Après plusieurs reports et accompagné de nombreuses promesses de renouveau, Assassin’s Creed Shadows débarque enfin. Alors, ce volet rayonne-t-il dans le soleil levant, ou aurait-il dû rester dans l’ombre ?
Voilà désormais dix-huit ans que la licence Assassin’s Creed s’est faite une place autant dans le cœur des joueurs que dans les plus grosses ventes vidéoludiques. Toutefois, si les premières années ont réussi à régulièrement mettre tout le monde d’accord, la licence s’est peu à peu reposée un peu trop sur ses lauriers, aboutissant à des épisodes en demi-teinte, voire à des cas d’école qui auront dû sortir l’artillerie lourde pour regagner les faveurs du public (coucou AC Unity). Suite à l’accueil plus que mitigé de Syndicate, Ubisoft a décidé de faire table rase du passé en modifiant sa formule en profondeur, aboutissant au triptyque Origins/Odyssey/Valhalla. Des épisodes à l’approche bien plus orientée RPG et action, très bien accueillis par le public, mais qui ont également divisé parmi les fans, certains leur reprochant de s’être trop écarté de ses racines, de ne plus ressembler à des Assassin’s Creed malgré des qualités indéniables. Et si le volet Mirage a su ramener l’ancienne formule sur le devant de la scène, c’est surtout le volet Shadows qui était attendu au tournant. Outre son background, situé au Japon féodal, longuement attendu par les fans depuis les débuts de la licence, AC Shadows représentait beaucoup pour le studio Ubisoft qui, en pleine période d’incertitude quant à ses finances, son indépendance et plus globalement son avenir, jouait très gros avec ce nouveau volet. Si seul l’avenir nous dira le fin mot pour le studio, on peut d’ores et déjà statuer d’une chose, c’est que Assassin’s Creed Shadows pourrait bien réconcilier les fans avec Assassin’s Creed. Tous les fans.
Les premiers instants dans Assassin’s Creed Shadows sont pourtant perturbants. Au beau milieu du champ de bataille dans la peau du légendaire samouraï Yasuke, vous devez vous frayer un chemin en jouant du sabre (option démembrement désactivable pour les plus jeunes) et du défonçage de porte en règles. Pas d’infiltration, ni de lame secrète… Cet avant-goût laisse franchement craindre le pire tant ce prologue nous renvoie davantage vers For Honor que vers Splinter Cell (dont on attend toujours cruellement le retour). Mais réduire Shadows à ce prologue et à l’orientation très bourrine de Yasuke serait une cruelle erreur tant le véritable potentiel du jeu se révèlera à travers un simple nom : Naoe.
Second personnage jouable du jeu, Naoe est une shinobi, une ninja orientée furtivité, soit tout l’opposé de Yasuke. Petite et frêle, Naoe n’en est que plus agile, rapide et discrète, et donc mortelle. L’ombre est son élément, la discrétion sa meilleure arme. Il suffit d’ailleurs de quelques missions dans la peau de Naoe, d’observer ses animations soignées, sa façon de se mouvoir en territoire ennemi, de se dissimuler derrière la moindre cache, de ramper au milieu des herbes telle un certain Snake, de combattre ses adversaires tout en cabrioles, en déplacements et en agilité comme un félin (sans oublier le choix varié d’armes principales et secondaires), pour comprendre que nous tenons enfin là LE personnage apte à donner à Assassin’s Creed ses nouvelles lettres de noblesse. Et on dit ça sans compter son évolution par le biais de l’arbre de compétence qui vous permettra d’en faire une arme incroyablement mortelle et, osons le dire, réellement jouissive à diriger. Oui, c’est un adepte des premiers Assassin’s Creed pourtant assez rigides qui écrit ces lignes.
Bref, vous l’aurez compris, entre Yasuke et Naoe, AC Shadows devrait mettre d’accord tous les types de joueurs, même si on veut bien parier que Naoe remportera davantage les suffrages tant, en-dehors de sa force de boeuf dans les combats, Yasuke se révèlera aussi discret, léger et facile à diriger que ledit animal. L’intelligence des développeurs, c’est d’avoir pris en compte cette forte différence volontaire pour ne pas – trop – imposer tel ou tel personnage dans les quêtes. En effet, si chaque personnage aura son propre parcours, et donc ses propres quêtes à accomplir, la plupart du jeu pourra être parcourue dans la peau du héros de votre choix, selon votre préférence et une fois passé le premier (long) chapitre avec Naoe. Il sera même possible de switcher de l’un à l’autre au milieu de certaines quêtes, même si l’on aurait apprécié que la sauvegarde automatique laisse la possibilité de modifier notre choix en cas de mort après des essais infructueux. Par contre, n’en déplaise aux fans de la récente trilogie (et de l’opus Mirage), on appréciera la disparition de l’aigle/drone qui facilitait bien trop la tâche. Dans Shadows, retour aux fondements de la saga avec l’inévitable vision d’aigle pour mettre les personnages et objets en surbrillance, complétée par les « nids d’aigles » qui permettront de débusquer les points d’intérêt sur la carte. Nuance importante : la position des points d’intérêt sera dévoilée, mais pas leur nature, à moins que vous alliez voir sur place ou que vous obteniez des infos pour voir de quoi il en retourne. Idem pour les quêtes vous demandant de localiser un PNJ allié ou ennemi : par défaut, un texte vous mentionnera la zone où effectuer vos recherche, mais aucun élément visuel à l’écran ne vous aidera, et il faudra ainsi remplir un véritable travail de détective pour localiser votre cible. Un choix assez osé en termes de design et qui sera amusant les premières fois, mais qui pourra rapidement devenir agaçant malgré la possibilité de faire appel à des espions pour vous aider dans votre tâche. On appréciera alors la possibilité de désactiver cela pour revenir à un simple point d’intérêt sur la carte. Une nouvelle preuve que les vieilles marmites font souvent les meilleures soupes.
