L’avis de Quentin :
Depuis quelques mois désormais, l’éditeur français ESC, s’est lancé dans la restauration et la distribution des films de Jean-Pierre Mocky. Le réalisateur niçois, a beaucoup tourné avec Charles Aznavour mais également Michel Serrault avec pas moins de 12 collaborations. Nous reviendrons dans ces lignes sur l’une d’entre elles avec L’Ibis Rouge. Un film réunissant les « trois Michel », comme le souligne Mocky, à savoir Michel Simon, Michel Galabru et Michel Serrault.
L’Ibis Rouge, propose après une courte étude du synopsis d’une relecture de La Bête Humaine. Cette fois-ci, Jacques Lantier devient un homme déviant ne sachant contenir ses pulsions : étrangler les femmes. Néanmoins, qu’adviendra-t-il lorsque ce dernier s’éprendra d’une d’elles ?
C’est sur ce dilemme moral que Mocky va nous accompagner.
La critique de L’ibis Rouge se découpera en deux parties :
I) La critique de L’Ibis Rouge
II) Les caractéristiques de l’édition Blu-ray
I) La critique de L’Ibis Rouge
Jean-Pierre Mocky pour nous narrer son histoire de tueur en série situe l’intrigue dans un univers crasseux, fou, absurde. Il nous propose la vision d’un monde en proie aux affres de l’individualisme. Nous nous retrouvons au point de cassure de notre société, le jour où l’individu déviant devient la normalité. Il nous peint une ville suffocante, ou la logique et le bon sens n’ont plus leurs places. La manière qu’a Mocky de faire interagir les personnages entre eux est fantastique et en devient jubilatoire.
Le réalisateur aborde une société perdue, qui n’a plus de but, qui vit au jour le jour. Les protagonistes n’ont aucun moyen de s’organiser, de se projeter dans le temps car ils n’ont plus de raison, d’objectif à atteindre. L’homme est en quête de réponse et ne sait plus où chercher. C’est face à ce constat que la magie du film opère.
Tout d’abord, les dialogues sont tous plus jouissifs les uns que les autres. Nous ne savons pas si il faut en pleurer ou en rire, tant le metteur en scène joue avec nos propres démons, nos propres incertitudes. Il convoque ici le théâtre de la condition humaine et n’épargne rien ni personne. Les personnages gravitent tous autour d’un restaurant grecque, les bruits de couloirs alimentent la curiosité, la jalousie, la colère et la joie des uns et des autres. Les acteurs campent des personnages n’arrivant ni à aimer et ne cherchant pas à l’être. Ils courent soit après l’argent, soit après la la gloire. Les hommes et les femmes sont en constantes confrontations, nous proposant une vision de la femme séductrice ne permettant pas à l’homme de canaliser ses pulsions, pulsions sauvages, meurtrières.
Nous assistons à des relations humaines creuses, impossibles où des personnes se fréquentent depuis des dizaines d’années et ne connaissent rien de la vie de l’un ou de l’autre. C’est justement là que le réalisateur vise juste et parvient à soulever une véritable problématique sociale, qui, de nos jours, semble encore plus flagrante. On pense en quelques sortes à un anti-La Grande Bouffe, où les valeurs de partages qui étaient poussées jusqu’au plus extrême des excès sont ici totalement inexistantes.
Le personnage même de l’étrangleur, nous paraît inoffensif en comparaison à cette ville décadente, ultra-violente. Le criminel serait-il le personnage le plus équilibré de cette ville ? C’est à travers ce questionnement que le réalisateur sème le doute et la réflexion chez le spectateur. Mocky vient nous chercher et nous emporte dans son maelström dramatique mêlant l’absurde à la poésie, le tragique à l’euphorique.
L’Ibis Rouge est un film à part dans le paysage français, il nous fait parfois passer au giallo italien, à la comédie absurde tout comme au policier français.
La façon dont Mocky met son propos en image est particulièrement immersive. Il nous force à participer aux événements avec ses plans réalisés caméra à l’épaule. Nous ne pouvons plus rester de simples spectateurs. Le film met dans l’obligation de devenir acteur de cette sordide comédie.
La bande-son composée par Eric Demarsan, ne vous quittera plus jusqu’à la fin du film. Cette mélodie sifflotée de manière saccadée, ne fait qu’augmenter la tension présente au sein du film, nous mettant face à un dilemme : De quelle manière faut-il accepter ce film ? Il s’agira au spectateur alors de se laisser porter par le sifflement et choisir entre le drame ou la comédie.
L’Ibis Rouge est une oeuvre singulière, qui sous des aspects simplistes est en réalité une oeuvre complexe sur la condition humaine. Un film à la fois drôle, triste, étouffant mais qui saura guider son spectateur si ce dernier se laisse totalement à lui. De plus, le long-métrage de Mocky clôture une belle tranche d’histoire du cinéma français avec le tout dernier rôle du remarquable Michel Simon, décédé la même année.
II) Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-ray
Image :
L’édition Blu-ray de L’Ibis Rouge s’offre une très belle restauration. Tout d’abord, le grain a été limité sur la copie grâce à un lissage qui, heureusement, n’a pas été trop prononcé. La copie en devient particulièrement nette, n’allant pas chercher dans les plus infimes détails mais offrant de belles couleurs et une profondeur appréciable.
Le travail sur l’image de Mocky a été respecté avec un format en 1.66.
Esc nous propose ici une très belle copie d’un film qui mérite d’avoir toute notre attention pour ne pas être oublié.
Note image 4/5
Son :
L’éditeur français nous propose une piste Mono 2.0 Dts HD Master Audio, et parvient comme à son habitude à nous proposer une piste légèrement retravaillé pour respecter les normes hautes définitions actuelles.
L’équilibre entre l’ambiance sonore du film et les voix est parfaitement réalisé. Cependant, un léger grain est présent à quelques moments du film, mais rien d’alarmant.
ESC nous propose, ici encore une copie à la hauteur.
Note son : 3,5/5
Suppléments :
C’est peut-être sur cet aspect que l’éditeur, a le moins de choses à nous proposer et pourtant il y avait de quoi réussir à nous épater avec un tel bonus :
- « L’étrangleur du quai de l’Ourcq » : entretien avec Jean-Pierre Mocky.
Le réalisateur revient sur la genèse du film et sur le livre qui en a été sa source d’inspiration. Nous y apprenons également que le film est inspiré de faits divers tout droit venus des Etats-Unis. Cependant, le supplément ne nous offre pas beaucoup de choses supplémentaires sur la conception du film ni sur cette ambiance lourde, purulente. C’est bien dommage, car le cinéaste perd l’occasion de mettre en avant son film, qui a tout les armes aujourd’hui pour reprendre sa place de film culte au sein du septième art français. Un supplément trop court (7 minutes), qui aurait mérité plus de commentaires de la part du cinéaste. Cependant ne boudons pas notre plaisir, car découvrir ou redécouvrir un film comme L’Ibis Rouge est une véritable surprise.