Au début du siècle dernier, Edith Cushing, une jeune romancière en herbe, vit avec son père Carter Cushing à Buffalo, dans l’État de New York. La jeune femme est hantée, au sens propre, par la mort de sa mère. Elle possède le don de communiquer avec les âmes des défunts et reçoit un étrange message de l’au-delà : « Prends garde à Crimson Peak ». Une marginale dans la bonne société de la ville de par sa fâcheuse « imagination », Edith est tiraillée entre deux prétendants: son ami d’enfance et le docteur Alan McMichael.
Avis de Manuel
Guillermo Del Toro ou l’égarement moderne. L’homme aux multiples projets (on en finit plus d’annoncer ses futurs différents long-métrages) aurait-il commencé à perdre la main ?
Après un Pacific Rim somme toute divertissant mais relativement creux et formaté dans son histoire, il revient avec un projet tout autant personnel et bien plus attrayant au regard de l’univers du cinéaste. Entre un cinéma baroque, proche de celui de Mario Bava (hommage) et les films d’épouvantes du studio Hammer, le décor semblait planter. Avec le maestro mexicain aux commandes, la réussite semblait au rendez-vous. Or, on semble assister au film le plus faible de réalisateur depuis de nombreuses années, hélas proche des déconvenues de ses productions plus que de la réussite de ses réalisations.
Crimson Peak est une vraie déception. Loin d’être inabouti le film s’avère bancal, difficile dans l’approche tatillonne de ses personnages (principal défaut du film), hésitant dans son récit qui rappelle en moins bien un des chefs d’œuvre du metteur en scène, L’échine du diable, auquel on pense forcément. Cette déception s’ancre principalement dans la manière dont les personnages avancent dans un récit labyrinthique et convenu à la fois, un paradoxe. Une sorte d’avancée aveugle du réalisateur dans un dédale trop connu pour surprendre. Ici, aucune poésie, comme Del Toro nous a habitué, une simple mécanique de sentiments presque oniriques pour combler le vide de personnages stéréotypés. Chacun est en roue libre. Même Jessica Chastain, coutumière de prestations irréprochables semble être dans une hystérie presque caricaturale. Les autres s’en sortent heureusement un peu mieux.
De ce fait Crimson Peak est long, lent et navigue à vue dans les profondeurs de l’épouvante qui ne surprend pas/plus. La surprise est-elle qu’on se demande ce qu’il a bien pu arriver au réalisateur pour dessiner son film dans cette direction. On retrouve bien évidemment un univers graphique presque irréprochable ; des décors somptueux, une musique enchanteresse sont heureusement là pour combler le reste. Car des clichés de mise en scène au surprise hors cadre qui n’en sont finalement pas, on ne sait pas trop à quoi s’accrocher pour aller au bout de ce récit dont on devine assez vite l’épilogue (plat qui plus est et même presque ridicule).
Guillermo Del Toro livre ici son film le plus approximatif, le moins travaillé dans sa dramaturgie, nous sommes loin, très loin de Le Labyrinthe de Pan, qui malgré toutes les bonnes intentions ressenties sur de nombreuses séquences n’arrive jamais à trouver l’équilibre entre fantastique, romantisme et épouvante. Comme si le metteur en scène n’avait su choisir un propos appuyé ou mixer de nombreux thèmes comme il a su le faire par le passé. Le casting, bien vu de départ, n’arrive hélas pas à survoler tous ces défauts et inscrit Crimson Peak dans la plus grande des déceptions. Venant d’un autre réalisateur, le film aurait une autre saveur, de Guillermo Del Toro, cette sortie de route, la deuxième de suite sur le même problème principal (aucun fond), commence à inquiéter. Le plaisir graphique ne se suffit plus à lui seul ; on attend bien autre chose d’un metteur en scène qui à se réaliser plus d’un chef d’œuvre. Attention à l’effet Tim Burton, le virus hollywoodien se propage.
Avis de Fabien
Après la récréation Pacific rim (2013), Guillermo Del Toro revient aux histoires d’épouvante qu’il affectionne et maîtrise si bien depuis L’échine du diable (2001) et Le labyrinthe de Pan (2006).
Situé à l’époque victorienne, Crimson Peak, avec son romantisme tragique, sa maison hantée avec son spectre, son sous-sol interdit et ses nombreux secrets, évoque aussi bien Les hauts de Hurlevent de Charlotte Brontë que La maison du diable de Robert Wise (1963).
Ce film gothique de très belle facture s’ouvre par l’image d’un livre ouvert : va nous être présenté un conte de fées cruel et noir. Belle mise en abîme prolongée avec l’héroïne qui écrit en amateur une histoire de fantôme pour laquelle un éditeur lui conseille d’ajouter une histoire d’amour, ce qu’est finalement Crimson Peak, une histoire d’amour avec un fantôme. A ce titre les séquences de terreur avec le fantôme numérique ne sont pas très réussies, le plus intéressant étant l’histoire d’amour tragique entre la jeune romancière et son nouvel époux, relation jalousée par la soeur du baronnet.
