Dang Nhat Minh entouré de ses actrices, acteurs, producteurs, techniciens (crédit photo FICA)
Le réalisateur Dang Naht Minh nait à Hué le 11 mai 1938. Il a deux sœurs cadettes. Sa mère décède en 1954 alors qu’il n’aque 16 ans. Son père, médecin chercheur en parasitologie, meurt tragiquement en 1967 lors des bombardements américains sur Hanoï.
Il fait ses études au Vietnam jusqu’à l’âge de 14 ans, puis en Chine à Guilin. Il se rend ensuite en Union Soviétique pour étudier le cinéma pendant 18 mois. Rentré au Vietnam, il travaille au centre de distribution cinématographique comme traducteur de films soviétiques. Il traduit également des écrivains russes. Dang Nhat Minh est polyglotte et est notamment francophone.
Si Dang Nhat Minh est connu avant tout, à l’étranger, comme réalisateur, il est aussi un écrivain reconnu au Vietnam. Il a publié ses mémoires : Mémoires d’un cinéaste Vietnamien. Celles-ci ont été traduites en français et publiées aux Presses Universitaires de Provence en 2017.
Il commence sa carrière cinématographique comme documentariste en 1965 avec Geologists at Work, suivi deVille Natale de Ha Bac (1967), May, These Faces – ThangNam, Nhung Guong Mat (1976), Nguyen Trai, (1980). Ces films sont produits par les Studios de l’Etat vietnamien.
Il faut noter l’importance du film documentaire May, TheseFaces tourné en noir et blanc suite à la prise de Saigon le 30avril 1975 par les Forces de Libération Nationale. Ce documentaire de 37 minutes s’attache à fixer sur la pellicule, ce moment historique, en filmant les visages de tout un peuple réunifié après 30 ans de guerre. Ce documentaire reçoit le Lotus d’argent au Festival du film du Vietnam.
En 1970 Dang Nath Minh tourne avec Duc Hinh Nguyen le film Chi Nung, Miss Nhung.
En 1974, Dang Nhat Minh adapte au cinéma des pièces de théâtre : Nhung Ngôi Sao Biên – Stars on the Sea, puis en 1978 Ngày mưa cuối năm – A Year-end Rainy Day. Ces deux films sont des commandes des Studios de l’Etat vietnamien et ne sont pas des œuvres personnelles de Dang Nhat Minh.
En 1982, Thi Xa Trong Tam Tay – The Town Is Within the Range est un film de fiction tourné en noir et blanc de 87 minutes. Il a pour toile de fond le conflit armé, qui a eu lieu du 17 février au 16 mars 1979, opposant le Vietnam à la Chine maoïste. De nombreuses villes frontalières dont Long So’nsont alors détruites. Ce film met en scène un journaliste, Vu, parti effectuer un reportage dans cette ville martyrisée par les exactions commises par les expansionnistes chinois. Il retrouve un amour ancien, Thanh. Il rencontre des personnes avec lesquelles il a des débats idéologiques notamment sur la révolution culturelle chinoise, sur l’édification d’une société communiste et sur le sentiment national.
Ce film est sa première œuvre vraiment personnelle, influencé par le néoréalisme italien. Il brosse des portraits d’êtres dans toute leur humanité, notamment un beau portrait de femme. La femme vietnamienne sera le fil conducteur de la plupart de ses œuvres futures. Ce film reçoit le Lotus d’or au Festival du Film du Vietnam en 1983. Dang Nhat Minh dit de ce film qu’il est le plus riche cinématographiquement parlant qu’il ait jamais réalisé.
Dang Nhat Minh honoré au 2 Fedtival du Film Asiatique de Danang (crédit photo FICA)
En 1984, Bao Gio Cho Den Thang Muoi – Quand viendra le dixième mois est un film en noir et blanc, plastiquement très beau. Dang Nhat Minh, pour le faire aboutir, doit passer treize fois devant la commission de censure. En étant sélectionné dans de très nombreux festivals à l’étranger, ce film met le cinéma vietnamien sur la carte mondiale du cinéma. Il est, en outre, le premier film vietnamien projeté en Occident après 1975, date de la fin de la guerre du Vietnam.
Ce film est une allégorie du courage des femmes vietnamiennes durant les guerres. Nguyen vit dans le nord du Vietnam avec son petit garçon et son beau-père malade. Elle se rend dans le sud pour voir son mari. Elle apprend qu’il est tombé au champ d’honneur tout comme son frère aîné. Voulant épargner un nouveau chagrin à son beau-père malade, elle imagine, avec la complicité de l’instituteur du village, l’écriture de lettres post mortem de son défunt mari.
