Synopsis : A vingt et un ans, Paul est tout juste démobilisé. Dépité par la vie civile et soucieux de s’intégrer, il recherche un emploi mais aussi l’amour. A travers l’engagement politique et les rencontres sentimentales, le jeune homme tente de donner un sens à sa vie. Dans un bar où il rejoint son ami Robert, militant politique de gauche, il fait connaissance avec Madeleine dont il tombe amoureux.
Potemkine, éditeur français, en cette rentrée 2019 nous propose de redécouvrir deux œuvres de la prolifique carrière de Jean-Luc Godard avec d’une part 2 Ou 3 Choses Que Je Sais D’Elle et d’autre part Masculin Féminin. A travers ces deux films, on nous propose un regard pré-mai 68 de la pensée du cinéaste à la croisée des chemins entre sociologie, philosophie et politique en plein cœur d’une jeunesse révoltée.
L’article se penchera sur Masculin Féminin réalisé en 1966 par le réalisateur suisse mettant en scène Jean-Pierre Léaud, Chantal Goya et Marlène Jobert.
Il se divisera en deux parties :
I) La critique de Masculin Féminin
II) Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-ray
L’avis de Quentin :
I) La critique de Masculin Féminin
Jean-Luc Godard, en 1966, avec Masculin Féminin décide d’observer la jeunesse française de manière bipartite, les hommes d’un côté et les femmes de l’autre tout d’abord pour ensuite les mener à se rencontrer. Il se vêtit du costume de sociologue pour saisir une société divisée en son sein dans la diversité des genres.
Le réalisateur suisse se base sur la sociologie de l’éducation en tant que porte d’entrée de sa réflexion. Nous sommes tout juste un an après l’arrivée de la circulaire du 15 juin 1965 introduisant la mixité comme nouveau régime normal de l’éducation primaire. De la sorte il présente une jeunesse vivant jusqu’à leur dix-huit ans qu’entre personnes du même sexe, entretenant ainsi la politique des genres, là où l’homme poursuit ses études et la femme entre sur le monde du travail jusqu’à trouver son époux. Une approche que le cinéaste ne peut tolérer et va la décrier à travers 15 tableaux de vie.
Le film dresse une perception amoureuse tragique s’exprimant ,dès les premières séquences, où lorsqu’un amour naît, un amour se doit de mourir. Il installe une dimension fataliste à la relation amoureuse, valeur essentielle pour l’équilibre de la société. Avec ses quinze actes, Godard construit la relation entre deux jeunes individus et parvient à retracer les différentes phases de l’idylle. L’approche bien que minimaliste, se formant autour des visages dans un premier temps, réussit à créer ce lien invisible unissant les être, en tenant compte du moindre détail pour étayer son propos.
De cette manière, il bâtit un couple qui ne se comprend pas de par son éloignement culturel. Godard insiste sur l’éducation des femmes, prisonnières de leurs conditions sociales qu’elles soient riches ou pauvres. Le rêve de liberté, d’être une jeune femme libre n’existe plus. Ces dernières demeurent dans l’attente d’un contrôle patriarcal, sous le joug du contrôle masculin, de leurs vies que cela soit l’usine pour les ouvrières, les clients pour les prostituées ou bien les parents pour les plus fortunés. Ainsi, loin de tout, les jeunes femmes sont éduquées uniquement pour devenir la partenaire d’un homme et non plus pour leur propre existence.
C’est à ce moment que l’œil judicieux du cinéaste opère, lorsqu’il fait cohabiter les deux sexes, qu’il les fait s’aimer, se découvrir. Les parts perdues d’une civilisation divisée, l’une détenue par les hommes et l’autre perçue par les femmes, vont s’assembler afin de révolutionner la société et annoncer les événements d’un mai 68 que nous connaissons désormais comme une page historique et nécessaire de notre pays dont Godard fut l’un des fers de lance.
Pour parvenir à retranscrire ses mots, ses intentions, le réalisateur s’entoure d’une équipe d’acteurs formidables tout d’abord avec Jean-Pierre Léaud qui avec sa voix, son intonation nous porte à des lendemains meilleurs, à une incontournable volonté de révolte d’une société en proie à la destruction de par sa politique mais également sa division genrée et sexiste. Cependant il n’est pas le seul maître à bord face à une Chantal Goya saisissante mettant en avant une jeunesse féminine en constante métamorphose, et quête d’indépendance masculine. Elle incarne un personnage savamment écrit dont elle parvient à révéler de nombreuses facettes donnant à voir les limites d’une société d’homme qui va désormais devoir compter sur ses femmes. Enfin, Marlène Jobert, quant à elle, détient un personnage fort ne cessant de vouloir transformer l’idylle en triangle amoureux apportant un relief subtil au développement narratif de l’oeuvre.
Jean-Luc Godard propose avec ce film une fiction se situant entre le documentaire et la fiction de par sa volonté de représenter le quotidien d’une société tout en soulevant ses difficultés pour exister et se maintenir. Il prend également le parti, comme il l’a souvent fait, d’un cinéma expérimental engagé mêlant les supports à la fois audios et visuels afin de nous faire vivre un réel choc cinématographique à grand renfort de phrases fortes et de coups de feux appuyant sur la dimension percutante que le cinéaste veut nous délivrer.
