Synopsis : La naissance et la mort sont deux incroyables expériences. La vie est un plaisir furtif.
L’avis de Quentin
Climax. En un mot la croisette s’enflamme. Gaspar Noé est de retour, l’enfant terrible du cinéma français, enfanté par Cannes ayant accueilli par le passé Seul Contre Tous à la Semaine De La Critique puis Irréversible, Enter The Void et Love en Sélection Officielle, fait cette année une entrée mystérieuse dans la Quinzaine Des Réalisateurs.
Mystérieuse car nous ne connaissons que très peu de choses sur cette nouvelle œuvre hormis son titre. Le réalisateur n’ayant donné qu’un synopsis énigmatique ainsi que le logo de l’oeuvre.
Cependant de nouveaux indices voient le jour à la veille de la projection avec un slogan « I WILL MAKE FRANCE GREAT AGAIN » ainsi que trois indices sur une affiche : « Dancers / Dark Events / Occult Forces ».
Face à cette communication épisodique, quelques questions viennent chatouiller le questionnement du public. Quelle voie va emprunter Noé pour secouer et retourner son auditoire ? Reprendra-t-il la simplicité et la radicalité de ses débuts (Seul Contre Tous, Irréversible) ? Optera-t-il pour une réalisation manichéenne et expérimentale (Enter The Void) ? Ou bien va-t-il explorer de nouveaux horizons, de nouvelles approches comme il avait pu le faire pour Love ?
Noé donne les réponses à toutes ces interrogations dès l’entrée en matière. Toutes ces expériences passées seront compactées et concoctées de manière à frapper, à asséner les coups de manière brutale à la salle. La crasse et l’audace technique des premières œuvres sont ici, écrasées sous les néons et l’éclat des derniers travaux du cinéaste français.
Le film, comme toujours chez Noé, est habilement monté dans sa chronologie, permettant aux spectateurs de se perdre dans ce théâtre macabre qu’est sa création. Noé prend le temps de présenter ses protagonistes, ainsi que les liens qu’ils entretiennent les uns avec les autres. Cette façon d’amener le sujet va permettre une montée crescendo tout au long du film à la manière d’une bombe à retardement.
On observe les relations ainsi que les interactions entre les personnages s’altérant continuellement au fur et à mesure des répercussions d’une drogue, inconnue, ayant été versée dans la sangria commune.
A partir de cet instant précis, Noé libère ses pantins, à une ouverture totale sur leurs envies, fantasmes et déviances. Les codes de société disparaissent, l’être humain redevient animal.
De plus, ce propos est servi par deux pièces maîtresses de l’œuvre du réalisateur : la technique de mise en image et la bande-son.
On quitte alors les longs plans fixes de Love pour retrouver la nervosité, le tourment, la nausée qu’avaient pu nous transmettre les longs plans séquences d’Irréversible.
A l’exception, que le maître possède de mieux en mieux sa technique de cinéma giratoire. On se retrouve totalement aspiré, hypnotisé par cette horloge qui ne cesse de tourner, tout en gardant le contrôle et la radicalité sur son discours. Le spectateur est porté par des séquences excédant les quinze à vingt minutes chorégraphiés d’une main de virtuose. C’est d’ailleurs en cela que Noé marque des points, centrant sa caméra sur des danseurs professionnels comme objet de fantasme, il peut se permettre de devenir chorégraphe et concevoir un ballet d’ultra-violence.
Le métrage se déroule dans un établissement en rase campagne, aux allures de boîte de nuit, dans lequel les personnages sont piégés de par les conditions météorologiques apportant une approche anxiogène au film.
Le jeu sur les néons et les lumières est exemplaire berçant les ressentis et réactions des protagonistes passant d’un vert crasseux à un rouge profond organique.
Son procédé de mise en image permet de faire entrer les personnages en contact les uns avec les autres jusqu’à un véritable résultat lorgnant du côté des champs de bataille, ou plus simplement de l’orgie.
Le tout est soutenu par une bande-son remarquablement sélectionnée. On y retrouve comme toujours chez le cinéaste, une véritable hétérogénéité dans la proposition bien que ce dernier soit toujours très attaché à la scène Electro/ Techno.
Le festin orgiaque est alors dispensé au rythme de formations telles que Aphex Twin, Cerrone, Suburban Knights, Dopplereffekt, Thomas Bangalter, Daft Punk ou encore même The Rolling Stones.