Dang Nhat Minh avec son épouse et les autorités vietnamiennes qui lui rendent hommage (credit photo FICA)
Ce film remporte de nombreux prix dont le Lotus d’or et le prix du meilleur réalisateur au Festival du film du Vietnam, le prix spécial du Jury au Festival du Film Asie-Pacifique à Hawaï, le prix du Comité de protection de la paix au Festival International du Film de Moscou. Il figure dans le classement de critiques de films comme l’un des meilleurs films asiatiques de tous les temps.
En 1987, Cô Gài Trên Song – La Fille du fleuve peint le portrait d’une femme du sud au destin broyé par la guerre, obligée de se prostituer pour survivre. La guerre terminée dans un Vietnam réunifié, Nguyêt, bien qu’ayant secouru un combattant révolutionnaire, est envoyée dans un centre de rééducation. A sa sortie, elle connaîtra la désillusion de la promesse non tenue d’épouser son ancien amant dans un Vietnam en paix. Résignée, elle se marie avec un de ses anciens clients, soldat du sud, comme elle de basse condition. Ce film suscite des polémiques au Vietnam. Il remportera le Lotus d’argent, le prix de la meilleure actrice et le prix de la meilleure photographie au Festival du Film du Vietnam. Il sera diffusé en France sur la chaine de télévision Arte en 2000. Il est une œuvre incontournable de Dang Nhat Minh.
Dang Nhat Minh et Minh Chau, actrice, premier rôle féminin de La Fille de la rivière (crédit photo FICA).
En 1994, dans Tro Ve – Le retour, Dang Nhat Minh met en scène Loan, une jeune femme enseignante, Hung, un oisif incapable de subvenir aux besoins de sa famille rêvant de faire fortune à l’étranger et Tuan, un ami d’enfance de Loan, travaillant dans une société de Saigon. Tuan épouse Loan. Tous deux mènent une vie sans intérêt. Hung, sous le nom de Vincent Nyugen, revient au Vietnam pour faire des affairesavec Tuan. Il découvre que ce dernier est le mari de Loan, dont il est toujours amoureux. Loan ne supporte plus de vivre avec son époux et retourne enseigner à Hanoï. Tuan la retrouve à son école. Tous deux prennent la pleine mesure de l’impossibilité de reprendre leur vie commune.
Dans ce film, Dang Nhat Minh établit un diagnostic sur l’évolution du comportement des Vietnamiens, suite à l’adoption, en 1986, par le Parti Communiste Vietnamien d’une nouvelle orientation politique : le Renouveau (DôiMoi). Il s’agit d’ouvrir le pays à l’économie de marché sans renoncer à la révolution socialiste. De nouvelles possibilités industrielles, commerciales et financières s’ouvrent mais également artistiques notamment cinématographiques.
Loan choisit la voie de l’éducation, de la culture et de la transmission de la connaissance, Hung alias Vincent Nyugenet Tuan, la voie de l’enrichissement pécuniaire, d’où la fracture entre l’être et l’avoir finissant par séparer les trois personnages du film.
Le Retour reçoit le prix spécial du jury du festival Asie Pacifique de Sidney.
En 1995, Thuong Nho Dong Quê – Nostalgie de la campagne connaîtun retentissement international. Il est sélectionné dans plus de soixante festivals internationaux et reçoit de très nombreux prix, notamment le prix du meilleur réalisateur au Festival du Film du Vietnam, le prix NETPAC au Festival de Rotterdam, celui du public au Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul, le prix Kodak au festival du Film Pacifique de Nouvelle Zélande, …
Nostalgie de la campagne est un superbe poème visuel portant un regard de tendresse sur les êtres.
Les protagonistes du film, Nham, adolescent de 17 ans, vit avec sa mère, sa belle-sœur Ngu, dont le mari est parti travailler loin du village dans l’espoir de mieux gagner sa vieet Quyen, jeune femme séduisante revenue des USA pour un séjour au village natal. Les émois du cœur de Nham, Ngu et Quyen sont filmés avec poésie et tact dans cette société rurale vietnamienne où le temps s’écoule rythmé par les saisons et le travail agricole.
Il peut tourner ce film grâce au financement japonais de la NHK.
