Capitaine Phillips retrace l’histoire vraie de la prise d’otages du navire de marine marchande américain Maersk Alabama, menée en 2009 par des pirates somaliens. La relation qui s’instaure entre le capitaine Richard Phillips, commandant du bateau, et Muse, le chef des pirates somaliens qui le prend en otage, est au cœur du récit. Les deux hommes sont inévitablement amenés à s’affronter lorsque Muse et son équipe s’attaquent au navire désarmé de Phillips. À plus de 230 kilomètres des côtes somaliennes, les deux camps vont se retrouver à la merci de forces qui les dépassent…
L’avis de Manu Yvernault :
On avait peu de nouvelles de Paul Greengrass depuis Green Zone. Trois années donc où le réalisateur a pris tout le temps nécessaire pour adapter le livre du Capitaine Richard Phillips, livre relatant la prise d’otage dont il fut victime durant quelques jours en avril 2009.
On connait la marque du réalisateur depuis ses précédentes réalisations, deux volets de la série Jason Bourne et Vol 93 qui relatait avec réalisme les 90 minutes qui se sont écoulées à l’intérieur d’un des avions détournés lors de 11 Septembre 2001.
Sa mise en scène quasi didactique est depuis la marque de Paul Greengrass, technique et cinématographique, un réalisme à l’ADN de documentaire qu’on avait pu découvrir dès son premier film Bloody Sunday.
On pourrait scinder le film en deux huis clos, parfaitement équilibrés, dont l’un, le navire (l’infiniment grand) répondrait à l’infiniment petit du bateau de sauvetage. C’est avec la maîtrise qu’on lui connait que Paul Greengrass réussit son film du premier au dernier plan. Sans jamais sacrifier le rythme au spectaculaire (pas forcément évident sur 2h15 de film), le réalisateur prend le temps d’installer doucement l’ambiance mais également la caractérisation de ses personnages.
La mise en scène se prête totalement au sujet. Cette forme de réalisation au plus proche de celle du documentaire, trouve sa force autant dans la représentation crédible et véridique de son histoire, que dans la force de son traitement, radical, au plus proche des hommes, dans la forme comme dans l’étude de leurs comportements. Ici, pas de travelling, de caméra posée. Une liberté de mouvements de chaque instant, des visages captés bord cadre, des acteurs qui se servent de l’espace dans lequel ils jouent comme une scène de théâtre à s’approprier.
Si la réalisation est réaliste le sujet l’est tout autant. Paul Greengrass dresse en même temps un portrait d’hommes ainsi qu’un constat des nécessités économiques de la Somalie. Force est de constater que l’ensemble relève d’une lecture intelligente. Avec un certain recul, il laisse au spectateur la liberté de son propre point de vue, convoquant l’intelligence de chacun pour comprendre les enjeux des différents partis. Un regard posé à bonne distance afin de laisser le spectateur réfléchir aux destins de ces hommes qui par la force des choses tombent dans la piraterie en condamnant cependant l’acte en lui-même.
De plus, le propos ne permet pas une condamnation ferme, le film échappe ainsi aux flirts patriotiques de nombreux films américains.
Au-delà de ces aspects Capitaine Phillips possède de vrais élans cinématographiques, des tensions permanentes et une mise en scène frénétique mais contrôlée où la nervosité permanente de sa caméra répond aux comportements de ses acteurs.
A ce titre Tom Hanks livre une prestation d’une remarquable justesse. Si l’acteur nous a habitué à de solides compositions, il n’a pas incarné un personnage de manière aussi prenante depuis une dizaine d’années ; aussi il serait peu étonnant de le voir nominé à la prochaine cérémonie des Oscars. Prestation d’une grande richesse émotionnelle qui explose dans un climax à la limite du lacrymal pour le spectateur. L’autre découverte de Capitaine Phillips est également Barkahd Abdi qui, dans une moindre mesure, réussit pleinement ses premiers pas devant la caméra. A tel point que les deux hommes tiennent à aux seuls le film sur leurs épaules.
A nous parler avec une forme si particulière d’hommes et de destins entrelacés, Paul Greengrass met finalement en avant une critique de la globalisation mondiale. Là où dans les eaux territoriales des destins se croisent, des vies que tout opposent, viennent s’entrechoquer. A travers cette histoire d’hommes au courage différemment exposé, on peut lire une critique d’un monde qui fonctionne autant par flux humains que par vagues économiques.
C’est avec une réalisation proche du docu-fiction, très maîtrisée que le réalisateur se permet de poser un regard autant critique qu’intelligent. La mise en avant du courage d’un homme, joué par un Tom Hanks de haute composition, répond également à un regard d’enjeux politiques et sociaux. Franche réussite, Capitaine Philipps répond donc à de nombreux grands films, ceux où le divertissement se conjugue à la réflexion et aux films qui parlent d’hommes ; tout en restant un thriller très efficace. A ce petit jeu, il ne serait pas étonnant de retrouver le film en février prochain, dans de nombreuses catégories, au moment d’attribuer la statuette dorée.