Pinky, une jeune Texane de 18 ans, est engagée dans un sanatorium du désert californien. Elle y rencontre Millie, modèle de féminité en perpétuelle quête de perfection et de reconnaissance sociale, qui lui enseigne les ficelles du métier d’aide-soignante, l’invite à emménager dans son appartement et lui présente Willie, une mystérieuse artiste peintre. Fascination, répulsion, emprise, usurpation… De leur singularité va se tisser un lien vénéneux… Ces trois femmes en surface si différentes pourraient bien se rapprocher jusqu’à la folie…
L’avis de Quentin :
Wild Side a la merveilleuse idée en ce début mai de fouiller dans ses cartons et de nous apporter deux nouvelles enthousiasmantes. La première, est que l’éditeur au chat ébouriffé a la judicieuse idée de sortir au format Haute Définition un film de Robert Altman. La seconde, c’est que Wild Side n’a pas choisi la facilité en éditant un film parfois oublié de la filmographie du réalisateur américain : 3 Femmes.
Face à une telle annonce, Cinéalliance.fr ne pouvait se retenir de vous présenter cette oeuvre complexe et matricielle du cinéma moderne.
Notre chronique se présentera en deux parties :
I) La critique de 3 Femmes
II) Les caractéristiques techniques du médiabook Blu-ray/DVD
I) La critique de 3 Femmes
3 Femmes occupe une place à part dans la filmographie de Robert Altman. On peut aborder le film comme un essai, un long-métrage expérimental singulier ouvrant la porte à toute une génération de cinéastes. Il est rare de se frotter à de telles œuvres tant elles viennent nous happer pour ensuite nous hanter durant de longues journées.
Le réalisateur a conçu 3 Femmes en se basant sur un rêve qu’il aurait fait. En partant de divers points marquants de cette échappée nocturne, le cinéaste va concevoir une oeuvre en plein désert ou chaque scène prend des allures de mirages.
Il traite le sujet de la quête d’identité. Les différentes étapes par lesquelles une personne passe pour se construire, les modèles qu’il érige afin de se constituer adulte. Le metteur en scène va alors pousser le processus identificatoire de manière perverse, allant jusqu’à l’usurpation d’identité. Il estompe les frontières entre les individus jusqu’à ce qu’ils ne fassent qu’un.
Altman installe son récit autour de trois femmes qui ne cessent de se chercher, de s’évader, n’acceptant pas leur image allant constamment vers un perfectionnement de leur personne. Le casting est remarquable. Les protagonistes nous saisissent jusqu’à la dernière minute et nous extirpent de notre comportement passif vis à vis de l’écran. On peut parfois même redouter que Sissy Spacek ne sorte de l’écran pour s’emparer de nos propres personnalités.
Ainsi Sissy Spacek, prend le rôle d’un personnage vierge de toute antériorité, de tous codes sociaux, qui semble au début du film tomber du ciel. Elle va alors très vite se prendre d’affection, d’adoration pour le personnage interprété par Shelley Duvall. Cette dernière, quant à elle, fait en sorte de mettre en avant tous les codes préconisés par les magasines, et autres idées reçues pour parvenir à être aimée de tous, la « femme parfaite ». Elle est en quête de reconnaissance, d’amour. Cependant, personne ne lui parle, ni la fréquente. Elle semble comme invisible. Lorsqu’elle salue, personne ne lui répond. Elle va alors s’attacher au personnage de Sissy Spacek, qui lui voue un culte sans limite, quitte à en perdre son âme, sa personne. Enfin, la troisième femme du film, campée par Janice Rule, est très détachée à la fois du duo féminin mais également du monde. Personne ne lui adresse la parole, personne ne veut la comprendre. Elle est prisonnière de son art, un art annonciateur des drames à venir. La peinture est à la fois sa prison sociale mais aussi son échappatoire. Son rôle attache un symbolisme, un psychédélisme qui fait le caractère atypique de l’oeuvre.
On ne sait jamais réellement si le film s’ancre dans notre réalité, dans un rêve ou bien dans un monde parallèle. On ne cesse de se demander si nous sommes bel et bien face à trois femmes ou tout simplement à une seule. Ces femmes sont si typées, que l’on se questionne sur les différentes facettes qu’un individu peut développer, dévoiler. Le film peut même être vu comme une apparition, une vision des pensées d’une personne. On peut y voir sa manière d’y penser l’art, le monde, les relations humaines ou tout simplement la vie.
Altman a la merveilleuse idée de s’accompagner de Chris McLaughlin, pour proposer une bande-orginale, suffocante, piégée qui nous charme lors des premiers plans pour mieux nous saisir lorsque le film accélère son développement. Le thème principal du film n’hésitera pas à revenir à plusieurs reprises tout au long de l’oeuvre et continuera de nous hanter longtemps après le visionnage. Une oeuvre forte, malade, habile, tortueuse tout comme le sont ces majestueuses trois femmes.
