Rencontre avec Catherine Peix, réalisatrice de Les origines de la pomme présenté lors de la 18ème édition du Fica.
CINEALLIANCE : Bonjour Catherine, L’origine de la pomme est ton premier documentaire ?
Catherine Peix : Non, il s’agit de mon 4eme documentaire
CINEALLIANCE : Pourquoi ce sujet des pommes ?
C.P. : Ca c’est une bonne question. Déjà parce que lorsque j’étais toute petite, je n’arrêtais pas d’avoir toujours dans mes poches des cailloux et des pommes. Et je me souviens que pendant mes vacances, mes parents me disaient toujours ne mange pas ça, ce sont des pommes pas mures. Mais lorsque j’allais chez mon grand père, j’allais dans les jardins abandonnés et j’aimais bien manger les pommes qui poussaient là. En plus elles étaient un peu acides, elles avaient du caractère. J’ai toujours aimé les pommes. Mais ce n’est pas la raison essentielle. J’ai en fait un parcours scientifique, j’ai fait des études de biologie, que j’ai d’ailleurs enseignée. J’ai toujours eu de l’affection pour ce qui est de l’ordre de la nature et des végétaux. Je me suis d’ailleurs toujours posé la question suivante : comment se fait-il que les hommes soient émus par les animaux quand on commence à parler de très beaux animaux, des animaux mystérieux comme les créatures que l’on trouve dans les profondeurs, mais que personne ne soit attiré par un végétal ? Mais quand on prend son temps pour regarder, on découvre des univers incroyables. Donc j’aime beaucoup les arbres. Là évidemment, c’est un peu particulier car c’est l’histoire d’un pommier. Comment cela s’est passé : en fait il y a un chercheur du CNRS à Strasbourg qui un jour me dit qu’il a reçu, venant des Etats-Unis, un petit morceau de matériel génétique, un scion, qui est un greffon d’un arbre sauvage qui se trouve au Kazakhstan où il y a parait-il des forets et un personnage totalement mythique dont personne ne sait s’il est vivant ou pas. Un homme qui a traversé son siècle, qui aurait 94 ans, peut être même 100, et qui a passé sa vie à s’occuper de ces pommiers. Il parait que dans cette montagne, on trouve des arbres géants. Je me suis dit que c’était dingue qu’il puisse y avoir un jardin d’Eden au Kazakhstan. Les américains y sont allés, mais ils n’ont pas communiqué là dessus. Il y a donc cette terra incognita qui m’a fait fantasmer. On m’a dit que cet homme à traversé également le stalinisme, ce que j’ai trouvé extrêmement costaud car l’époque stalinienne à été terrible en ce qui concerne la génétique qui était considérée comme bourgeoise à cette époque là. Ne sachant même pas ou se trouvait le Kazakhstan, je me dis qu’un homme brave le pouvoir de Staline et que l’on ne trouve aucune trace de lui, mis à part dans la littérature un peu scientifique d’une façon très confidentielle. Je me suis donc dit que ce n’est pas possible, qu’il faut que j’y aille. Et c’est parti comme ça. Alors ca a été compliqué parce qu’il a fallut commencer par faire une enquête, que j’écrive un synopsis pour essayer de proposer ça à une chaine car on ne peut pas faire de film sans avoir de financement. Et puis je me disais que si cet homme est mort, comment je vais faire mon film, qui je vais rencontrer là-bas et surtout qui va m’emmener ? Je suis donc allé voir l’ambassade, j’ai interrogé tout le monde pour savoir comment on peut retrouver un homme comme ça, j’ai lancé des mails, j’ai un peu bougé tout ça sans avoir aucune nouvelle. Et puis un jour, en plein hiver, je reçois un coup de téléphone. Un mec avec une voix dont je ne connaissais pas la langue qui me crie dessus. Je réfléchis et me dis que c’est du russe !! Je comprends que c’est mon gars !! Je relève donc le numéro et m’empresse de trouver quelqu’un qui parle russe. On rappelle ce numéro et effectivement, c’était lui. Je prends donc un avion 3 ou 4 jours après, juste le temps de récupérer une camera. La première fois, on est parti à 2 avec une seule camera sans savoir ou l’on allait. Je suis donc partie et j’ai rencontré cet homme. Là, j’avoue que j’ai eu un choc. Je me suis retrouvée avec un homme de 94 ans complètement « vert », c’est-a-dire alerte, autoritaire, une gueule