Pour aborder le jeu de façon plus macro, abordons son univers. On l’a dit, le Japon féodal était attendu de longue date par les fans, et les développeurs n’ont pas fait les choses à moitié. Non content d’être franchement immense (proche d’Origins, donc un peu moins que dans Odyssey et Valhalla, heureusement), la map d’AC Shadows est réellement un bonheur à parcourir, que ce soit en termes de réalisme, de beauté ou de soin dans la reconstitution des décors et surtout des édifices. Que ce soit les zones naturelles (ah, le plaisir primaire de couper du bambou au sabre !), les villes ou les temples, sans compter les effets météo et les changement de saison, absolument tout respire l’amour des développeurs pour le pays du Soleil Levant autant que pour le travail bien fait, et il ne fait nul doute que les reports successifs du jeu ont été mis à profit. Là aussi, on veut bien parier que les joueurs fans du Japon et/ou ayant eu la chance d’y voyager auront un petit pincement au coeur en parcourant les différentes régions de Shadows. Et on ne parle pas du soin accordé à la faune, si bien qu’elle disposera de quelques interactions et mini-quêtes dédiées (mention aux dessins, véritables moments suspendus dans la veine des haikus de Ghost of Tsushima).
En termes scénaristiques, Assassin’s Creed Shadows reste dans la lignée de la saga avec un travail de recherche phénoménal et palpable à chaque instant, malgré quelques entorses et raccourcis narratifs inévitables à toute adaptation. Le parcours de Yasuke et Naoe au milieu des bouleversements au sein du pays et des relations entre les nombreux seigneurs, ainsi que les déplacements à travers ce Japon virtuel, seront l’occasion d’en apprendre énormément sur l’histoire du pays du Soleil-Levant, que ce soit en termes d’Histoire avec un grand H, mais également de culture, de coutumes, de religion, d’enseignement… Bref, de vie, tout simplement. Toutefois, si certains éléments seront présentés de façon passive au gré des différentes quêtes principales, il faudra évidemment prendre le temps de s’égarer de façon active dans les quêtes secondaires, ou simplement de lire les innombrables éléments textuels, pour pouvoir profiter de cette véritable encyclopédie virtuelle. Ceci dit, les quêtes principales étant majoritairement axées autour de la furtivité ou du combat, avec parfois des aspects stratégiques à prendre en compte (ex: éliminer furtivement le maximum d’ennemis pour éviter de les avoir sur le dos lors de l’affrontement final), ces quêtes secondaires seront souvent bienvenues pour renouveler le plaisir et récupérer quelques points de compétence. Sans oublier la gestion de votre repaire qui vous demandera de récupérer quelques ressources en cours de route.
Pour conclure, abordons l’aspect technique. Visuellement, si AC Shadows n’emmènera toujours pas la licence au niveau d’une vitrine graphique, il reste néanmoins un plaisir visuel de tous les instants, avec beaucoup moins d’approximations et de bugs en Day One qu’à l’accoutumée. De quoi rendre pleinement justice à ce Japon virtuel et donner régulièrement envie de dégainer le mode Photo en pleine partie. Là aussi, merci aux mois de développement supplémentaires. Sur le plan sonore, si des doublages anglais et français répondent présent, on vous recommandera vivement d’opter pour les voix japonaises afin de compléter le sentiment d’immersion. De même, on appréciera le travail au niveau des bruitages et ambiances naturelles, toujours aussi réalistes et immersifs. En revanche, impossible de ne pas aborder les choix musicaux. Si les ambiances musicales originales seront très agréables comme toujours dans la saga, certaines phases du jeu seront également agrémentées de titres beaucoup plus contemporains venant créer un décalage qu’on devine assumé, mais qui devrait assurément diviser les joueurs. Heureusement, c’est bien peu de choses par rapport à la réussite de l’ensemble du jeu.
Oui, c’est indéniable : bien qu’imparfait, Assassin’s Creed Shadows est une franche réussite. Si l’on devine que les différences de gameplay entre Yasuke et Naoe sont surtout destinées à satisfaire le plus grand public possible, ce Japon virtuel superbement reconstitué est un vrai plaisir à arpenter, en particulier dans la peau de Naoe dont le gameplay permet à Ubisoft de renouer enfin avec les fondements d’infiltration de la saga et avec ce que devrait être un « vrai » Assassin’s Creed en 2025. On attend désormais la suite de la licence avec intérêt, et c’est déjà en soi une immense victoire pour le studio.