Deux flics que tout oppose, dans l’Espagne post-franquiste des années 1980, sont envoyés dans une petite ville d’Andalousie pour enquêter sur l’assassinat sauvage de deux adolescentes pendant les fêtes locales. Au coeur des marécages de cette région encore ancrée dans le passé, parfois jusqu’à l’absurde et où règne la loi du silence, ils vont devoir surmonter leurs différences pour démasquer le tueur.
Avis de Manu
Alberto Rodriguez (quelques long-métrages à son actif) s’intéresse, pour ne pas dire se fascine, depuis son précédent film, à la période post-franquiste que l’Espagne a dû traverser avant d’accéder à la démocratie actuelle. C’est sous cet aspect politique et ce regard social qu’il met en scène son thriller avec une grande maîtrise.
Tout d’abord, il semble parfaitement s’inscrire dans les plus belles réussites formelles du cinéma espagnol moderne. Ce cinéma qui semble avant tout construire un univers, y déposer, y diriger, y faire évoluer des personnages. Personnages qui évolueront au sein même de cet univers comme une corrélation de mouvements, et non l’inverse. Ici, ce n’est pas les protagonistes qui font l’histoire, mais les décors, l’époque, l’univers dans lesquels ils se fondent. Le sens même d’une réalité, d’une attention particulière portée à l’authenticité du récit.
La bonne idée d’Alberto Rodriguez tient principalement dans le traitement et le profil des deux flics. Il choisit délibérément de ne pas les définir dans une opposition de traits. Ni méchant, ni gentil, l’un comme l’autre avance dans la même direction, mais d’une manière différente. Le but n’est pas de ne pas définir leur psychologie mais d’éviter une opposition classique et de ranger leur profil dans des cases. Sur ce principe le récit gagne en crédibilité et efficacité. On se recentre directement sur l’enquête, que les deux veulent mener à bien, tout en n’omettant pas de les faire évoluer au sein du récit. Doux équilibre d’écriture invisible qui sert vraiment l’histoire.
Mais Rodriguez n’en reste pas là, il apporte également un soin particulier à sa mise en scène, aidé par un décor très visuel ; les rizières et marécages d’Andalousie étant propices à cela. Sa caméra, souvent placée là où on ne l’attend pas (l’essence même du cinéma) semble parfaire le regard complice du spectateur, témoin et protagoniste par projection de cette enquête policière.
Et la photo d’Alex Catalàn respire les ton chauds, presque vieillis aussi, très 80’s, autant que les noirs, façon polars, pour les scènes de nuit. En somme, une ambiance aussi bien définit par son esthétique que par son aspect formelle. On pense en outre facilement à Memories of Murder de Bong Joon Ho (référence du réalisateur comme Clouzot par ailleurs, fond et forme qu’on apprécie tant).
L’histoire en elle-même très prenante (et parfois ouverte sur certains aspects) se suit avec un vrai intérêt quand trop souvent on essaye de nous perdre dans des trames beaucoup plus compliquées, et ce dans une ambiance parfois morbide et lugubre, mais qui ajoute un trait de réalisme au film.
La Isla Minima, auréolé de ces 10 Goya (équivalent ibérique de nos César) mérite amplement son succès. D’une noirceur sous-jacente mais intense, le film ressort comme une critique assez fine d’une Espagne post-franquiste, d’un pays qui il y a 30 ans pensait avoir expédié trop rapidement tout un passé. En parallèle de l’Histoire, cette enquête semble être une délicate métaphore d’un peuple qui ne voyait pas forcément ce qu’il avait sous les yeux, là où le mal le plus tordu se cache, au plus proche de ce qu’on pense inimaginable. Et comme le rappelle le film, au jeu du chat et de la souris, il n’y a pas vraiment de gagnant, ni de perdant.
Titulaire de 10 Goya dont meilleur film et réalisateur, La Isla Minima a été le grand vainqueur de cette édition 2015 et a marqué le cinéma ibérique moderne en proposant un polar de qualité supérieure lorgnant vers les pépites du genre US soit une déflagration artistique dans l’industrie actuelle du cinéma espagnol comparable à la découverte en son temps du talent d’Alejandro Amenabar avec Ouvre et les yeux en 2002.
Le réalisateur Alberto Rodriguez (Groupe d’élite) plonge rapidement le spectateur dans une ambiance sombre et poisseuse avec l’enquête de deux flics opposés (de prime abord) sur le meurtre d’adolescentes dans une petite ville andalouse. Ces deux personnages dissemblables, l’un est un père de famille ambitieux soucieux des règles quand l’autre plus âgé est adepte de méthodes expéditives héritées d’un passé trouble, vont vite se heurter à l’hostilité de nombreux locaux rudes aux complicités malsaines et à l’implacable loi du silence cimentant certaines relations; ils devront également mettre de côté leurs différences et gérer leurs démons intérieurs pour mener à bien cette sordide affaire de meurtres en série.
Alberto Rodriguez exploite formidablement les décors naturels de marécages du Guadaquivir pour faire monter une tension dramatique jamais relâchée au terme de 100 minutes tendues et éprouvantes. Question mise en scène Rodriguez montre un talent indéniable avec une composition au cordeau des cadres, des mouvements de caméra précis qui, ajoutés à la superbe photo, offrent une expérience cinéma saisissante. Néanmoins, on pourra tiquer sur quelques choix artistiques comme l’inclusion dans le montage final d’une courte scène onirique et la pertinence d’une poignée de plans aériens retouchés à la palette graphique façon La Terre vue du ciel, pas vraiment raccords avec la recherche d’une peinture réaliste d’une Espagne rurale post-franquisme trouble et craspec. A cause de ces réserves esthétiques qui flirtent avec le hors sujet, La Isla Minima échoue de peu à s’affirmer comme un modèle du genre.
Récit bien charpenté, mise en scène au cordeau et interprétation de grande qualité des acteurs de premier plan aux seconds rôles font de La Isla Minima une grande réussite dans le genre du policier en milieu rural, dans la lignée de Memories of murder et True detective saison 1.
Technique
Les images superbes rendent justice à la superbe direction artistique, au choix des décors naturels anxiogènes des marécages du Guadalquivir. Les deux pistes sonores offrent des ambiances riches propices à l’immersion dans cette sombre enquête policière.
Bonus
Le making-of (20′) assez complet aborde la psychologie des personnages, l’importance des répétitions, les difficiles conditions de tournage (en raison de l’orographie, de la chaleur, des moustiques), les 200 effets spéciaux (quasiment indétectables) utilisés dans ce film de genre unique en Espagne pour lequel son réalisateur a voulu un » « action plausible ».
Puis cette édition blu-ray Le Pacte propose ensuite un module sur les effets spéciaux (4′), une compil des plans truqués avec alternance d’image du tournage/image de synthèse/plan final.
Enfin est ajouté un module consacré à la direction artistique (2′) avec croquis préparatoires, story-board et photos de tournage.