incroyable, qui commence à décider de tout, bref, un homme absolument incroyable. Quand il m’a vue, il s’est demandé ce qu’une fille pouvait bien vouloir de lui qui a eu une vie complètement révoltée. Il s’est dit que pour faire un film, il fallait impérativement un spécialiste de la biologie. Je lui ai donc dit que j’en avais fait. Je lui ai dit que j’étais là et qu’il fallait absolument qu’il m’emmène sur place. Il m’a longuement regardée et m’a demandé de lui citer une personne que j’admirais…. Et là, j’ai senti que c’était l’examen de passage, qu’il ne fallait pas se tromper. Apres, réflexion, je me suis dis qu’il est kazakh, que je ne connais pas son pays, ni sa culture, c’est un scientifique pour moi et la seule réponse évidente pour moi : Darwin ! Il m’a pris par la main et m’a dit : on va dans la foret…C’est vraiment un conte de fée. Et c’est marrant car même les américains ont eu la même impression, on le voit dans le film. A 94 ans, ce vieil homme est monté dans une jeep et on est parti dans la première grosse forêt qui avait déjà été aux trois quarts détruite, mais qui était encore digne de ce nom et qui se trouvait à une centaine de kilomètres d’Almati, et là, il m’a présenté ses arbres. Immédiatement je suis tombée amoureuse de tout, ce pays, cet homme, ces arbres… Ce n’étaient pas les géants, mais déjà je voyais des choses incroyables. On tendait la main et une pomme tombait, le vrai jardin d’Eden ! Voilà comment à commencé notre histoire. Apres, ça a été très compliqué. Le film m’a pris 3 ans pour le tourner et le monter. Le montage à été très dur et très long car je voulais des effets spéciaux, des images de synthèse, des images d’archives, de la peinture, je voulais des animaux, bref, je voulais tout ! Je voulais vraiment essayer de rendre compte de ce que ça fait de se retrouver dans un bouillon de culture en ébullition. Les arbres naissent se reproduisent et meurent seuls ici… J’ai été vraiment éblouie. J’ai eu aussi énormément de chance parce que j’ai eu un traducteur qui est un vrai kazakh, qui parle onze langues et qui a été absolument extraordinaire, Batir que l’on retrouve partout. Batir veut dire guerrier dans sa langue, et il vient du même clan que mon personnage principal, Aymak Djangaliev, car en fait, le Kazakhstan est un pays de plein de clans, sa structure est compliquée. Et eux ont leurs origines qui viennent du coté du Panir. Je voulais donc faire mon film le plus proche de lui, le plus proche de ce qu’il était, de lui rendre hommage parce que c’était important et d’essayer de montrer au monde que quand on a une biodiversité comme ça, il ne faut pas tout détruire comme on le fait partout dans le monde !! Quand on voit ce qu’il se passe dans les forêts amazoniennes, on a des forets primaires partout qui tombent les unes après les autres. On a ici une forêt qui a plus de 65 millions d’années et en plus l’origine de nos pommes cultivées. C’est un fruit qui à traversé les civilisations. La pomme à fait la conquête du monde dés lors qu’elle a été prise par l’homme. Elle a évolué grâce à ce qu’il y a autour : les abeilles, les insectes, …. Et les ours qui ont été les premiers sélectionneurs. L’ours à commencé a déguster les meilleures et à favoriser la germination des enfants de ces meilleures. Et c’est là qu’on s’aperçoit que la nature est extraordinaire. On ne la regarde pas assez et surtout on ne tire pas les enseignements de cette nature. Au lieu de la préserver, on la détruit, on s’en fout…. La force de ce personnage, c’est d’avoir, à une époque, compris ce qu’était une ressource génétique et l’importance de la biodiversité. Il a étudié pendant des années la nature et son environnement. Il s’est posé des tas de questions et surtout la plus importante : pourquoi ces arbres n’ont pas besoin d’être traités ?? Il a cherché avec les matériaux de son époque, car on n’avait pas encore la biologie moléculaire. Il a observé et déduit pas mal de choses suivant la couleur de l’écorce de l’arbre, son orientation,… et grâce à ses observations, il a pu faire un catalogue raisonné de toute cette biodiversification en mouvement. Chapeau !
