Novembre 1919. Deux rescapés des tranchées, l’un dessinateur de génie, l’autre modeste comptable, décident de monter une arnaque aux monuments aux morts. Dans la France des années folles, l’entreprise va se révéler aussi dangereuse que spectaculaire..
Avis de Manu
A l’annonce du projet, la curiosité était de mise quant à l’adaptation du Prix Goncourt 2013, Au revoir là-haut, roman dense et chargé de Pierre Lemaitre, kaléidoscope d’une époque. Or, en projetant les lignes du roman sur grand écran, en s’autorisant donc l’adaptation la plus juste pour ce mode de narration (quelques changements importants dont la fin ; le tout nécessaire et continuellement au service du récit), Albert Dupontel semble être dépositaire de son meilleur film.
Trublion nécessaire du cinéma français, et malgré tout l’affect qu’on porte à son cinéma, Albert Dupontel semblait sortir de moins en moins des genres qu’il tutoyait tout au long de sa filmographie, avec ce regard juste sur les marginaux de notre société, bordé d’un humour noir, quasi marque de fabrique d’une satire dont il affecte les effets et « l’essence ». Ici, pour la première fois, le scénario n’est pas original mais adapté et pourtant rien n’a changé. Le soin apporté à tous ses personnages, même les seconds rôles (comme toujours chez lui), transpose le petit plus nécessaire qu’on retrouve dans le livre, aussi bien dans la manière de les filmer que de diriger les comédiens de l’ensemble de son casting.
Formellement, le film est pleinement réussi; à l’écran rien ne semble fauché, voire surpasse souvent les grosses productions, autant par le génie de la mise en scène que par le souci des détails nécessaires dans la reconstitution des lieux de l’époque. A ce titre la bataille dans les tranchées est sans doute ce qu’on a vu de plus impactant dans le cinéma français, là où l’art de la préparation, du découpage et du montage est mis en avant pour rendre l’effet d’un carnage humain. Tout est superbement pensé et dynamique. Le réalisateur a voulu retrouver un procédé des frères Lumière, la trichromie, qui consiste à coloriser le négatif en partant des couleurs primaires. Le film se borde alors d’un grain vraiment unique qui l’inscrit encore plus son époque.
Des idées? le film en est plein, entre la magie de la mise en scène, sa virtuosité (peut-être un peu d’excès dans l’utilisation des plans avec grue), à la direction d’acteurs, on retrouve dans cette mise en scène l’ADN d’Albert Dupontel, cette fois orné d’une poésie populaire et non toujours second degré comme à l’accoutumé. Difficile à certains moments de ne pas penser à Jean-Pierre Jeunet et son Un long dimanche de fiançailles (même époque filmée, originalité de la mise en scène, Dupontel au casting…). Mais là où le talent du réalisateur excelle à nouveau c’est dans sa facilité à conjuguer un nombre incroyable de comédiens tous différents, les faire cohabiter dans un même univers et tirer de leur jeu autant d’instants dramatiques que de purs moments de comédies, de poésie douce, comme lui seul semble savoir faire.
Le sujet même de son récit aurait pu le faire rentrer dans un cinéma conventionnel, or il échappe à ça en restant lui même, en se réinventant continuellement et en sachant ce qu’il est venu filmer, un cinéma populaire mais sans jamais perdre la poésie sociale qui baigne ses films, tout comme l’aspect névrotique sous-jacent de ses personnages et de l’ensemble. Evidemment l’anarchisme naturel du conteur qu’il est reste présent lors de scènes diverses et variées où la bourgeoisie en prend pour son grade, où le système (miroir actuel) tente de profiter des plus faibles avec une monstruosité à peine cachée par le jeu de certains comédiens et des textes. Ici l’image sert le récit, tout mouvement est utile, les textes se calquent sur cet ensemble dans un rythme effréné et délicieux de cadences et de tons ; on ne compte plus les répliques et réparties qui font mouche, c’est encore ici qu’on retrouve la patte du réalisateur.
Au revoir là-haut signe le retour d’Albert Dupontel pour son film le plus audacieux. Si on doit mettre de côté le 100% irrévérence habituelle, ce point n’est pour autant pas resté hors cadre et s’intègre cette fois avec plus d’équilibre autour d’un récit plus poétique et moins frontalement critique de notre société. C’est un joli virage en douceur, une nécessité pour son auteur de mettre en scène et en mots une telle histoire, et sans jamais se perdre, sans jamais perdre le cinéma qu’il affectionne tout en y apportant la nervosité, l’aspect névrosé mais également poétique et terriblement humain qui compose son cinéma. Plus classique mais toujours original sous une certaine forme dans un cinéma français trop souvent cloné.