Au delà de cette France divisée entre masculin et féminin, le long-métrage donne à voir une jeunesse politisée vibrante apercevant un horizon plus clément pour lequel se battre semble essentiel. Le pays est régulièrement mis en parallèle avec la politique des Etats-Unis de Johnson, décriant à la fois le modèle capitaliste et consumériste mais également la guerre au Vietnam. Le film va jusqu’à nommer l’entretien avec la détentrice du titre Miss dix-neuf ans de « entretien avec un produit de consommation », tant la société invite la jeunesse à un lavage de cerveau perpétuel en faveur de problématiques futiles. On assiste à une nation qui n’est pas essentiellement divisée de par son genre mais également par sa capacité à observer le monde dans lequel il vit et sa capacité à le transformer. Godard dresse de la sorte un miroir de l’époque des Lumières avec la France des années 60 où la population à force de messages d’éveil ne pourra résister à l’appel révolutionnaire.
Masculin Féminin, bien que fêtant cette année ses cinquante-trois ans, reste d’une incroyable vérité, nous rappelant tout le chemin effectué durant ces dernières décennies concernant le statut d’homme et de femme. Le film de Godard est un témoignage fort d’une période, encore récente où masculin et féminin ne pouvaient prétendre à des traitements similaires. Bien qu’encore en constante évolution, cet acquis fondateur, dont le film nous parle sans en connaître sa portée de nos jours, se doit d’être gardé et protégé de groupuscules politiques conservateurs. Il s’agit alors de remettre Masculin Féminin au cœur des incontournables du réalisateur tant il permet de faire résonner la conviction de la jeunesse ainsi que sa force révolutionnaire.
II) Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-ray
Image :
La restauration 2K proposée par Potemkine a été effectuée en 2016 par Eclair supervisé par Willy Kurant. Cette dernière se veut tout simplement irréprochable faisant honneur au film. Le film au format 1.37 dispose d’une image merveilleuse avec un grain lui seyant à merveille. On y trouve une profondeur de champ ressuscitée mais également un piqué faisant véritablement prendre une nouvelle vie aux personnages faisant entrer l’oeuvre dans l’ère moderne lui assurant une copie qui lui permettra de traverser encore quelques décennies.
Note Image 5/5
Son :
Potemkine nous propose une piste française Dolby Digital 2.0. Le format Mono d’époque conserve tout son charme et délivre de nombreuses nuances sonores qu’il s’agisse des dialogues ou bien des arrières plans. Les voix sont audibles mais manquent, à de rares reprises, de clarté certainement dû aux prises sons de l’époque. Ces rares moments interviennent lorsqu’il y a plusieurs conversations en simultanées dans la film. La discussion d’arrière plan prenant parfois le dessus sur les échanges principaux. Néanmoins le film ne sature quasiment jamais qu’il s’agisse des graves ou bien des aigus, la balance effectuée par L.E. Diapason est une réussite.
Note Son : 3,5/5
Suppléments :
Potemkine pour célébrer cette sortie en haute définition de Masculin Féminin nous propose quatre bonus qui ont su, pour chacun d’eux, éveiller notre intérêt :
- Préambule par Nicole Brenez (4min30) : Le préambule nous propose une présentation du film à travers un diaporama à la manière de Le Livre D’Images de Jean Luc Godard sorti l’an dernier regroupant de nombreuses séquences de Masculin Féminin mais également des images de son dernier film tout comme des entretiens réalisés en 1968 et 2018. Un pot-pourri qui parvient à dresser le portrait du film et nous le présenter sous la plus noble des manières : en respectant le travail et les méthodes de ce cinéaste si singulier qu’est Godard.
- Analyse de séquence par Nicole Brenez (11 min) : Nicole Brenez revient sur la séquence du cinéma qui a lieu dans le film mettant en parallèle le spectateur avec le film diffusé. Elle prend le temps de déconstruire la séquence pour parvenir à dépasser le film en tant qu’oeuvre cinématographique et porter cette dernière au statut d’oeuvre universel.
- Masculin Féminin raconté par Alain Bergala (23min30) : Alain Bergala revient sur les origines du film et plus particulièrement sur l’aspect politique et historique dans lequel s’ancre l’oeuvre lors du tournage. Le critique revient sur la prise de conscience de Godard sur l’arrivée d’une nouvelle génération avec entre autres les yéyés mais également la génération babyboomers. On y découvre de nombreuses anecdotes sur le début de carrière de Chantal Goya mais également sur l’entièreté du casting. Bergala revient sur la raison du choix de Jean-Pierre Léaud en tant qu’acteur principal. Le supplément prend le temps de parler de l’époque des yéyés mais également la confrontation entre la génération du cinéaste et cette nouvelle jeunesse. Alain Bergala est passionné et passionnant durant cette vingtaine de minutes et donne de nombreuses informations importantes pour pleinement comprendre le film dans sa conception.
- Bande annonce réalisée par Jean-Luc Godard : Bande-annonce d’origine restaurée en 2016.