En 2013, The Last of Us débarquait de nulle part et finissait d’imposer l’orientation mature des jeux du studio Naughty Dog entamée avec Uncharted. Sept ans et moult éloges et récompenses plus tard, il est temps de découvrir la suite des aventures de Joel et Ellie dans cette séquelle sobrement intitulée The Last of Us : Part II.
Petit rappel pour vous au fond : le premier volet de The Last of Us nous contait le périple de Joel et Ellie, respectivement père endeuillé et gamine un brin rebelle porteuse d’un lourd secret, devant traverser des Etats-Unis ravagés par le cordyceps, une infection dont les contaminés feraient passer les zombies de 28 Jours Plus Tard ou Left 4 Dead pour des terreurs de cour de récré. Tout au long de leur chemin, le duo devait faire face autant aux infectés (et leurs joyeuses évolutions) qu’aux autres humains, la fin du monde n’ayant évidemment pas calmé les envies guerrières et les pulsions meurtrières. Mais tout n’était pas noir en ce monde, et certaines rencontres permettaient de redonner foi en l’humanité, jusqu’à un épilogue bouleversant teinté d’amour, de mort et de mensonge.
Sept ans plus tard (quatre ans dans l’intrigue), The Last of Us 2, ou Part II, se construit sur les ruines du précédent épisode, et notamment sur celles de son épilogue et des questions qui y étaient soulevées jusque dans les dernières répliques entre Joel et Ellie. Pour les fans du premier volet, coupons immédiatement court à une crainte : nulle question de retour du vaccin miracle ou de « colis » à amener à l’autre bout du pays. Dès ses premières heures, ce Part II donne le ton, et outre le changement de principal personnage jouable qui passe de Joel à Ellie, c’est donc de vengeance, de quête existentielle et du rapport au temps qu’il sera ici question. En effet, contrairement au premier volet qui suivait une ligne temporelle unique entrecoupée de simples ellipses, The Last of Us 2 condense son action principale sur quelques jours tout en multipliant les lignes temporelles et les flash-backs pour mieux servir son intrigue et ses personnages, un peu à la manière de la série Lost où les va-et-vient dans un vaste passé, si ils égaraient d’abord le spectateur, prenaient finalement leur sens en résonnant dans un présent très resserré. Alors oui, en contrepartie dans Part II, il faudra peut-être un effort pour bien raccrocher tous les wagons jusque dans les dernières cinématiques, mais c’est à l’image de ces films qui préfèrent laisser le spectateur comprendre et penser par lui-même plutôt que de le prendre par la main et lui dire ce qu’il doit penser, qui sont les bons et les méchants, ce qui est bien ou mal…
Un parti-pris pleinement embrassé par Naughty Dog et qui prendra tout son sens au cours de la seconde partie du jeu, où les rapports de force s’inversent à l’occasion d’un twist mémorable autant de gameplay que narratif, et qui va jusqu’à mettre en doute la notion même de « héros » implantée dans l’esprit du joueur. Extrêmement risqué, extrêmement couillu, qui devrait longtemps alimenter les débats… Les qualificatifs ne manquent pas. Dans tous les cas, cette seconde partie du jeu ne laissera personne indifférent et aurait même justifié un troisième volet à elle seule tant sa densité se révèle surprenante tout en étant finalement logique. Tout juste regrettera-t-on certaines longueurs pas vraiment justifiées qui se répercutent également dans la troisième partie (une pensée pour Kiss Kiss Bang Bang et les « dix-sept fins du Seigneur des Anneaux »), ainsi qu’une écriture qui, si elle conserve une justesse, une maturité et une frontalité bienvenue et même inattendue autant dans les dialogues que dans le traitement des personnages, verse parfois dans un mélange de facilité et de (très) grosses ficelles que n’auraient pas renié David Cage ou la série The Walking Dead. Dommage, mais heureusement rien qui n’enlève l’impact souhaité par les créateurs, d’autant que ce parti-pris dans l’écriture se retrouve dans une mise en scène tout aussi adulte et frontale (autant dans les phases de gameplay que les somptueuses cinématiques), n’hésitant pas à aller encore plus loin que son prédécesseur et notamment le DLC Left Behind, dont ce Part II reprend heureusement l’un des éléments qui avait fait hurler les partisans de Famille de France en son temps. A ce titre, The Last of Us 2 va fort heureusement encore plus loin en étendant la maturité de son traitement, non plus seulement à l’homosexualité, mais également à la grossesse, la parentalité, l’identité de genre ou encore, au détour de trop rares dialogues, l’homophobie. Si l’on revient à l’orientation adulte du studio depuis Uncharted, on en viendrait presque à redouter le prochain jeu Naughty Dog tant The Last of Us : Part II renvoie le sentiment d’être insurpassable à ce niveau. L’occasion d’un retour aux sources vers la légèreté de Crash Bandicoot et Jak & Daxter ?
