Freddy s’est lassé de ses trop nombreux succès auprès des femmes. Il espère maintenant trouver l’amour de toute une vie. En attendant, il ne rencontre que Joseph, un timide introverti, qui lui avoue ne pas savoir parler aux femmes. Freddy s’engage à le faire profiter de son expérience. Les voici en maraude dans le gai Paris…
La filmographie de Jean-Pierre Mocky est gargantuesque, le cinéaste a su depuis plus de soixante ans, livrer un regard acéré, critique, absurde sur notre société. Il a réussi à déconstruire la société française et ses mutations autour de 1968, puis comprendre les changements d’une civilisation en pleine transformation. Il est un cinéaste du peuple. Sa première analyse de nos fonctionnements remonte à son saisissant diptyque sur l’éveil, la découverte de la sexualité chez les jeunes français avec Les Dragueurs / Les Vierges. Dans Les Vierges, chroniqué dans nos pages, Mocky dépeignait les enjeux de la virginité chez les jeunes femmes, il interrogeait ce concept au travers de 5 profils de femmes. Aujourd’hui, nous nous intéresserons à la première partie de cette analyse avec Les Dragueurs, le premier film du cinéaste.
Cet article se scindera en deux parties distinctes :
I) La critique du film Les Dragueurs
II) Les caractéristiques techniques de l’édition DVD
I) La critique du film Les Dragueurs
Avec Les Dragueurs, le réalisateur niçois apporte sa vision sur la séduction masculine et ses affres. Le film paraît aujourd’hui complètement déconnecté de notre réalité. Il nous apporte un témoignage d’un autre temps, d’une autre époque.
Le long-métrage nous propose de suivre deux dragueurs durant une nuit à la quête de l’autre sexe dans les rues de Paris. Le duo est incarné par Jacques Charrier et Charles Aznavour. Le premier, Jacques Charrier, est un dragueur émérite, plein d’assurance qui perçoit les femmes comme des objets. Il se vante d’avoir assez connu les joies du papillonnage et ne cherche désormais que la femme qui partagera sa vie. A l’inverse, le second, Charles Aznavour, désespère de trouver une femme, une relation. Il ne veut en aucun cas s’adonner aux pratiques de la drague mais ne voit plus d’autres solutions pour parvenir un jour à séduire une jeune femme. Il deviendra l’élève de Charrier, qui lui apprendra lors d’une chevauchée nocturne dans les rues parisiennes tout son savoir en la matière.
Mocky dresse à la fois un constat cruel, drôle, tragique et touchant des rencontres amoureuses. Il donne à voir une jeunesse désemparée, sortie des mariages d’intérêts, qui ne sait plus comment se rencontrer, qui n’a pas les codes pour se comprendre. On observe une séparation marquée entre les hommes et les femmes. L’oeuvre insiste sur la quasi liberté totale de séduction chez la gente masculine. L’homme peut se permettre de courtiser, séduire, profiter à tout va de ses relations. La société n’aura jamais pour lui de regard péjoratif. Elle ira même jusqu’à les encourager.
A l’inverse, le schéma est bien plus triste pour les filles, femmes. Elle se doivent de résister à toutes séductions, à garder leurs virginités pour leurs futurs maris. On assiste alors à une société qui avance à deux vitesses, vantant les libertés, pour les hommes, tout en réprimant, les femmes.
Il interroge sur la manière dont les jeunes peuvent réussir à se trouver, se créer une place dans une société leur paraissant en mutation mais ne leur offrant que le reflet de leurs souhaits.
Le cinéaste parvient à merveille à nous guider dans ce Paris nocturne, cette ville crépusculaire, où à la tombée des derniers rayons de soleil, la jeunesse laisse parler ses hormones. La capitale est bien plus qu’un cadre. Elle devient un personnage à part entière. On se permet de reconnaître tel ou tel quartier. Ces derniers représentent différentes classes sociales que nos dragueurs iront se permettre de courtiser. Mocky passe à la loupe toute la diversité que compose la jeunesse française et nous donne une analyse judicieuse, pertinente et experte. L’oeuvre, avec les années, est devenue un travail à la lisière du documentaire ethnologique.
L’humour grinçant du cinéaste nous permet de voir et entendre l’inavouable. Il joue sur le politiquement incorrect tout au long du film et parvient à parsemer sa vision sociale au travers de nos dragueurs d’un soir. D’un côté Aznavour, l’ange, exemple de bonne conduite, de l’autre Charrier, le diable, prêt à toutes les entourloupes pour parvenir à ses fins.
Cette dichotomie permet au film un équilibre gracieux, un plaisir coupable pour le spectateur qui ne pourra cesser de se demander quelle tournure risque de prendre ce voyage initiatique. Malgré leurs maladresses, manières parfois brusques, Mocky parvient à nous attacher à ses personnages. On ressent même de la sympathie pour ses derniers. Il ne reste alors plus qu’une question à se poser : Ne serions nous pas en train de nous faire draguer par le cinéaste lui-même ? Si cela est le cas, alors on en redemande.
Les Dragueurs est une première réalisation frappante, cinglante, sans détour qui aura su immortaliser une génération. Une gourmandise qui ne cesse de nous passionner au fur et à mesure des visionnages. Une grande oeuvre pour un cinéaste qui ne mérite qu’une seule chose : que l’on se plonge dans sa filmographie.
II) Les caractéristiques techniques de l’édition DVD
Image :
Esc nous propose comme pour la sortie de Les Vierges, un format DVD en l’absence d’un master HD. Néanmoins, la copie qui nous est proposée est de très bonne qualité. Il y a par moment un grain assez prononcé mais il reste un sens du détail exemplaire pour un film qui a dépassé son soixantième anniversaire.
L’édition nous dévoile un très beau travail autour des contrastes en noir et blanc.
Ne reculez donc pas vers cette unique sortie sur DVD vous risqueriez de passer à côté d’une oeuvre majeure du cinéma français !
Note Image : 4/5
Son :
L’éditeur français nous propose une piste française mono dolby audio qui offre tout ce que l’on peut attendre d’une réédition d’un film de 1959. Les voix ainsi que les effets sonores sont parfaitement équilibrés. L’un ne prenant jamais le pas sur l’autre. Cependant, les aigus sont parfois mal gérés devenant criards. Néanmoins, la situation ne se produit qu’une à deux fois durant le visionnage.
On se voit à plusieurs reprises propulsé dans le Paris nocturne de la fin des années 50.
ESC propose une piste son honnête qui revêt parfaitement le traitement de l’image qu’il nous propose.
Note Son : 3,5/5
Suppléments :
ESC nous offre, comme pour toute l’incroyable rétrospective Mocky, un entretien avec le cinéaste. Il revient sur sa jeunesse et ses expériences de drague au milieu des années 50. Il explique l’aspect autobiographique de l’oeuvre. Une présentation touchante pleine de confidences qui saura nous rappeler une époque révolue.
Nous ne pouvons nous empêcher de tomber sous le charme des mots de Mocky. Certainement le supplément le plus exaltant que nous offre cette sublime rétrospective. Quel bonheur de pouvoir aujourd’hui bénéficier d’une telle liberté de mots sur une oeuvre si singulière.
Note suppléments : 4/5