Le film du cinéaste américain tout comme Duelle de Jacques Rivette marque les prémices d’un cinéma psychédélique et labyrinthique qui prendra son envol quelques années plus tard dans les mains de David Lynch et tout particulièrement avec la palme d’or : Mulholland Drive.
3 Femmes est une délicieuse oeuvre perverse, sachant jouer sur de nombreuses tonalités parfois viles, tout comme bienveillantes. Le mystérieux film de Altman mérite d’être redécouvert. Une pièce maîtresse pour comprendre le cinéma moderne, une oeuvre incontournable pour le 7° art.
II) Les caractéristiques techniques du médiabook Blu-ray/DVD
Image :
Le master 2k proposé par Wild Side apporte un véritable gain qualitatif face à l’ancien format DVD qui était plein d’imperfections. Le grain ressort de manière assez prononcée ne faisant qu’accentuer l’aspect rêveur de l’oeuvre. Le travail proposé ne fait que souligner la symbolique du mirage qui ne cesse de planer au dessus du spectateur. La colorimétrie légèrement pâle laisse se dérober les couleurs vives absorbant littéralement le spectateur.
Le format image présent respecte à la lettre le format d’origine de l’oeuvre d’Altman.
Le master est assez proche de celui proposé par Criterion, à l’étranger, qui est depuis bien longtemps épuisé.
Une proposition très agréable nous est ici faites par l’éditeur français pour un titre épuisé depuis de nombreuses années.
Note image : 4/5
Son :
Wild Side nous propose deux pistes avec :
- Anglais DTS Mono et Dolby Digital Mono :
La piste anglaise mono est somptueuse et rend un bel hommage au travail du réalisateur américain. Elle parvient à ordonner les dialogues qui s’enchevêtrent. Altman aime laisser parler plusieurs personnages à la fois pour s’approcher de la réalité. Le master son proposé permet à la fois de laisser les discussions principales en avant mais également de pouvoir percevoir les dialogues prenant place en second plan.
Une balance exemplaire se joue entre les effets sonores, la bande originale et les voix. Aucun ne prend le pas sur l’autre. L’équilibre est ici irréprochable et semble d’ailleurs le meilleur moyen de profiter du film de Altman.
Note Son Anglais : 5/5
- Français Dolby Digital Mono :
La piste française, quant à elle, est particulièrement indigeste. Elle mixe les voix de manière imposante, faisant s’éclipser les dialogues se déroulant au second plan. Le jeu de piste proposé par 3 Femmes perd alors très rapidement de sa superbe. De plus l’ambiance sonore se retrouve impactée par la présence trop importante des voix au premier plan.
Préférez la version originale qui est nettement la grande championne de cette édition.
Note Son Français : 2,5/5
Suppléments :
L’éditeur au chat ébouriffé nous régale d’une édition riche en supplément :
- Un livret de 60 pages formant le mediabook de 3 Femmes : Wild Side propose dans son édition un livret de 60 pages, écrit par Frédéric-Albert Levy, qui revient sur la genèse de l’oeuvre. Il anlyse le rêve de Altman qui est à l’origine du film et va bien plus loin. Il prend le temps d’écrire sur le scénario, le choix des actrices, et l’équipe du film. Nous aurons même le droit à un formidable encart sur le travail complexe qu’est le sous-titrage des films d’Altman pour retranscrire les discussions au premier et au second plan, qui se développent en simultané. Le livret est agrémenté de nombreuses photographies nous plongeant entièrement dans ce chef d’oeuvre du 7° art. Un écrit indispensable.
Le livret nous est proposé sur un très beau papier couché satiné. Un mediabook du plus bel effet.
- Un film de rêve(s) : entretien avec Diane Arnaud, essayiste et universitaire : Un entretien fort d’une quarantaine de minutes qui nous fait revenir sur les conditions de tournages, les acteurs ainsi que le réalisateur mais qui va bien au-delà de l’entretien traditionnel nous offrant une véritable analyse cinéphile de l’oeuvre. Diane Arnaud ne cesse de livrer des clés de lecture à l’oeuvre labyrinthique de Altman. Elle revient sur le symbolisme transcendantal dont fait part le film. Elle le replace dans son cadre et met en lumière l’impact que le long-métrage a eu sur le cinéma moderne. A la fin de ce supplément, vous n’aurez qu’une envie : vous replonger dans le voyage expérimentale qu’est 3 Femmes. Une belle manière d’offrir une multitude de lecture à une telle oeuvre. Merci Wild Side pour ce supplément exclusif !
Note suppléments : 5/5
Wild Side nous propose ici l’édition de 3 Femmes la plus exaltante qui a vu le jour sur l’hexagone mais également sur le marché vidéo international. Une véritable pépite, un incontournable tout simplement.