Si l’édifice narratif présente des imperfections, des trous d’air (premier tiers trop long à poser les fondations de l’histoire, tension dramatique trop intermittente, épilogue peu convaincant) la direction artistique impressionne durablement avec un gros travail de design, architectural : la maison hantée, personnage à part entière, a un aspect organique avec ses murs qui suintent d’une substance rouge, ses craquements inquiétants (« cette maison n’est qu’ombres, craquements, gémissements »). Le travail autour de la couleur rouge dans les décors comme dans les costumes somptueux s’inscrit dans une recherche d’excellence artistique vraiment remarquable. La mise en scène élégante (lents travellings, fermeture à l’iris) de Del Toro explore tous les recoins de cette demeure inquiétante et la psyché de son trio de personnages torturés, interprétés par des acteurs à la grande prestance dans leurs magnifiques costumes, révélateurs de la personnalité de leurs hôtes (Edith/Mia Wasikowska vs Lucille/Jessica Chastain, papillon vs phalène). On regrettera alors un dernier acte flirtant avec le grand guignol avec combat à coup de pelle et une excellente Jessica Chastain ici trop grimaçante.
En raison d’un édifice narratif aux nombreuses imperfections, Crimson Peak n’est pas pas le grand Del Toro espéré, celui du Labyrinthe de Pan ou de L’échine du diable mais s’avère être un retour réussi au gothique pour son auteur grâce à une direction artistique de premier ordre peu fréquente dans ce type de production horrifique.
Test blu-ray
Technique
L’excellente direction artistique avec une palette chromatique très riche, des noirs somptueux est à l’honneur dans cette copie blu-ray, tirée à partir d’un master intermédiaire de résolution 2K, où tous les détails de la maison hantée se rèvèle à nous grâce à un piqué de haute volée.
Direction la vo avec son format inédit en France le DTS:X Master Audio 7.1 (la VF est en 5.1 DTS) pour un mixage d’une grande précision avec des ambiances inquiétantes (craquements de la maison, bourrasques de vent, déplacements de personnages) et un score lyrique.
Bonus
Cette édition blu-ray Universal propose une interactivité rutilante avec des bonus passionnants, des featurettes avec intro manuscrite et citation de Guillermo Del Toro :
–« Je me souviens de Crimson Peak » : discussions entre Del Toro et ses acteurs sur un plateau décoré dans l’esprit du film avec focus sur des décors : « le couloir gothique » (4′), beau travail architectural avec souci du détail; « l’arrière cuisine »(4′); »les mines d’argile » (5′), le film avec son décor organique où tout suinte, coule marqué par la couleur rouge; « le décor des limbes brumeuses » (6′).
–« Une introduction au roman gothique » (6 ‘) : le film est inspiré par le romantisme gothique (fin XVIII ème siècle), proche de l’horreur. Guillermo Del Toro explique que » l’horreur gothique place le surnaturel comme partie intégrante du récit moderne. L’essence du roman gothique c’est une sombre histoire d’amour ». La 1ère oeuvre de fiction gothique est Le château d’Otrante d’Horace Walpole (avec un château et ses secrets, du surnaturel). Crimson Peak est pour Del Toro un « sombre conte de fées ».
–« L’ombre et la lumière dans Crimson Peak » (8′) : ont été érigés de magnifiques décors comme ces rues de Buffalo avec des machines industrielles (machines à vapeur, autos…) du début XX ème siècle. Gros travail sur les couleurs, dorées et tabac en Amérique vs noirs bleu sarcelle à Allerdalle Hall où les tons froids dominent. Lucille est « une phalène noire » pour Jessica Chastain. Enfin pour son réalisateur « le langage des couleurs fait partie de la narration ».
–« Du gothique fait main » (9′) : les costumes, tenues confectionnées avec rigueur et expertise, devaient refléter la personnalité, les tourments des personnages et font référence à l’architecture de la maison. Un modèle pour ses costumes est un tableau du peintre Caspar David Friedrich.
–« Une chose vivante » (12′) : focus sur la maison hantée construite dans un style néo-gothique. La maison est présentée comme un monstre rouillé avec ses murs craquelés, suintants de l’argile. Del Toro précise au sujet de l’édifice : « Dans le genre de l’horreur la maison hantée est consciente et diabolique. Dans le gothique c’est une manifestation de l’âme des personnages ou du déclin moral « .
–« Méfiez-vous de Crimson Peak » (8′) : l’acteur Tom Hiddelston nous sert de guide sur le plateau gigantesque dans les studios Pinewood de Toronto où fut érigée la maison et dévoile sa magie, ses secrets.
–« Les fantômes pourpres » (7′) : les fantômes sont en fait un mélange d’effets spéciaux physiques et numériques, avec des acteurs en costume puis ajout, prolongement en images de synthèse.
Enfin la section suppléments propose 5 scènes coupées (4′) et le commentaire audio de Guillermo Del Toro.