Nous vous proposons l’interview de Monsieur Nicolas Steil qui est le réalisateur, le co-scénariste et le producteur du film Réfractaire. Il dirige aussi la société Iris Productions SA basé au Luxembourg.
Pourriez-vous nous présenter votre société ?
Nicolas Steil : Iris Productions SA a été créée en 1986. La société produit des longs-métrages de fiction, d’animation et documentaire, en langue française, ou allemande ou anglaise ainsi que des courts dans les mêmes langues. Notre ligne éditoriale nous amène à nous concentrer sur des films porteurs de sens mais aussi avec un potentiel international. La société produit et/ou coproduit 3 à 4 longs-métrages par an.
– Pourquoi avez vous décidé de faire un film sur les réfractaires ?
Nicolas Steil : Ce film se base sur mon histoire personnelle, fils d’un Luxembourgeois et d’une Lorraine, un pays et une région annexés, confisqués, dépersonnalisés durant la deuxième guerre mondiale, mais aussi des pays où l’on parle plusieurs langues et où on navigue entre plusieurs cultures. Tout au long de mon enfance, notamment pendant les dîners familiaux, j’ai entendu parler de résistants, de collaborateurs, de réfractaires, d’enrôlés de force, de malgré-nous. Tous membres de la famille, comme dans beaucoup d’autres familles d’ailleurs. Ces situations dramatiques m’ont marqué et je me suis toujours demandé ce que j’aurais fait à leur place si j’avais été exposé à de telles tragédies et à des choix aussi cornéliens. J’ai donc voulu faire un film sur l’engagement, ses conséquences et les responsabilités que ça implique.
– Pourquoi avez vous choisi de faire un film plutôt qu’un documentaire ?
Nicolas Steil : Parce que la fiction m’a donné la liberté de créer un personnage central auquel je me suis identifié pendant l’écriture et j’ai pu ainsi endosser sa peau et tenter de répondre à ma question: qu’aurais-je fait à sa place?
Comment avez vous collaboré avec les réfractaires encore en vie afin d’écrire le scénario ?
Nicolas Steil : Nous les avons rencontrés et de longues discussions avec eux ont permis de nourrir notre travail. Il était intéressant de constater qu’après un certain temps passé à édulcorer la triste réalité, les réfractaires ont replongé dans l’enfer qu’ils ont vécu et nous l’ont restitué avec beaucoup d’émotions. J’ai une grande admiration pour ces gens et leur grandeur morale.
Comment s’est déroulée l’élaboration du scénario vu que vous étiez deux à travailler dessus ?
Nicolas Steil : Jean-Louis Schlesser et moi sommes amis. Et notre amitié s’est trouvée consolidée par la relation. Il n’y avait pas de rapport de force entre nous, seulement du respect. Il y a eu 6 versions et chacun écrivait une version à tour de rôle et puis on discutait jusqu’à ce qu’on tombe d’accord.
– Pourriez-vous nous parler du tournage du film ?
Nicolas Steil : La tournage a été dur mais très harmonieux. Dur car nous avons tourné plus de la moitié dans la mine. Moins de 10° et plus de 95% de taux d’humidité, on a l’impression de pourrir sur pied. 12h par jour dans la mine, avec le manque de lumière, d’oxygène et le gaz entêtant des lampes à carbure. Mais personne ne se plaignait, on pensait tous à ceux qui en tant que Réfractaires ont passé une à deux années sans sortir et aux mineurs qui, même s’ils sortaient le soir, y ont passé leur vie.
– Y a t il eu des choses que vous n’avez pas pu faire à l’écran mais qui était dans le scénario ?
Nicolas Steil : Non, je dirais que j’ai eu la chance de faire exactement tout ce qu’il y a dans le scénario et que je l’ai respecté à la lettre. Mais le projet a mûri pendant 5 années, il était donc arrivé à maturation à mon sens. Donc pas de regrets.
– Quelle est la scène du film qui vous tenait le plus à cœur ?