Vous l’aurez compris malgré notre volonté d’éviter les spoilers, l’aventure de The Last of Us 2, si elle perd l’effet de surprise du premier volet, ne laissera personne indifférent, que ce soit le joueur ou les personnages dont aucun ne sortira indemne de sa quête vengeresse, tant en termes de corps que d’âme. Toutefois, si son intrigue et ses personnages sont indéniablement le plus grand atout de The Last of Us 2, ses aspects artistiques et techniques ne sont pas en reste. Si l’on pouvait craindre que l’abandon des multiples destinations du premier volet au profit, à quelques exceptions près, de la seule ville de Seattle et ses environs ne vienne créer le sentiment de rapidement tourner en rond, c’est en réalité l’inverse qui se produit. Comme stimulés par cette contrainte, les designers et artistes du studio se sont lâchés pour nous offrir de superbes environnements à la fois réalistes et variés, imprégnés des stigmates du passé, qu’ils soient dus à la fuite de la population, à la présence des infectés ou aux conflits des survivants, sans oublier les fortifications propres à chacun des clans ennemis que vous croiserez sur votre route. Bâtiments délabrés, zones où la nature a repris ses droits, camps de milices, anciens laboratoires, monuments, égouts, gratte-ciels, le tout avec ou sans marques d’infection… L’unité de lieu de Seattle combinée à son immensité et aux possibilités offertes par le contexte post-apocalyptique permet ainsi de montrer un bien plus large spectre de la fin du monde selon Naughty Dog que ne le permettait le premier volet. Ceci sans compter les nombreux artéfacts à dénicher et qui vous permettront d’en apprendre davantage autant sur le quotidien des survivants que sur la gestion de la pandémie avant que le monde ne bascule dans le chaos. Les plus attentifs remarqueront même quelques jolis clins d’oeils aux équipes/jeux du studio disséminés ici et là.
Loin de se limiter à l’esthétique, ce soin se retrouve également dans le level design où l’on retrouve l’expérience acquise à la fois dans le premier Last of Us ainsi que dans la saga Uncharted. Les zones de jeu sont ainsi plus vastes, parfois sous forme de petit monde semi-ouvert hérité d’Uncharted 4 où votre carte deviendra votre meilleure amie, et offrent de nombreux recoins où vous pourrez dénicher des matériaux et munitions, ou simplement vous cacher en cas de confrontations. L’occasion de rappeler que les munitions sont rares et les ennemis nombreux dans The Last of Us 2, et une approche furtive, y compris à travers les hautes herbes, portera souvent davantage ses fruits plutôt qu’une attaque directe (surtout si vous ne maitrisez pas les headshots), d’autant que l’IA ennemi a été améliorée et se montrera souvent retorse sitôt alertée, même en mode normal. On citera également les ennemis « améliorés » comme ces survivants portant un casque, ou les infectés spéciaux tels que ceux vous repérant au moindre bruit, ceux impossibles à détecter via votre sixième sens, ou encore ceux qui, sur le modèle de certains zombies de Left 4 Dead, vous gratifieront de petits « cadeaux » si vous êtes dans leur ligne de mire ou trop proches d’eux au moment de leur mort. Sans compter une rencontre de pure horreur véritablement digne des meilleurs Resident Evil. D’ailleurs, si vous souhaitez vraiment faire parler la poudre, ne négligez pas l’utilité des silencieux, molotovs et pièges explosifs que la récolte de matériaux vous permettra de fabriquer et qui, utilisés au bon moment, feront des ravages sans forcément vous faire repérer. De même, les pilules et pièces détachées que vous dénicherez ici et là vous permettront respectivement d’améliorer vos compétences et vos armes. Compte tenu de la résistance croissante de vos adversaires au fil de l’aventure, inutile de préciser qu’il s’agira là de points à ne pas négliger.