En 1997, Ha Noi Mua Dong 46 – Hanoi, hiver année 46 est un film historique retraçant le rôle primordial d’Ho Chi Minh, dans la décolonisation du Vietnam. Le film s’attache à décrire une série d’événements qui se sont produits pendant cet hiver 46. Ho Chi Minh, président du Parti Communiste Vietnamien va tenter de négocier avec le gouvernement français la décolonisation du Vietnam. Ce sera un échec et le début de la guerre d’Indochine. Dang Nhat Minh et l’équipe du film se sont efforcés de restituer l’atmosphère de cette époque cinquante ans après en donnant le point de vue du gouvernement communiste vietnamien. Dang Nhat Minh en réalisant cette fresque historique s’est inspiré du film sur Gandhi qu’il avait vu au Festival du Film de Moscou en 1983. Il veut montrer la complexité de l’histoire. Pour le casting il a cherché à trouver l’acteur le plus crédible pour incarner l’Oncle Ho. Son choix s’est porté sur l’acteur et comédien Tien Hoi. Celui-ci est connu pour avoir incarné le président Ho Chi Minh une quarantaine de fois au théâtre et au cinéma. Tien Hoi accomplit un travail remarquable d’acteur tant par son imitation de la voix que de la gestuelle de l’Oncle Ho.
Le film a remporté le Lotus d’argent au 12e Festival du Film du Vietnam.
En 2001, Mùa oi – La Saison des goyaves le fruit d’une coproduction franco-vietnamienne. Dans ce film, Dang NhatMinh, aborde une page de l’histoire du Vietnam. Dans les années cinquante, lors de l’instauration du régime communiste dans le nord vietnamien, des maisons appartenant à des bourgeois ont été confisquées au profit de hauts dignitaires du Parti Communiste.
À l’aube du XXIe siècle, le personnage principal du film, Hoa, âgé d’une cinquantaine d’années, est resté très attaché à la maison de son enfance et au goyavier ornant la cour de celle-ci. À treize ans il tomba de cet arbre et devint mentalement déficient.
Hoa gagne sa vie en posant comme modèle aux Beaux-Arts. Il rend service à tous avec gentillesse. Un jour, il fait le mur pour revoir sa maison natale et le goyavier. Cette violation de domicile lui vaut d’être arrêté par la police. Celle-ci relâche bien vite ce simplet suite à l’intervention de sa sœur Thuỷ. Hoa récidive, mais Loan, la jeune fille de l’actuel propriétaire le prend en amitié et demande à Thuỷ de raconter l’histoire de cette maison liée à l’histoire du pays.
La Saison des Goyaves, inspirée par la vie de la famille de l’épouse de Dang Nhat Minh, aborde le thème : comment les changements dans la société vietnamienne ont affecté les adultes.
Ce film a connu une brillante carrière internationale primé dans de nombreux festivals : Lotus d’or au Festival du film du Vietnam, prix du jury jeune et du prix Don Quichotte au Festival International du Film de Locarno, … Il a été distribué en salle en France. La critique a salué cette œuvre la qualifiant de « chef d’œuvre de poésie » (Studio Magazine).
En 2009, Dùng Dôt – Ne pas brûler conte l’histoire vraie de Dang Thuỷ Tram, femme médecin ayant tenu un journal intime pendant la guerre du Vietnam lorsqu’elle soignait dans la jungle les combattants communistes du Front de Libération Nationale de 1968 à 1970, date de sa mort en service. Le journal est trouvé par un officier militaire américain lors d’une opération. Il garde le manuscrit pendant 35 ans puis l’envoieau Vietnam où il est publié. Ce journal intime connait un grand retentissement au Vietnam et donne à Dang Nhat Minh le désir de le porter à l’écran pour montrer comment dans le tourbillon de la guerre, les gens ne sont que des victimes de celle-ci.
Il est décerné à ce film de guerre plusieurs prix nationaux et internationaux dont le prix du meilleur scénario et le prix de la meilleure photographie au Festival du film du Vietnam, le prix du public au Festival du film de Fukuoka (Japon), …
En 2015, le studio privé Khanh, nouvellement créé à Hué, sollicite Dang Nhat Minh pour qu’il réalise un film documentaire sur le peintre franco-vietnamien Le Ba Dang âgé de 93 ans. Dang Nhat Minh et son directeur de la photographie se rendent en France pour réaliser Le Ba Dang –Tu Bich La Den Paris – Le Ba Dang – From Bich La to Parisjuste avant la mort de l’artiste. Ce documentaire est présenté à Hanoï et en Corée.
Dang Nhat Minh (crédit photo FICA)
En 2020 – 2022, Dang Nhat Minh entreprend de filmer, à l’âge de 82 ans, Hoa Nhài – Jasmin. Il met deux ans à le finaliser en raison de problèmes financiers et de la terrible épidémie de la Covid-19.