CINEALLIANCE : Comment s’est déroulé le tournage de ce film ? Tu as du t’amuser pour emmener le matériel sur place ?
C.P. : Alors là, on a eu beaucoup de chance. D’abord on est parti en équipe très légère avec du matériel très lourd parce que ca revient à l’idée dont j’ai parlé tout à l’heure, pour qu’on puisse s’identifier à un arbre, il faut le filmer d’une certaine façon. Donc il ne faut pas tourner n’importe comment. Il faut savoir où placer sa camera, il faut savoir faire de belles images, il faut que le media sur lequel on va poser cette nature soit digne d’elle. Il fallait les grands moyens. Alors on a eu de la chance, je suis tombé sur le réseau d’Aymak. On a été protégé par tous les forestiers car les locaux nous poursuivaient jusque dans les forets. Une fois à l’intérieur, on s’est retrouvé dans des cabanes avec tous les problèmes d’électricité que cela implique. C’était dur, mais on avait tout de même une grosse HDcam, on a donc un film en haute définition. J’avais un chef operateur, j’ai fais plein de photos. J’essaie d’adapter mon film avec une expo photos afin qu’il y ait un maximum de visibilité. Alors c’était lourd, on avait des pieds qui faisaient 60 kilos, la camera pareil, et on est montés sur des chevaux. On est monté en 4X4, puis avec la voiture de Djangaliev, une vieille voiture rouge que l’on voit dans le film, une vieille antiquité de l’époque soviétique. Je l’accompagnais, et quand il a fallut prendre les chevaux, on les a pris… et on est monté comme ça à 2000 mètres, voire même pratiquement 2700metres. La nature mérite donc vraiment qu’on essaie de la capter. Et il ne faut pas faire ça n’importe comment ! Ces arbres sont tellement beaux qu’on regarde et on doit faire entrer le spectateur dans quelque chose d’unique. C’est comme une sorte de Paradis qui est là. Il faut être respectueux et c’est pour ça qu’on est montés sur des chevaux. Je me rappelle que j’avais un petit blanc… Le Kazakhstan est le pays des origines, l’origine de la pomme, de la tulipe, du pistachier, de l’abricotier sauvage, de l’aubépine, du houblon sauvage, de la vigne sauvage et bien entendu des plantes médicinales que les chinois viennent récupérer en passant la frontière.
CINEALLIANCE : Avec ton film, en même temps que l’origine de la pomme, on en apprend aussi sur l’origine de la terre ?
C.P. : Oui, bien sur. Tout ça est en mouvement et d’ailleurs dans je ne sais pas combien de millions d’années, tous les continents vont de nouveau se retrouver autour du pôle. Il y a d’énormes mouvements des plaques tectoniques en ce moment et il est possible que les choses changent, mais bon, on ne sera plus là pour le voir mais j’espère que d’ici là, on n’aura pas tout saccagé…
CINEALLIANCE : Et après le tournage, tu as fait le montage toi-même ? Tu as une formation dans le montage aussi ?
