De retour à Almaty, Moro retrouve ses anciens amis en pleine guerre des gangs et Dina, son ancienne petite amie, devenue morphinomane. Décidant de lui venir en aide, il devra affronter “le docteur”, responsable de son addiction.
L’avis de Quentin :
L’année 2018, aura su marquer le retour, la découverte pour certains, du groupe soviétique Kino tenu d’une main de maître par Viktor Tsoi.
Tout d’abord, la formation a été propulsée, magnifiée par le film Leto de Kiril Serebrenikov, en compétition à Cannes. Malgré un retour bredouille sur ses terres, le long-métrage ainsi que l’histoire de Viktor Tsoi a captivé le public cannois à tel point que beaucoup le voyait déjà repartir avec la récompense suprême : la Palme D’Or.
Le regain de popularité et d’intérêt autour de Viktor Tsoi a permis à un nouvel éditeur vidéo français, Badlands, de sortir des placards sa première édition BR/DVD avec le trop peu connu en France : L’Aiguille.
L’Aiguille est un film de Rachid Rougmanov sorti en 1988. Le film est d’une grande importance dans l’histoire du cinéma soviétique, commençant à jouer sur les failles du système communiste et abordant le monde des drogues. Le film peut également se vanter de ses 30 millions d’entrées. Comme avec Kino, et la démocratisation du Rock par-delà le mur, l’entente de la parole des jeunes, Viktor Tsoi est à nouveau acteur sur la progression des droits et le timide recul de la censure en URSS.
Il aura fallu attendre 30 ans pour découvrir ce film dans des conditions confortables, sans avoir à passer par Youtube, et ce grâce à Badlands, ainsi que 1kult.
Cette chronique s’articulera en 2 parties distinctes :
- La critique du film
- L’analyse technique du combo BR/DVD
I) La critique de L’Aiguille de Rachid Rougmanov.
L’Aiguille est un film témoin d’une nation à un instant précis, une photographie de ce que nous ne pouvions voir. Ce qui pourra troubler le spectateur c’est que nous sommes à la fin des années 80, et que le film nous renvoie 20 ans en arrière, au travers des années Godard, Truffaut, Rivette. Les ingrédients qui ont fait le charme de la Nouvelle Vague sont alors déployés pour nous en livrer l’antithèse même du mouvement. Ici, le personnage principal n’utilise pas sa lucidité, sa jeunesse, sa liberté, pour s’adonner à ses envies ou pulsions, mais plutôt pour aider son prochain face aux narco-trafiquants qui détruisent la jeunesse d’un pays en plein déchirement.
On passe alors d’une jeunesse inconsciente révolutionnaire, de la France des années 60, à une jeunesse à la fois lucide en phase de perdre ses derniers idéaux, de la Russie des années 80.
Le film a une narration mystérieuse, ne dévoilant jamais réellement son intrigue, faisant à la fois sa force et sa faiblesse. Les dialogues y sont ici minimalistes. On pense souvent au Drive de Nicolas Winding Refn et cette romance impossible. Cette amour silencieux, chevaleresque où les sentiments, la relation ne se tissent qu’à travers un regard, les actes.
Ici le héros tente de sortir sa promise de l’emprise de la morphine. Il va pour cela devoir affronter deux adversaires : la dépendance mais également la mafia locale.
La très faible présence de dialogues apporte au film une ambiance aérienne, mystérieuse. Le réalisateur nous met face à des personnages silencieux, terrassés, désespérés.
Nougmanov apporte également une dualité fondamentale avec l’opposition paysage urbain et paysage rural. Le personnage principal va ainsi tenter d’apporter de l’aide à son amie morphinomane en la poussant à se couper du poison, des croyances insufflées par le quotidien urbain, industriel. Cette échappée aux abords de la mer d’Aral va représenter un sanctuaire, un retour à la nature, un voyage rédempteur.
