L’aventure extraordinaire d’un homme ordinaire, précipité dans un conflit qui va durer des décennies : les croisades. Etranger sur une terre qui lui est étrangère, il va servir un roi condamné, s’éprendre d’une troublante et inaccessible reine avant d’être fait chevalier. Il lui faudra protéger les habitants de Jérusalem, dont une immense armée a entrepris le siège, sans jamais cesser de lutter pour maintenir une paix fragile…
Voici, pour CinéAlliance, l’avis de Céline Bathias-Rascalou, bibliothécaire spécialiste en histoire-géographie, sur l’épique Kingdom of heaven de Ridley Scott dans sa version director’s cut. Cette version bien meilleure que la version cinéma est disponible en version Blu-ray Disc avec un bonus copieux intitulé « Le chemin de la Rédemption » soit 420 minutes retraçant la création du film et aussi existe en Edition Ultimate 4 DVD malheureusement plus commercialisée.
L’avis de Céline
JÉRUSALEM CÉLESTE
Cinq ans après le très réussi Gladiator, Ridley Scott renouait avec le film historique dans Kingdom of Heaven. Délaissant l’Antiquité pour le Moyen Age, il brosse à partir de la chute de Jérusalem (2 octobre 1187) une grande fresque des croisades. Le Moyen Age revu et corrigé par Hollywood, on peut s’attendre au pire… Oui mais voilà, derrière la caméra, se trouve un grand habitué des paris audacieux.
D’un genre moins désuet que le péplum, le grand film chevaleresque a toujours été à la mode d’Excalibur à Braveheart. Cependant une fois de plus Ridley Scott ne choisit pas la facilité. Il opte pour la période la plus légendaire des croisades : la courte paix qui a régné entre la deuxième et la troisième croisade, à l’initiative des deux dirigeants emblématiques de l’époque, Baudouin, le roi lépreux, et le sultan Saladin. Elle a fait l’objet de tant d’adaptations romanesques qu’on n’en attend plus grand chose. Ce choix traditionnel permet toutefois de rendre compte de la complexité de la situation en terre sainte au XIIe siècle. Ainsi, Ridley Scott met en scène sans complaisance des personnages avides de gloire toute terrestre, comme les templiers, qui s’opposent à l’attitude conciliatrice des souverains… tout en brossant le portrait d’une série de chevaliers idéaux de Balian, le héros, à Saladin, le sultan. Le procédé est classique mais il rend assez bien le naufrage au XIIe siècle de l’idée de croisade bientôt suivi par la perte du royaume latin de terre sainte. Car au delà du parcours personnel du héros principal, Balian, c’est bien la croisade le véritable sujet du film. Notons d’ailleurs qu’il faut absolument le voir en version longue, la version sortie en salles étant loin de rendre justice à l’ampleur du sujet.
Quand l’histoire commence, Balian, le forgeron, interprété par Orlando Bloom, le Legolas du Seigneur des Anneaux, a perdu tout ce qui lui est cher : sa femme, sa foi ainsi que sa place dans le petit village où il vit. Il est véritablement un homme à reconstruire. Et cela tombe bien car arrive justement un groupe de croisés, dont le chef, Godefroi d’Ibelin (Liam Neeson), est le frère cadet du seigneur local. Sous prétexte de faire ferrer ses chevaux, il provoque un entretien avec Balian, lui confie être son père et l’invite à venir avec lui à Jérusalem, lui faisant miroiter les chances de seconde vie offerte par l’Orient. Balian refuse, mais le soir même, il tue son frère au cours d’une dispute et rejoint ventre à terre le providentiel Godefroi. Celui-ci mortellement blessé dans une escarmouche, confie son titre à son fils et l’arme chevalier avant de mourir sur les bords de la Méditerranée. Balian fait donc seul la traversée et se retrouve à Jérusalem. La ville n’est pas à l’image de ses espérances : la voix de dieu ne s’y fait pas entendre et la cité se fait au contraire l’écho des intrigues de la cour du roi Baudouin. Entre Baudouin et son rival Gui de Lusignan (Marton Csokas), l’époux de sa soeur Sybille (Eva Green), rien ne va plus. Le premier veut ouvrir Jérusalem aux croyants de toute confession en signe de paix quand le second ne rêve que d’en découdre avec les musulmans. Bien évidemment, Balian qui a hérité du noble caractère de son père, choisit le camp du roi de Jérusalem. Malheureusement Beaudouin, frappé par la lèpre, est à l’agonie. A sa mort, la princesse Sybille réussit un temps à maintenir la paix en gouvernant au nom de son propre fils. Mais lorsque celui-ci décède à son tour, le pouvoir revient naturellement à Gui de Lusignan qui réalise ses rêves guerriers et affronte Saladin (Ghassan Massoud) lors de la désastreuse bataille d’Hattin. Après cette cuisante défaite, Saladin se présente devant Jérusalem défendue héroïquement par Balian. Au terme d’une résistance courageuse, Balian finit par arracher des conditions de reddition clémentes et Saladin peut enfin entrer dans Jérusalem. Balian, quant à lui, retourne en France avec la princesse Sybille. De retour dans son village, il rejette l’invitation d’un illustre voyageur, Richard Coeur de Lion, en route pour Jérusalem…
En mettant en images, la lutte pour Jérusalem opposant chrétiens et musulmans du XIIe siècle, Ridley Scott, plonge à nouveau dans le gigantisme, avec un tournage de six mois au Maroc où la Jérusalem médiévale a été reconstituée, et dans le sud de l’Espagne pour les intérieurs, châteaux et cathédrales.