C.P. : Oui, j’ai voulu faire le montage moi-même. Au départ, j’ai passé un diplôme d’ingénieur chimie, puis je suis passé en biologie et ensuite, j’ai enseigné. Et quand j’ai quitté l’enseignement, je voulais faire du cinéma et j’ai commence par le montage parce que ce qui m’intéresse c’est quand même l’architecture d’un film. J’ai donc fait beaucoup de montage, notamment pour de la fiction. La fiction sert au documentaire et le documentaire sert à la fiction. C’est donc des choses que j’aime bien faire. On est attrapé et on va sur des problématiques. Il y a donc eu le montage et je voulais avoir un soin très particulier pour la musique. Et j’ai eu une fois de plus une chance extraordinaire grâce au recteur d’une université kazakh. Il y a eu une projection du film dans l’université et j’ai rencontré un très très grand musicien, Qwat Girlerbaiev, qui sort de l’école de Moscou et qui a décidé de m’aider. Sa musique est aussi présente dans L’ile de la renaissance. Il écrit avec des instruments très particuliers. Il y a une sorte de flute qui a un son absolument inouï, on dirait une voie qui parle. J’ai voulu l’utiliser dans le film car on ressent l’âme de l’arbre. Comment représenter cette âme, pour moi c’était la musique. Il y a donc des choix de musique dans le film pour ça. Et je voulais en plus que ce soit un kazakh qui l’interprète. Il y a aussi un autre compositeur qui m’a donné des musiques, un suédois qui compose au violon et qui m’a donné aussi ses musiques. J’ai donc fait avec tout ça le montage image, le montage son, bref, j’ai tout fait !
CINEALLIANCE : Et au final, tu as décidé de mettre ta voix pour la narration ?
C.P. : En fait il y a eu plusieurs doublages dont un pour ARTE avec une comédienne qui me double. Mais j’ai préféré pour le DVD faire la narration moi-même. Je crois qu’Aymak m’a donné beaucoup de souffle. C’est pour ça que je lui rends vraiment hommage. Il m’a fait faire beaucoup de progrès, il m’a fait regarder des choses que je ne regardais peut être pas comme ça avant. Il m’a poussé à l’exigence et je me suis dis que je ne pouvais pas, une fois de plus, faire un film bâclé. Je me suis donc dit qu’il fallait que ce soit le plus du plus. Et comme on n’avait pas beaucoup d’argent, je me suis décidée à tout faire toute seule. Et ça a été très très dur.
CINEALLIANCE : Quel a été ton budget global ?
C.P. : Il y a eu un budget officiel et un officieux. L’officiel, c’est ce que les chaines nous ont donné et l’officieux est inchiffrable car on a du rajouter beaucoup au bout pour pouvoir arriver au terme. C’était en fait très ambitieux, car une partie du tournage à eu lieu en Angleterre, aux Etats Unis, Au Kazakhstan bien entendu. Il y a aussi une autre partie du film tournée en Allemagne. C’est énorme. Ce qui est difficile, c’est de faire l’enquête, ce n’est pas comme faire un film dont on sait tout au départ. Au fur à mesure, on dénoue des choses. Imagine que si je ne trouve pas Djangaliev, il n’y a pas de film. C’est un travail de longue haleine, il ne faut pas le bâcler. Il faut aussi comprendre les gens, apprendre à les respecter, savoir d’où ils parlent, et surtout ne pas avoir d’a priori.
CINEALLIANCE : N’as-tu pas peur que les OGM viennent perturber tout ca ?
C.P. : Je suis une anti-OGM. Moi qui ait fait de la génétique, je sais de quoi l’homme est capable. Ce qui me rassure par rapport à ca, c’est que pour faire un arbre, il faut beaucoup de temps. Et comme les grandes firmes ne veulent faire que du profit rapide… j’espère qu’on va pouvoir les empêcher de détruire cela.
CINEALLIANCE : Quels sont tes projets maintenant ?
C.P. : J’ai des projets, mais toujours autour de la nature. Grosso-modo, il faut que je fasse d’autres films, mais je ne veux pas lâcher la pomme. Les élèves qui l’ont vu sont tous chaud pour faire quelque chose également. Il faut que le Kazakhstan comprenne qu’il possède un patrimoine mondial. Je rêve de pouvoir emmener l’exposition là-bas.