Dang Nhat Minh qualifie cet ultime film comme son film testament. Ce film est influencé par Abbas Kiarostami, dontDang Nhat Minh est un grand admirateur. C’est un récit sur la vie de personnes à la recherche d’espoir et de rêves dans la ville d’Hanoï. Le film capture l’essence du Vietnam. Le film montre la vie de Duc, 15 ans, et d’autres personnes quittant leur ville natale pour vivre et travailler dans la ville animée d’Hanoï. Le film décrit Hanoï au tournant du XXIe siècle, la solidarité qui unit Duc aux autres protagonistes du film dans Hanoï en mutation. « Ce film parle des Hanoïens que nous rencontrons chaque jour dans la rue, sur le trottoir, avec leurs joies, leurs tristesses et leurs angoisses. Je dois remercier les Hanoïens que j’ai rencontrés et qui m’ont inspiré pour réaliser ce film. Dans cette œuvre, il n’y a pas de conflits, ni de rebondissements exceptionnels. C’est un film simple sur des gens simples » dit Dang Nhat Minh.
Jasmin est le film d’ouverture du 6e Festival du film d’Hanoï le 8 novembre 2022. Il est projeté dans de nombreux festival internationaux dont le festival du film Asiatique de Rome en 2023.
De 1990 à 2000, Dang Nath Minh a été secrétaire général de l’Association du film du Vietnam.
Il a reçu de très nombreux prix dont le Lifetime AchievementAward, le titre d’artiste du peuple, le prix Ho Chi Minh pour le cinéma en 2007, le grand prix Bui Xuan Phai – pour l’amour de Hanoï en 2023. Parmi les innombrables décorations qu’a reçu Dang Nhat Minh, la prestigieuse médaille de Chevalier dans l’Ordre des Arts et Lettres lui a été remis le 31 mars 2022 par Son Excellence l’Ambassadeur de France au Vietnam, Nicola Warnery.
Dang Nhat Minh et le Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul :
Dang Nhat Minh et Jean-Marc Therouanne (crédit photo FICA)
Le Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul est fondé en 1995. La découverte de l’œuvre de Dang Nhat Minh, figure majeure du cinéma vietnamien est un choc. Son cinéma montre la réalité de la société vietnamienne bien différente des stéréotypes véhiculés par la propagande des belligérants des deux côtés de la guerre froide. Dang Nhat Minh a l’art d’ouvrir l’esprit du spectateur grâce à la vision réaliste qu’il donne du peuple vietnamien, touchant ainsi à l’universel.
En 1997, lors du 3e FICA Vesoul, le film Thuong Nho Dong Quê – Nostalgie de la campagne remporte le prix du public.
En 2003, lors du 9e FICA Vesoul, il est invité en tant que président du jury Netpac. Mua Oi – La Saison des goyaves est présenté en clôture, au théâtre Edwige Feuillère devant 700 festivaliers sensibles à la subtilité de ce film sur la nostalgie de l’enfance.
En 2014, il revient au 20e FICA Vesoul comme invité d’honneur dans le cadre de l’année France-Vietnam. Il présente Quand viendra le dixième mois. Il est intervenant lors de la journée professionnelle ayant pour thématique « Produire et réaliser au Vietnam ».
Le logo du FICA Vesoul est un cyclo posé sur une caméra. C’est aussi une statuette de bronze, trophée décerné par le jury international au réalisateur du meilleur film de la compétition fiction. Les dirigeants du FICA Vesoul ont acheté un cyclo vélo taxi lors d’un voyage à Hanoï en juillet 2002. Devant les négligences de la société de transport, Dang Nath Minh est intervenu et le cyclo tant attendu est arrivé le 5 février 2003, le lendemain de l’ouverture du 9e FICA Vesoul. Et c’est ainsi que grâce à Dang Nhat Minh, il y a un cyclo à Vesoul objet d’attraction à chaque édition du FICA !
Les dirigeants du FICA Vesoul sont retournés au Vietnam en juillet 2003. Ce fut un grand honneur de revoir Dang NhatMinh chez lui lors d’un tea time. Dans la mise en place d’un festival de cinéma, il y a ces instants fugaces et denses de rencontre avec les maitres du cinéma qui ont la simplicité des vrais grands.
Conférence de Jean-Marc Thérouanne, directeur et cofondateur du Festival International des Cinémas d’Asie prononcée lors de l’hommage rendu à Dang Nhat Minh le 4 juillet 2024 lors du 2e Festival du Film asiatique de Da Nang