Après avoir rompu avec sa petite amie, Huyk-jin traîne dans un bar de Séoul avec ses amis.
Complètement saouls, ils décident d’aller à Jeongseon, une petite ville de la province de Gangwon, afin de consoler Huyk-jin qui a le cœur brisé. Le lendemain, ce dernier prend le bus pour Jeongseon mais découvre qu’il est le seul pour cette destination. Il appelle ses amis, mais ceux-ci prétextent des excuses pour ne pas venir le rejoindre. L’un d’eux lui suggère d’aller à une auberge tenue par un ancien camarade d’université. En colère mais intrigué, Huyk-jin part à la recherche de cette pension, mais se trompe d’endroit.
Il est alors à mille lieux d’imaginer que ce n’est que le début d’un étrange voyage…
L’avis d’Alex :
Voilà mon coup de cœur du 15ème Festival des Cinémas d’Asie de Vesoul !
Tourné pour une bouchée de pain, le premier film du jeune Noh Young-seok est un drôle de « road movie ».
Prenant comme personnage principal un jeune citadin du genre naïf et « poissard », Daytime Drinking est une sorte d’anti-Odyssée intégrale ! Mais à la différence du célèbre héros mythologique, Huyk-jin traverse les épreuves de façon tout à fait passive sans jamais tirer les leçons de ses déboires à répétition… Attention toutefois, le réalisateur ne verse pas dans la caricature outrancière du « looser » intégral complètement à la dérive. Non, ici le « héros » est un jeune homme ordinaire (plus crédule que la moyenne je le reconnais bien volontiers !) qui se retrouve simplement embarqué dans des aventures dont il n’a absolument aucun contrôle ! Incapable de dire franchement « non » aux autres et toujours pris au dépourvu, notre pauvre bougre accumule les rencontres les plus bizarres…
Entre une jolie fille alcoolique qui le mène par le bout du nez, une femme « poète » qui ne le lâche plus et un routier aux mœurs « particulières », Huyk-jin va littéralement en voir de toutes les couleurs !!!
Toujours hésitant face aux difficultés, Hyuk-jin n’est assurément pas l’archétype du héros hollywoodien…
Noh Young-seok construit son histoire comme une farce tragi-comique dans lesquels les personnages rencontrés en cours de route réapparaissent constamment au moment où on les attend le moins. A cette répétition des mêmes personnages loufoques s’adjoint le fil « rouge » du film : la boisson…
Car dans n’importe quelle situation ou lieu différent, notre Hyuk-jin est chaleureusement (et fermement !) invité à trinquer avec ses hôtes. S’ensuivent donc de longues orgies à base de « soju » (alcool traditionnel coréen) tout au long du métrage…
Si d’un point de vue technique, le film n’est certainement pas exempt de reproches (l’image mini-DV n’est pas ce qu’il y a de plus esthétique), Daytime Drinking m’a énormément séduit tant je me suis « retrouvé » dans la peau du personnage principal, ce qui est évidemment un jugement hautement personnel…
Il faut dire que le comédien Song Sam-dong est tout bonnement impayable ! (Essayez d’imaginer un mélange entre Brendan Fraser pour la trombine et Pierre Richard pour les gaffes et vous aurez une petite idée du bonhomme…)
Reprenant en quelque sorte la trame d’ After Hours de Martin Scorsese mais avec ici un garçon sortant à peine de ses études, Noh Young-jin fait montre d’un très bon sens de la structure scénaristique, et j’espère de tout cœur qu’on lui donnera l’occasion de prouver son talent avec un budget plus « décent » pour une œuvre de cinéma…
Appel est donc lancé aux producteurs fortunés, mais aussi et surtout à un distributeur français qui aurait le nez bien fin de distribuer la bobine dans nos contrées !
Car à la différence notoire du fameux « soju », « Daytime Drinking » est à consommer sans aucune modération…
« Com-beye » !!! (?? !)
L’avis d’ Emmanuelle Costet (du Aye Aye Film Festival Nancy-Lorraine) :
« Celui qui boit le jour… »
C’est tout d’abord par des plans fixes sur des décors d’une banalité et d’une laideur à pleurer, et, il faut bien le dire, dans la grisaille d’une image plutôt « sale », que Noh Young-seok, – cinéaste coréen qui signe là son premier long métrage – nous entraîne dans un road-movie pas banal !
