Film en compétition dans la Sélection Officielle au Festival de Cannes 2012
Enchanteur dès son premier film, Jeff Nichols n’avait pas manqué de captiver tout un public cinéphile avec Shotgun Stories. Il offrait alors à Michael Shannon une exposition bien plus grande et posait un regard emblématique sur une famille vivant dans le Sud des Etats-Unis. Son empreinte cinématographique nous rappelait déjà aux bons souvenirs de Terrence Malick. Après son bouleversant Take Shelter, fable aux « couleurs » naturalistes et fantastiques, le réalisateur s’essaie au conte initiatique.Jeff Nichols a prouvé qu’il avait du talent et il confirme encore, par la force de sa réalisation et de son récit, l’étendu de son savoir faire.Évidemment on pense très vite au Tom Sawyer de Mark Twain, quand dans de rapides et efficaces scènes d’expositions les principaux personnages nous sont présentés. Nous sommes dans le Mississippi humide, où la sueur définit les contours des visages et les vêtements usés parlent de l’Amérique profonde. Rustique ? Non, simplement l’Amérique rurale, où les fables peuvent encore naître (comme dans le récent Le Sud des Bêtes Sauvages).
L’intelligence de la mise en scène de Nichols est ici déplacée vers une formalité plus référencée, on pense à La nuit du chasseur, Un monde parfait. Un cinéma classique où l’on prend le temps de filmer les comédiens et l’espace dans lequel ils évoluent.
Si de nombreuses petites scènes sont captées pour nous rappeler leur nécessité, même longtemps après dans la narration, c’est pour s’apercevoir que Jeff Nichols ne filme que le nécessaire. Il ne barde pas ses séquences de plans ou scènes inutiles et rend ainsi le film d’une parfaite fluidité.
L’essence même de Mud pourrait aussi être celle de la projection : à travers leurs désirs, presque tous les protagonistes s’identifient à un autre (Ellis à Mud, Mud à Juniper…), ou à un objet formel (le père, la maison bientôt détruite, Mud, le bateau remis à neuf). Cet effet de transfert indirect permet à l’ensemble des confluents d’établir une unité poétique et symbolique au film. On se retrouve alors bien au-delà d’une simple fable, proche d’un conte initiatique bien plus haut que sa valeur fondamentale ; celle du passage de l’enfance au monde adulte.
C’est cette économie de mise en scène et cette justesse encore présente dans son troisième film qui permet de mettre beaucoup d’espoir en Jeff Nichols.
Il fait preuve d’une telle maîtrise, d’une telle modeste assurance que Mud finit par transpirer ses intentions à chaque plan. Des captations naturalistes de cette partie de l’Amérique, réaliste, poisseuse et humide, au regard qu’il porte sur le cercle familial, un ensemble récurrent semble formaliser son cinéma.
Tout n’aurait pas la même saveur sans une direction d’acteur impeccable et des comédiens épatants. Bien sûr, Matthew McConaughey qui confirme tous le bien qu’on pense de lui depuis des années, quand ce dernier fait les bons choix de films. Et c’est le cas depuis ces 3 dernières années. Brillant, il fait résonner son personnage, le rend parfois insaisissable entre folie cachée, errance physique et morale, le comédien irradie toutes ses scènes. Ne pas oublier Tye Sheridan, brillant et touchant, vu chez Terrence Malick (The Tree of Life, pas de hasard) et Jacob Lofland qui pour son premier film semble être déjà sur la bonne voie. Michael Shannon, toujours présent chez Nichols, est même performant dans l’économie des rares scènes où il est présent. Et bien sûr Sam Shepard qui dans le rôle d’un substitut paternel offre encore une prestation grand cru avec les années qui passent.
Si l’apprentissage de nos deux jeunes héros est le nerf principal du film, c’est sans mettre de côté les histoires parallèles des autres personnages qui prennent le spectateur par étonnement quant à la direction qu’ils doivent suivre. Nous sommes surpris entre ce qu’on voudrait voir se dessiner à l’écran et le cours narratif des chemins que chacun emprunte, finalement comme une évidence.
Là est sans doute une des nombreuses forces du cinéma de Jeff Nichols, ne jamais prétendre à faire du beau pour la forme ou réécrire une forme de cinéma (et littérature) qui en a déjà balayé des tonnes sur le thème en question.
Ce réalisateur est uniquement précis, sincère, pose un regard finalement plus mature de films en films. Et avant le mot fin, comme le plan final de Mud, on aimerait que le cinéma de Jeff Nichols coule encore à flot, ouvert au monde, où avec une telle proposition et finesse de traitement tout lui serait permis.