Début des années 90. Alors que le sida tue depuis près de dix ans, les militants d’Act Up-Paris multiplient les actions pour lutter contre l’indifférence générale.
Nouveau venu dans le groupe, Nathan va être bouleversé par la radicalité de Sean.
L’avis de Manu
Rares sont les films français qui nous parlent de cinéma, ou qui en redéfinissent les termes. Par son succès cannois, quasi indiscutable (apparemment), 120 battements par minute s’avance avec ce statut dans les salles françaises et évidemment de nos jours par sa réputation acquise à travers la presse bien sûr mais également via les réseaux sociaux (forcément). De ce fait le poids porté sur cette œuvre est relativement important et, subjectivement, se conjugue au ressenti qu’on a pu avoir sur le film. C’était un chef d’œuvre annoncé, lacrymal en soi où on ressort dévasté…trop lourd tribu qui peut légèrement en atténuer le ressenti au moment du générique fin sans en dévaluer ses qualités.
Soyons clair, 120 battements par minute est un film guerrier, militant, impactant, nécessaire et plein de vie. Mais sans dénigrer l’œuvre, on peut émettre une parenthèse sur l’ensemble du film, du moins sur le plan émotionnel que chacun pourra y trouver.
En outre, ce qui émerveille avant tout dans le film c’est la capacité de Romain Campillo à peindre et rendre juste et réaliste cette période au début des années 90, où certains se sont battus pour le droit de vivre, pour le droit de vie de certains exclus (« putes, toxicos…»). On reconnaît immédiatement la patte et la touche narrative du scénariste d’Entre les murs, cette immédiateté, cette vérité et ce miroir quasi documentaire de ce qu’à pu être le on/off d’Act Up. Les dialogues sont ciselés, parfaits, les relations entre les protagonistes, justes, touchantes et vraies. Et pour porter le récit et l’ensemble de ces répliques, l’intégralité du casting est simplement fantastique, aucune fausse note (hormis peut-être Adèle Haenel en tout début de film); du plus petit au plus grand rôle, chacun dégage le sentiment d’avoir vécu ces années là, d’avoir souffert et été concerné par cette période de combat, de lutte acharnée. On peut même déjà penser qu’en fin d’année, au moment des nominés pour le totem doré, chacun (sinon plus) sera représenté dans chacune des catégories d’interprétation. Romain Campillo les dirige parfaitement dans des rôles qui semblent avoir été écrit pour eux avec mention spéciale à Nahuel Pérez Biscayart, Arnaud Valois et Antoine Reinartz.
Et puis bien sûr il y a cette mise en scène, son sujet et ces vecteurs humains qui ne font plus qu’un. Par un choix de montage judicieux, de séquences rêvées, fantasmées ou festives qui viennent comme des interludes, des respirations tout au long du film, tout prend petit à petit l’intensité souhaitée. Par sa volonté de filmer les corps au plus près (probablement aussi pour une économie de tournage bien réappropriée, notamment lors des gay prides, les scènes de manif…), Romain Campillo, cadre serré, installe le spectateur au plus près des instants vécus, de la souffrance, comme de la lutte fraternelle qui les a tous unis à une époque pour faire changer les choses. Changer les choses pour le simple droit à la vie, car 120 battements par minute est avant tout un film étendard pour cette lutte simple, celle de vivre. Le film en déborde, comme il déborde également de cet aspect mortuaire contre lequel il fallait toujours lutter, en groupe comme en couple, quotidiennement. Ici encore, dans les instants les plus intimes, de gestes d’amour comme de survie, Campillo vise juste et pose sa caméra avec intelligence et une certaine pudeur. Il sait alors rendre dans les instants les plus sombres, toute la dignité nécessaire aux séquences les plus dures, rendant hommage à un collectif qui n’a jamais baissé les bras, toujours uni même si en désaccord, et dû se battre chaque jour pour faire avancer les choses.
Oui, 120 battements par minute est un film puissant, probablement le film français le plus impactant de l’année. Mais malgré toutes les qualités que ce dernier porte et transmet, on peut rester un peu à quai sur le plan émotionnel, ce qui ne retire en rien ses qualités majeures mais n’en fait pas le chef d’œuvre (hélas trop) annoncé. Et c’est peut-être mieux ainsi, 120 battements par minute n’est pas un film qu’on doit s’acquérir par obligation, c’est un film à méditer, digérer, qui donne à réfléchir et ressentir. Après ça, l’embarquement n’est pas forcément obligatoire, immédiat, sans pour autant ne pas avoir été touché. C’est en tout cas un film qui redonne un espoir dans le cinéma français, autant dans ce qu’il a à dire que dans son savoir-faire. Il passe ici, par une représentation immédiate d’une époque où les luttes collectives étaient nécessaires pour faire avancer les choses, où le droit à simplement vivre était laissé de côté par tout un pan politique époque mitterandienne. Au-dessus de tout ça, l’amour et la fraternité survolait cet ensemble, et c’est sans doute cela qu’il faut retenir, qu’en 120 battements par minute Romain Campillo redonne la fréquence à suivre pour réinventer un cinéma perdu ces dernières années et sans donner de leçon, rend un hommage puissant et sentimental à tous ces acteurs du passé, qui le temps d’une œuvre cinématographique redonne un sens au 7ème art.