Ce « voyage », qui va bientôt s’avérer catastrophique pour son héros… se révèlera jubilatoire pour le spectateur !
Le pays est inhospitalier au possible : la montagne neigeuse est bien grise, le marché fermé, les échoppes cafardeuses, les bus ne passent pas à l’heure dite… et pour comble de poisse, les amis vous ont posé un lapin, et au mieux vous téléguident dans des contrées improbables !
Mais surtout, c’est ce pataud de Huyk-jin qui, chaque fois, se montre champion pour tout rater et se saborder lui-même…
Pour tuer le temps, on peut manger… et puis boire !
Oh, boire n’est pas vraiment son projet, au départ ! C’est plutôt un code social, censé faciliter la communication et donner du plaisir… et qui va produire un enchaînement de situations « dramatiques », au sens spectaculaire du terme. De verre en verre, de rencontre hasardeuse en rencontre fatale , l’alcool n’arrange guère sa passivité, son manque de discernement quant aux êtres croisés sur son chemin, et sa tendance à toujours faire le mauvais choix… et il tombe toujours plus bas, sans vraiment rien apprendre !
Je vois la marque d’un artiste sincère chez ce cinéaste débutant, en ce qu’il conserve toujours un regard plein d’aménité et de compassion pour son personnage, cet antihéros qu’il a créé plein de manques et souvent pitoyable, à partir d’un matériau qu’il semble bien connaître : l’être humain … et un peu de lui-même, peut-être ?
Mais malgré une ambiance souvent « glauque », il faut souligner tout l’humour qui traverse ce film, en quelques scènes elliptiques et légères, d’une autodérision certaine : ainsi, c’est à l’apparition d’un tigre, que nous avait préparés la mise en garde d’une vieille femme s’adressant au héros… or c’est un chien jaune que l’on voit surgir au coin de l’abribus où attend celui-ci !…
Comme ses lointains cousins de Stangers in paradise de Jim Jarmush, film que dit beaucoup aimer Noh Young-Seok, le héros du film passe à côté d’une rencontre qui peut-être, aurait pu donner consistance à son errance. Il ne reconnaît pas une possible âme sœur, et prend plutôt pour une folle, celle qui lui adresse pourtant des paroles de circonstance… celles d’un haïku* qui dit approximativement ceci :
« Dans ce monde fou,
Environné de tous ces fous,
Devenir fou. »
Huyk-jin ne sait pas encore que la poésie peut être un recours contre le désespoir ou la tristesse de vivre … et il s’appliquera encore longtemps à parachever sa chute …
Le film a la structure d’un cauchemar, et culmine d’ailleurs sur la vision d’un cauchemar du héros, mise en scène comme telle.
En effet, comme dans un mauvais rêve, et tant qu’il est livré à lui-même, chaque action du personnage Huyk-jin l’engage toujours un peu plus dans la perte de ses repères habituels, dans une dégradation des rapports humains qui ne sont plus que méprise (sur son identité-même), mensonges, entourloupes et abus de confiance. Le bien-être factice procuré par l’alcool tourne en douleurs d’estomac … la camaraderie de boisson s’avère être une illusion, qui recouvre un guet-apens crapuleux, ou plus tard sexuel…
Mais le film n’est jamais moralisateur !
Tout du long, il gardera cette tonalité tragi-comique qui sied si bien aux récits d’apprentissage !
Les brumes de l’alcool sont le mauvais génie du héros, mais elles peuvent aussi par moment procurer des instants de grâce, l’ivresse permettant aux trois amis, dans la scène du « barbecue sous la neige », de se découvrir mieux, d’ouvrir leur cœur, et même, le temps d’un soupir et d’un nouvel haïku, de s’ouvrir au sentiment poétique …
Dans la vie, il peut y avoir l’art, aussi ! Et c’est dans cette direction que NOH Young-Seok nous invite à tourner notre regard, au-delà de cette fin en « éternel retour » sur laquelle il nous laisse. Le héros, lui, semble bien parti pour refaire les mêmes bêtises… mais le spectateur, lui, aura peut-être un peu appris ?…