Will Graham est un des experts-légistes les plus habiles du F.B.I. Il excelle dans l’art de reconstituer à partir d’éléments quasiment inexistants le profil d’un assassin. Mais son « sixième sens » lui a valu de frôler plusieurs fois la mort. Alors qu’il est retiré depuis trois ans, un ancien collègue, Crawford, vient le relancer pour une affaire qui s’annonce complexe : deux paisibles familles de Birminghan et Atlanta ont été, à un mois d’intervalle, sauvagement massacrées par un « tueur de la pleine lune ».
L’avis de Fabien :
Pour son quatrième film de cinéma, Michael Mann adapte Dragon Rouge de Thomas Harris publié en 1981, roman policier dans lequel apparaît pour la première fois Hannibal Lecter.
L’arc narratif de Manhunter (1986) est la traque du tueur Francis Dolarhyde, « The Tooth Fairy », par le profiler Will Graham. Le flic interprété par William Petersen va devoir apprendre à penser comme celui qu’il pourchasse, anticiper ses actes pour pouvoir l’arrêter (comme le flic obsessionnel Vincent Hanna de Heat doit apprendre à penser comme le braqueur McCauley pour le stopper). Comme souvent chez Mann un spécialiste jusqu’au boutiste se met en danger et ses proches pour accomplir sa mission, dans un dévouement total à son métier, son art. La frontière poreuse entre loi et crime, bien et mal, explorée par Mann dans de nombreux films (Heat, Miami Vice), est au centre du dispositif narratif et donc de la mise en scène de Manhunter, plongée périlleuse d’un flic dans l’inconscient d’un tueur au série pour l’arrêter.
Michael Mann traduit la dilution identitaire de Graham par son choix de cadres, avec par exemple l’utilisation de la vue subjective et de travelling sur les chaussures de Graham lors de la séquence inaugurale de scène de crime pour susciter le trouble (prises de vues en général associées au tueur dans les slashers et thrillers) puis plus tard dans le récit Graham et Hannibal Lecter sont cadrés de la même manière à travers les barreaux de la cellule du docteur maléfique. La riche palette chromatique élaborée avec le directeur de la photo Dante Spinotti, des plans sortis d’un tableau de Magritte ou William Blake, disent le sens du détail de ce perfectionniste qu’est Michael Mann. Le montage déstructuré de la dernière séquence d’action où Graham pénètre, en sautant à travers une baie vitrée, dans l’antre de la bête pour l’arrêter et redevenir lui-même, avec ralentis et jump cuts, est raccord avec la psyché tourmentée, l’identité fracturée de ses deux personnages. Enfin les chansons (les groupes Iron butterfly, Shriekback, The Prime Movery…) sont comme toujours sélectionnés finement par Mann pour refléter les pensées de ses personnages, en remplacement de dialogues.
Polar sophistiqué avec un bon scénario et une densité psychologique de ses personnages interprétés solidement par William Petersen et Tom Noonan, Manhunter est sans doute la meilleure adaptation du roman de Thomas Harris (en comparaison de l’épouvantable Dragon rouge de Brett Ratner); suivra 5 ans plus tard l’excellent Le silence des agneaux avec l’inoubliable Anthony Hopkins en Dr Lecter (Brian Cox s’en sort bien en 2 scènes uniquement). La brillante mise en scène de Mann emballe ce polar terrifiant qui, s’il n’est pas exempt de facilités esthétiques (couchers de soleil de carte postale, utilisation systématique du ralenti dans les scènes d’action) que Mann atténuera dans ses films suivants, est un très bon exercice de style mannien, mélange d’hyper-réalisme et de stylisation dosé à la perfection dans les masterpiece Heat et Collateral.
Technique
Le master proposé par ESC Distribution sur les deux disques est le même que celui utilisé par Shout Factory aux USA l’an dernier: un grain conséquent (mais non gênant), des couleurs riches, un bon niveau de détails, de la clarté dans les scènes extérieures. Le director’s cut, proposé sur un disque à part, est de qualité inférieure à la version cinéma, avec 4′ de scènes coupées en mauvaise qualité sd, des images de source et de qualité variable. La version cinéma s’impose par son hétérogénéité visuelle (d’autant plus que les scènes coupées du director’s cut n’apportent pas grand chose à l’intrigue), avec un master satisfaisant (pas de restauration 4K malheureusement) à défaut d’être renversant. Au niveau audio, les pistes 5.1 et 2.0 offrent de bons mixages sonores avec dialogues, effets et musiques. La version 5.1 met plus en avant la musique que la 2.0 et s’avère plus puissante en terme d’ambiances sonores.
Bonus
Ce beau digi-pack Coffret Ultimate Manhunter proposé par ESC, comprend : le blu-ray du film en Director’s Cut (123’), le blu-ray du film en version cinéma (120’), le DVD du film en version cinéma et le livre « Michael Mann » par Marc Toullec de 152 pages (pas reçu à la rédaction).
Au niveau des bonus cette édition française blu-ray de Manhunter affiche 3h de suppléments répartis sur les 2 disques brd.
Le disque director’s cut propose des analyses intéressantes du critique Alex Cardieu soit 4 scènes coupées commentées par le critique Alex Cardieux (17′), un entretien avec Alex Cardieu (27′) et un module produit par Shout Factory sur la musique de Manhunter (42′) avec tous les groupes intervenant dans le film.
Sur le disque de la version cinéma figure un florilège d’interviews du casting riches en anecdotes, produites par Shout Factory : entretien avec William Petersen (18′), Joan Allen (16′), Tom Noonan (22′) et le chef opérateur Dante Spinotti (36′). Suit un passionnant module maison sur la musique chez Michael Mann par Christophe Geudin et Olivier Desbrosses (28′).