Côté technique, The Last of Us 2 reste dans la droite lignée d’Uncharted 4 / Lost Legacy. Qu’il s’agisse des environnements bluffants de réalisme, bien servis par des effets de lumière et météo somptueux, d’un des plus beaux rendus de l’eau vu de mémoire de joueur ou « simplement » de la modélisation des personnages, incluant l’un des rendus d’émotions les plus réalistes à ce jour, The Last of Us : Part II entre d’ores et déjà dans le cercle des plus beaux jeux consoles où l’attendent Red Dead Redemption 2, Uncharted 4 / Lost Legacy et God of War. Quant à départager le vainqueur, comme dirait Liam Neeson : bonne chance ! Côté gameplay, si The Last of Us : Part II n’a objectivement rien de vraiment original et campe sur énormément d’acquis, il le fait avec talent, se permettant même quelques joyeusetés que l’on attendait pas forcément, à l’image de poursuites à cheval nous renvoyant à Uncharted 3, ou de phases en bateau permettant de changer le rapport aux environnements. La nage et le saut ont été améliorés et la possibilité de ramper ajoutée, tous trois profitant d’un level design leur donnant une réelle place dans la progression et les affrontements. Et pour ajouter une note de légèreté, les mélomanes apprécieront le gameplay autour de la guitare qui viendra apporter son lot de moments hors du temps. A ce titre, impossible de ne pas parler du sound design, proprement bluffant. Si l’on saluera la restitution des performances des acteurs (VF sympathique, mais VO conseillée) et le retour de l’inimitable Gustavo Santaolalla à la musique malgré une légère mise en retrait de ses thèmes par rapport au premier volet, ce sont surtout les bruitages qui emporte une nouvelle fois la mise, avec notamment des cris d’infectés toujours aussi flippants, et surtout un soin apporté aux moindres détails qui force le respect, au point qu’il vous sera même possible de forcer un coffre-fort sans posséder la combinaison. Du grand art !
On pourrait disserter sur The Last of US : Part II pendant la trentaine d’heures qu’il vous demandera et plus encore, qu’on n’en aurait toujours pas fait le tour. Sous couvert d’une suite que certains ne trouveront pas forcément justifiée, ni toujours très fine, Naughty Dog nous offre rien de moins que l’un des plus beaux jeux consoles et surtout son aventure la plus adulte et sombre à ce jour, apte à réellement questionner le joueur, notamment lors d’une seconde partie qui devrait marquer les esprits jusqu’au dénouement final. Prolongeant et sublimant l’ensemble des acquis du studio depuis le premier Uncharted, autant en termes de narration que de gameplay, The Last of Us : Part II s’impose non seulement par ses innombrables qualités et ses thèmes lui conférant une identité propre, mais également comme une forme de best-of et de chant du cygne de l’orientation adulte de Naughty Dog, renforcé par de multiples hommages aux jeux du studio et celles/ceux qui les ont forgés. « The Last of Us » ? Espérons que non. « The Best of Us » ? Assurément.