Soin apporté aux décors et costumes, composition des images, plans d’ensemble impressionnants, visages à l’expressivité douloureuse, la mise en scène confirme la maîtrise de l’un des plus habiles cinéastes en matière de grand spectacle. Le choix des acteurs est globalement assez convaincant. Orlando Bloom campe un Balian énergique, même s’il est loin de posséder le charisme de Russel Crowe dans Gladiator. La française Eva Green incarne une princesse Sybille toute en nuance. Jeremy Irons, Liam Neeson et Ghassan Massoud sont aussi parfaits. Au final, Kingdom of Heaven est un somptueux divertissement qui ne s’offre aucune concession, ni surenchère dans les violentes scènes de combats ni racolage dans la peinture de l’idylle entre Balian et la princesse Sybille….
Et l’Histoire n’y perd rien tout au contraire. Car tout est vrai, ou à peu près, dans l’atmosphère sociale, les clivages politiques, l’état d’esprit des contemporains.
Le film se fait assez fidèlement l’écho des recherches historiques récentes en cherchant à rééquilibrer les responsabilités des deux camps. Du côté chrétien, les fanatiques l’emportent à cause d’une vacance du pouvoir et du côté musulman, Saladin a également ses extrémistes qu’il doit constamment rappeler à l’ordre. Ridley Scott déclare qu’il a essayé de faire un film équilibré et « politiquement correct ». Peut-être un peu trop même! Il passe ainsi aisément sous silence la foi sincère qui animait la plupart des croisés et exagère sans état d’âme le rôle des templiers dans les affaires de Palestine en les présentant tous sans distinction comme des brutes fanatiques.
Tout est aussi (presque) vrai dans le récit des événements et les personnages. Même le héros Balian d’Ibelin est conforme au portrait qu’en donnent les chroniqueurs de l’époque, quoique moins âgé qu’il n’était en réalité à l’époque des faits (il avait en réalité environ cinquante-cinq ans en 1187 !…).
Les techniques de siège de l’époustouflante scène du combat pour Jérusalem sont bien celles de l’époque : tours mobiles avec pont-levis et échelles du côtés des assaillants; balistes (sorte d’arbalète géante) du côté des défenseurs.
Bien sûr un historien pointilleux s’offusquerait des nombreux anachronismes et inexactitudes du film. La scène d’adoubement de Balian par son père mourant est assez fantaisiste mais pas plus que celles habituellement vues à l’écran. Et, il faut bien le dire, la gifle qui scelle dans le film le serment du nouveau chevalier se rapproche finalement plus de la colée que l’apposition de l’épée sur l’épaule, trop souvent rencontrée au cinéma…. Les casques ronds portés par les défenseurs de Jérusalem appelés communément « chapel de fer » et que l’on aperçoit souvent en gros plans, datent en fait du XVe siècle. Enfin, Renaud de Châtillon, bien que très proche de l’ordre, n’a jamais été un templier et s’est contenté d’être le trop turbulent seigneur d’Outre-Jourdain. Par ailleurs, la scène de pendaison des templiers lors de l’entrée de Balian à Jérusalem est hautement improbable. Les chevaliers étaient plus volontiers décapités du fait de leur origine noble. Quant au fidèle Tibérias, le ministre du roi Baudouin interprété par Jeremy Irons, il s’agit en fait du comte Raymond III de Tripoli, qui a assuré la régence lors de la minorité du roi. Ridley Scott a modifié son nom pour éviter aux spectateurs la confusion entre Reynald – nom anglais de Renaud – et Raymond.
On pourrait encore en rajouter… Mais la liberté vis-à-vis de l’Histoire est inhérente au genre cinématographique du film épique. Ridley Scott lui-même avoue avoir pris des éléments historiques et les avoir arrangés entre eux comme l’envoi des médecins de Saladin pour soigner le roi lépreux, qui a eu lieu plus tôt dans la vie de Baudouin. De toute façon, le spectateur n’est pas dupe : il sait bien qu’il n’assistera pas à une reconstitution sans défaut. L’essentiel est ailleurs. On sait depuis longtemps qu’on peut violer l’Histoire du moment qu’on lui fait de beaux enfants. Objectif atteint avec Kindgom of heaven !
Kingdom of heaven director’s cut
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