde touchée par la crise qui se battent pour s’en sortir et rêvent d’un avenir meilleur. L’attachement pour cette famille et en particulier pour ce vieil homme un peu sénile et acariâtre grandit en même temps que les liens familiaux se resserrent, au gré d’échanges révélateurs et de rencontres fortuites qui dessinent le portrait sensible d’un homme âgé pour qui ses proches sont prêts à se mettre en quatre pour lui offrir des moments de bonheur.
Bien écrit, avec des dialogues très drôles qui font mouche et des moments touchants de complicité familiale, Nebraska est une belle histoire familiale, généreuse et émouvante.
L’avis de Manu Yvernault :
De son premier film, Mr. Schmidt, à ses récentes nominations aux Oscars avec The Descendants, Alexander Payne parcourt le cinéma de la même manière que ses personnages, un road trip initiatique où l’ «acteur» principal s’enrichit et grandit au fil de «la route». Ce chemin parcouru, cette évolution, formelle, mais parfois intérieure, est le nerf principal de son cinéma. Celui-lui là même qui a donné au 7ème art certains de ses plus grands films.
Grand observateur de la mélancolie, le réalisateur pose son regard sur la tristesse humaine comme certains étudient les sciences. Excepté qu’il impose une touche permanente d’humour, parfois satirique. Nebraska se veut le condensé de ce cinéma qu’on retrouve par touche dans la filmographie d’Alexander Payne. De L’intimité sur laquelle il se base naît fréquemment une proximité avec le spectateur, réussissant à observer au plus juste les comportements de tout un chacun.
La forme spécifique du film, le noir et blanc, et de nombreuses nuances de gris, contribuent pleinement à la simplicité de ton que le réalisateur tente de donner à son film. Cette simplicité rend de manière paradoxale une beauté spécifique et réaliste à Nebraska, à ce titre il serait bon de louer le travail de Phedon Papamichael (également directeur photo de James Mangold) pour sa sublime photo. Le naturel du regard posé sur ses personnages apporte une profondeur afin de mettre en avant leur côté humain. Portrait intime d’une famille qui tend autant vers l’émotion que vers le rire, par les personnalités des membres qui la composent. Sous ce regard exagéré et quasi trop fictionnel reste la magie naturelle, et finalement réaliste, d’un regard juste et précis.
Alexander Payne choisit d’inscrire intelligemment son récit dans le Midwest américain. Là encore, l’apport du noir et blanc est intéressant. Ce choix évite la redite classique, sinon cliché, d’appuyer sur l’aspect visuel d’une Amérique white trash, avec ses petites villes pauvres et sa population qu’on dépeint trop souvent de la même manière. Plutôt que de verser dans cela, les accents se portent naturellement sur l’aspect humain du film, mettant les personnages en avant. Bien que les paysages de ce road trip finissent par former aussi un énième personnage très important dans le film.
Ce parcours à travers le Nebraska est également celui d’un père et d’un fils à la recherche d’une filiation qui n’a jamais vraiment été établie. Les deux traversent des paysages déserts, dépeignent indirectement une Amérique moyenne, mais le regard n’est jamais moqueur, au pire satirique, tout en étant constamment touchant dans le sens figuré de chaque scène. A ce titre la caméra de Payne est toujours au bon endroit, captant parfois les personnages et les décors comme des tableaux. Le paradoxe de certains moments figés, séquences centrées sur les personnages, et le mouvement constant quand il s’agit des paysages. Cet aspect de mise en scène, ajouté à la photo, apportent une touche de poésie. Le regard posé sur les personnages et la forme même de l’œuvre flirtent ainsi au plus proche de l’univers de Beckett dans de cours instants.
La beauté du film se trouve également dans la performance de son casting, global, mais emmené par un Bruce Dern parfait dans son interprétation de Woody Grant. Il donne à ce personnage l’essentiel, entre tendresse, détresse mélancolique et acidité des répliques, le cocktail est parfait d’humanité. Il en est de même pour celle qui joue la septuagénaire la plus drôle de ces dernières années au cinéma, June Squibb. Quant au fils, interprété par Will Forte, son côté ingénu semble parfaitement convenir à l’évolution du personnage nécessaire à ce road trip.
L’enveloppe sonore, une bande son Americana, narre parfaitement le parcours d’un homme mais également la relation père-fils, souvent filmée, mais rarement de cette manière. Où parcourir un état s’apparente à traverser un passé pour donner/prendre le relais, et tendre vers un futur évolutif. Dans cet ensemble, l’allégorie de la poursuite de ses rêves semble être le seul point peu subtilement traité. Rien de gênant, quand dans un dernier plan, la formalité de la mise en scène clôt le film sur la plus belle des scènes, comme un passage obligé de la vie d’un père.
L’authenticité avec laquelle Alexander Payne filme ses personnages et le milieu dans lequel il les dépeint force le charme finalement naturel de son long-métrage. Road trip en forme de parabole d’une vie où se mêlent de nombreux thèmes filiaux. Ce regard mordant, touchant, poétique, et finalement très juste, réussit à mélanger comédie et drame avec talent, puisque dans son final le ton léger de l’œuvre l’emporte, flirtant parfois avec l’univers des frères Cohen. On serait d’ailleurs peu étonné de les voir ensemble dans de nombreuses catégories au moment où les statuettes dorées seront délivrées en début d’année prochaine. Peu importe le vainqueur, puisque c’est un réel bonheur de voir de tels films à une époque où les blockbusters «mangent» tout. Parmi ce petit nombre d’îlots en 2013, Nebraska fait effectivement partie de grand, très grand état. Un road trip sans retour ne suffisant pas à en apprécier toute la saveur.