L’avis de Quentin :
Le loup est revenu ! Quentin Dupieux est de retour ! Après son très réussi mais convenu Au Poste, le cinéaste qui fait trembler l’institution cinématographique française revient avec l’énigmatique Le Daim. Connu pour ses films labyrinthes où le spectateur ne sait plus où regarder et ne cesse de s’interroger sur la raison d’être de ses œuvres, il se dévoile avec son nouveau film beaucoup plus ordonné. Il décuple la radicalité de son propos.
Pour cette nouvelle sortie dans l’univers loufoque du metteur en scène, Dupieux choisi comme tête d’affiche Jean Dujardin et Adèle Haenel. Il succède à sa longue tradition de toujours dénicher des acteurs à la carrière reconnu par tous, et remodèle de fond en comble la totalité de leur jeu ainsi que de leur approche du métier. Il avait ainsi choisi Eric et Ramzy pour Steak, Alain Chabat pour Réalité, Benoit Poelvoorde pour Au Poste et enfin …. Un Pneu Vengeur pour Rubber.
Pour cette nouvelle pierre à l’édifice que s’efforce à créer le réalisateur à chaque film, il convoque tout ce qui a fait le succès et l’originalité de son cinéma. On revient à un cinéma jusqu’au-boutiste, qui se complaît dans sa formule du « Aucune Raison », qui avait été explicité en introduction de Rubber. Dans Le Daim, à aucun moment une explication rationnelle ne nous est apportée sur la raison de sa volonté d’être la seule personne à porter un blouson ni son fétichisme pour le daim du jour au lendemain. Le duo d’acteur offre une balance de rationalité inattendue. Ainsi, Dujardin ne tente pas à un seul moment d’arrêter son processus identificatoire bien que Haenel ne cesse de le diriger vers des décisions logiques et raisonnables. Néanmoins, le gouffre vers lequel se précipite notre héros est si profond qu’il ne peut qu’entraîner son acolyte à devenir comme son modèle, complètement dérangé.
On pense régulièrement à C’est Arrivé Près De Chez Vous par le format que nous propose le réalisateur mais également par son propos et son évolution. Dujardin devenant à la fois cinéaste mais également tueur en série pour les besoins du tournage. Une chevauchée dans laquelle nous transporte Quentin Dupieux, nous délivrant une expérience de métacinéma. Il y déconstruit le cinéma moderne pour le rapporter à un objet d’art épuré et populaire au travers de la caméra du protagoniste principal.
Il revient également à ses premiers amours qu’est la personnification des objets, les rendant à la fois plus humain et conscient que les portraits d’hommes dessinés par le cinéaste. Les grands changements ne venant plus des êtres humains mais bien plutôt de la relation matérialiste déviante qu’entretiennent les personnages avec leurs objets fétiches. Une fine analyse y est alors proposée sur la société consumériste de manière générale. On assiste au spectacle d’un homme souhaitant être le seul à porter un blouson. La démarche de la quête de personnalité et de singularité demeure presque impossible avec ce personnage participant activement à une société sont il rejette tous les archétypes. Le seul moyen s’offrant à lui devient alors de dépasser les codes et de s’imposer dans sa démarche, ne demandant plus la permission, abandonnant toute sympathie pour laisser place à un procédé radical, autoritaire et meurtrier. Une approche délivrant une sorte de passerelle entre le cinéaste et sa création, une manière que Dupieux a de nous dire ce qu’il ressent et vit à travers le média cinéma. Il veut à la fois être le seul cinéaste, l’unique dépositaire du genre qu’il a créé. Une volonté divine d’asseoir sa position, désormais légitime, de réalisateur dépassant son oeuvre, parvenant parfois même à la création d’un nouveau monde, une nouvelle variété d’art sur laquelle il détient les pleins pouvoirs.
En somme, Le Daim est certainement le film le plus simple, radical, sombre et alarmiste des films de Quentin Dupieux mais également son plus beau, touchant et corrosif. Le réalisateur français repousse encore les limites de son cinéma, qu’il commence à maîtriser à la perfection. Une grande oeuvre d’humour noir sur le genre humain, les déviances de la société consumériste et le caractère violent de la création d’une oeuvre d’art dont le cinéma français se doit d’être fier.