Cet aspect sanctuaire, on le retrouve également dans le très récent Leto. Cette manière qu’éprouve la jeunesse russe de sortir des villes afin de goûter à la liberté, aux joies de l’insouciance. La thématique du rapport mystique disparu entre les hommes et la nature est une des réflexions les plus importantes du cinéma russe, comme l’avait souvent mis en avant Andreï Tarkovski. Le besoin de croire, de croire en ce qui nous entoure, en notre nature, en devient libérateur.
Cependant le film, bien que particulièrement court, souffre de quelques longueurs scénaristiques. On se retrouve face à un cinéma du non-dit, si poussé qu’il en résulte parfois une incompréhension de l’histoire. Il est parfois difficile de suivre le film, ou tout simplement de comprendre de quoi il en retourne sans avoir lu le synopsis.
L’Aiguille de Rougmanov est une belle découverte, une oeuvre unique, touchante, vibrante, énigmatique qui gagne énormément de par la présence de Viktor Tsoi ainsi que des ses compositions musicales donnant un rythme, une identité singulière à un film qui l’est tout autant.
II) L’analyse technique du combo BR/DVD
Image :
Le format 1.33 de l’image est respecté. La copie Blu-ray en 1080p redonne vie au film. Pour ceux qui avaient pu découvrir le film, en streaming, peuvent se ruer sur cette copie qui rend hommage au travail de Nougmanov.
Certes, certaines séquences sont quelques fois décevantes, grain trop prononcé, quelques légers bruits mais rien qui puisse déranger le spectateur durant sa projection.
La colorimétrie, néanmoins, se trouve parfois être très sombre, voir trop, à plusieurs reprises.
Cependant, le traitement de l’image qui a été offert au film, lui pardonne toutes ces petites imperfections, pour nous faire découvrir dans de belles conditions, une rareté du cinéma soviétique/ kazakhe.
Note image : 3,5/5
Son :
Le Dts-hd master audio 2.0, fait parfaitement son travail laissant le spectre sonore du long-métrage prendre possession de l’oeuvre.
Les morceaux de Viktor Tsoi, sont particulièrement bien mis en avant et retransmis.
Les voix sont également bien réparties.
Qui pourrait donc à la sortie de cette projection se retenir de siffloter la mélodie de Группа крови ?!
Note Son : 4/5
Les Suppléments :
Badlands pour sa première sortie a mis les petits plats dans les grands et nous offre la version la plus complète possible de L’aiguille :
- Le film L’Aiguille dans sa version « remix » par son réalisateur : si vous deviez choisir entre les deux version du film, restez sur la version originale. Cependant cette version remix est un cadeau pour tous les aficionados du réalisateur qui peuvent désormais bénéficier des deux versions du film sur un unique disque. Cette version est allongée de 8 minutes durant lesquelles Nougmanov ajoutera des plans où se croiseront de la bande-dessinée ainsi que des extraits de son court-métrage « Yahha ».
- Le court-métrage Yahha : l’expérience de « ciné-transmission » proposé par Rachid Nougmanov nous permet de découvrir des images, des témoignages visuels du rock underground 80 venant tout droit d’URSS. Un supplément intéressant qui permettra de capter un peu plus l’ambiance, le contexte du film L’aiguille.
- Le documentaire Souvenirs de Vague de Eugénie Zvonkine : réalisé par une spécialiste en cinéma russe, le documentaire revient sur la nouvelle vague kazakhe qui avait su se créer un cinéma de niche à la fin des années 80. Il s’agit d’un entretien dirigé par Eugénie Zvonkine avec les grands réalisateurs de la nouvelle vague kazakhe : Rachid Nougmanov, Talgat Temenov, Ardak Amirkoulov et Serik Aprymov.
- La présentation du film par Eugénie Zvonkine : une présentation essentielle pour saisir l’oeuvre de Nougmanov.
Badlands nous propose une édition historique de ce pilier de la nouvelle vague kazakhe qu’est L’aiguille. Une édition qui se veut ouverte au monde proposant une multitude de sous-titrages ainsi qu’une compatibilité multi-zone. Nous pouvons désormais en être sûr, l’éditeur a désormais donné toutes les armes nécessaires pour que son poulain puisse briller et résonner à travers le monde comme il l’aurait mérité dès sa sortie. Merci pour un tel travail !