Nicolas Steil : L’avant-dernière scène du film, celle de la torture dans l’escalier, une scène à risque faite en un seul plan et sans cascadeur par l’acteur principal. La scène qui pour beaucoup est l’une des plus fortes du film.
Vous êtes producteur, scénariste et réalisateur, quels sont, selon vous, les avantages et les inconvénients d’une telle situation ?
Nicolas Steil : Beaucoup d’avantages, je me prends la tête avec moi-même, mais je sais ce que je peux me permettre et je ne perds pas à mon temps à m’exciter sur des choses que je ne pourrais pas assumer budgétairement. D’un autre côté, peut-être qu’à travers l’affrontement d’un réalisateur et d’un producteur il y a de belles choses qui sortent de ce conflit. Mais je ne crois au conflit comme moteur, je crois à l’harmonie comme terreau de la créativité.
– Dans le film, il y a une perte des repères temporels pour le spectateur, pourquoi ce choix ?
Nicolas Steil : Quand vous rentrez dans la mine pour la première fois, les angoisses prennent vite le dessus et la déprime gagne du fait des conditions extrêmes. Et donc, les réalités commencent à se mélanger. Après quelques jours, ces angoisses diminuent et vous vous sentez bizarremment en catatonie dans le ventre de la terre. Cette sensation de retour aux origines, coupé de la réalité, abolit de facto les repères temporels. Tout comme la folie de la guerre qui gomme les repères temporels dans des situtations où un moment peut décider d’une vie…
Pourriez-vous nous parler du choix de l’affiche et pourquoi avoir mis en avant le personnage de Marianne Basler?
Nicolas Steil : Sur l’affiche on voit un jeune homme qui cherche, il a une lampe pour s’éclairer, il est un peu effrayé, mais en même temps il prend le risque de progresser, malgré la liturgie nazie, les risques de la mine, l’horreur de la torture qui se dessinent derrière lui. Une femme le regarde. Dans ses yeux la douleur, mais aussi des sentiments, amoureux et maternels. Au travers de ce regard, il aura le courage de passer à l’acte.
Une sortie dans les salles françaises est-elle prévue ?
Nicolas Steil : Tout à fait, au printemps prochain.
Quels sont vos prochains projets en temps que réalisateur et en temps que producteur ?
Nicolas Steil : Je travaille sur trois projets actuellement. Une comédie qui tentera d’aller dans le sens de la légèreté et de la finesse d’un maître du genre, Woody Allen. Un thriller psychologique sur les prédateurs, ceux que l’on ne peut qu’appeler des monstres, tant ce qu’il font aux autres est incompréhensible et inqualifiable. Et enfin, un cadeau venu de “Réfractaire”, puisque suite à l’une des projections que nous avons organisées à Cannes, on m’a proposé de travailler sur un projet en langue anglaise, à budget conséquent et tiré du répertoire classique britannique, encore une fois un thriller psychologique, très noir avec un karma familial conséquent et ce qui en découle…
– Quelle est, selon vous, la place des œuvres cinématographiques luxembourgeoises dans le monde ? et y a-t-il un débouché pour le cinéma luxembourgeois ?
Nicolas Steil : Je crois, j’espère en tout cas, qu’il y a encore un débouché pour des films de qualité, même si le chemin vers les salles pour le cinéma d’auteur est de plus en plus ardu. Mais le fait d’être luxembourgeois donne l’avantage d’être ouvert, vu la taille de notre pays et notre multilinguisme, à la culture de l’autre. Je me considère comme Luxembourgeois, mais aussi naturellement franco-allemand et Européen. Bref, comme un citoyen du monde. Sur les trois films faits par des réalisateurs luxembourgeois qui sortent cette année en salle, deux sont en anglais, et le dernier (“Réfractaire”) est en français. Mais ils auraient tout aussi bien pu être en allemand… Ou de l’animation!
Chaque année, 20 films sont produits et/ou coproduits par Luxembourg, dont certains gagnent des prix prestigieux.
Site du film Réfractaire : http://www.refractaire.lu/
Nous remercions Nicolas Steil pour sa gentillesse.
Interview par Stéphane Humbert