Cet assemblage entre sa technique vidéo et son travail autour de la bande sonore, apporte un côté explosif au film, nous plongeant dans une fièvre abyssale.
De plus, Noé, comme à son habitude s’est permis de nombreuses références et les a presque toutes réunies dans son plan introductif. On y retrouve alors Salò de Pasolini, Suspiria d’Argento, La Maman Et La Putain de Eustache, Le Chien Andalou de Bunuel ou encore même des écrits de Kafka.
Car avant tout, Climax reste un film de passionné, un film rêvé, fantasmé par son metteur en scène. Un espace de liberté d’expression sans frontières, sans barrages.
Cependant, c’est peut-être ici que le film pêche sa faiblesse. Là où Noé nous pose le cadre d’un matériau sans limite d’exploitation, il se hisse des murailles empêchant, le spectateur, d’entrer dans la phase traumatique si spécifique au cinéma du cinéaste.
De plus, Climax s’empêtre parfois en ne parvenant pas à trouver son identité propre s’embourbant d’auto-identifications continue aux précédentes œuvres de Gaspar Noé. Ce dernier avait réussi au cours des vingt dernières années à porter son cinéma vers de nouveaux horizons à chaque sortie. Dans son dernier effort, il revient sur ses travaux et procédés pour tenter de les mêler dans un pot pourri assurant une certaine zone de confort à son metteur en scène.
Climax reste avant tout un film fiévreux, hypnotique, fascinant dans lequel sexe, drogue et ultra-violence nous bousculent dans une danse brutale, provocatrice, mais avant tout fantasmée tout autant par son réalisateur que par son public.
Un film d’une intensité rare, une expérience inoubliable.
L’avis de Manu
On ne fait plus les présentations avec Gaspar Noé, dernier innovateur/provocateur de la « scène-tième » art française. On rejette ou on adhère, le clivage est parlant et acté.
Evidemment son dernier film ne déroge pas à l’ensemble de sa filmographie et provoque les sens bien au-delà de la moralité cette fois. Climax est une nouvelle expérience, une proposition radicale dont l’essor se situe entre le documentaire détourné (inspiré de faits réels dans les années 90 ici) aux plans séquences inouïs et la fiction choc qui provoque l’émergence de sensations trop rarement ressenties au cinéma. Climax est physique, Climax est unique.
Manège visuel qui démarre par de simples présentations pour ensuite tourner à plein régime sous l’œil du spectateur, pas forcément averti du spectacle à venir. Choc visuel, impact sonore et auditif, Climax semble être un condensé soft d’Irréversible conjugué à une lecture sociale, acidulée et festive. Tout dans ce film est radical, de sa forme, à son aspect graphique, tout est pensé pour jouer de l’espace formel et temporel. C’est fou et costaud, à tel point que le film n’est pas à mettre à disposition de tous, la caméra vole, virevolte, surfe. Seuls les plans fixes sont là pour attester et identifier les comédiens, donner deux séquences afin de respirer. Deux fois seulement, en introduction du film, sous la forme d’un casting (Noé en profite pour faire des clins d’œil littéraires et cinématographiques aux artistes qui l’ont influencés, Lynch, Eustache et j’en passe) et lors de dialogues (souvent en binômes) où l’ensemble du casting aura eu le droit de jouer normalement « quelques » instants. Pour le reste, c’est la somme d’un travail de préparation énorme, chorégraphie des danses dans un premier temps et des corps par la suite (on ne spoilera pas le film) qui fait œuvre dans le film. Plans séquences un peu fous, caméra débullée et même volante, constituent la mise en scène de Gaspar Noé.
Sous cet aspect sensoriel Climax se vit comme une expérience unique à hypnotiser les uns et évidemment écœurer les autres. Si créer du vide est souvent l’argument des détracteurs de cet auteur de génie, les mêmes arguments pourront être ressortis ici sous l’égide de la mauvaise foi. On peut ne pas aimer mais on doit saluer cette performance et proposition essentielle (vitale même) à l’heure où le cinéma français ne propose que des comédies fadasses et très souvent dénaturées de tout. La vulgarité ne se situe décidément pas où on voudrait la placer.
Si, comme chuchote Noé, le temps détruit tout, espérons qu’un jour, le temps écoulé, avec un peu de recul, donnera raison à ce genre de film qui fait vivre des expériences cinématographiques intenses en salles, physiques et émotionnelles, comme c’était le cas il y a encore quelques années.