Gustavo Santaolalla. Si ce nom est aujourd’hui devenu indissociable des musiques de film (Brokeback Mountain, Babel) et de jeu vidéo (The Last of Us) dont les thèmes majeurs des oeuvres précitées ont su s’ancrer dans une veine instrumentale généralement très posée et épurée, le réduire à ces seules réussites reviendrait à laisser de côté l’ampleur et la variété du répertoire de cet artiste hors-norme qui soufflera bientôt ses 72 bougies. Sa venue à Paris à la salle du Bataclan en ce 16 juillet 2023, sous la houlette des français de Los Production, était donc l’occasion rêvée pour offrir au public français une sélection des compositions ayant jalonné sa carrière depuis ses débuts jusqu’à ses plus récents faits d’armes.
Mais avant, comme souvent de coutume, c’est à un autre artiste d’ouvrir les festivités le temps d’une première partie. Ici, c’est le brésilien Matheus Donato qui a été invité par Gustavo Santaolalla pour « chauffer la salle ». Empreint dès son entrée sur scène d’une bonne humeur communicative (et d’un niveau de français à saluer pour l’artiste installé à Paris depuis seulement 3 mois, comme il le confie), Matheus ne tarde pas à nous embarquer dans son univers. Un univers empreint d’un rythme endiablé et qui, joué avec son cavaquinho (sorte de très petite guitare portugaise), pourrait presque paraitre décalé si les compositions en question ne renvoyaient pas directement à l’héritage brésilien. A l’image de ce choro entrainant qui aura suffi à électriser le public du Bataclan, toujours bien aidé par la bonne humeur de l’artiste. Mais le temps passe vite et déjà, il est temps d’accueillir Gustavo Santaolalla et son groupe.
« Et son groupe », oui, car si certaines de ses bandes originales épurées pourraient possiblement être jouées par un seul homme, il suffit que les premières notes résonnent juste après le lever de rideau pour que Santaolalla nous confirme que oui, c’est bien à un aperçu de l’ensemble de sa carrière et de ses compositions que nous allons assister ce soir. Et si il est aujourd’hui reconnu pour ses oeuvres aux accents épurés, oniriques, voire mystiques, à l’image de Inti Raymi marquant l’introduction du concert, il ne faut guère longtemps à Gustavo pour nous rappeler que les sonorités entrainantes, les paroles et surtout plusieurs compères l’ont également accompagné depuis ses débuts et tout au long de sa carrière, jusque dans le groupe Bajofondo dont il est également fondateur et qui partagera ce voyage dans le temps avec lui ce soir.
Il suffit ainsi d’un jeu de lumières au groupe pour basculer en un clin d’oeil sur les rythmes plus prononcés de Abri Tu Mente et Camino (la seconde étant une chanson de Arco Iris, le premier groupe formé par Gustavo Santaolalla, et composée en 1970) et nous confirmer que oui, cette soirée sera bien sous le signe de l’éclectisme ! Et à en juger par le tonnerre d’applaudissement qui suivra, inutile de préciser que ce choix sera chaudement accueilli par la salle, autant par celles/ceux qui suivent l’artiste depuis ses débuts que par celles/ceux qui auront été conduit ici grâce à une portion de son univers et qui en découvriront ce soir toute l’étendue, en plus de rappeler à ceux qui l’avaient oublié qu’en plus d’un musicien hors-pair, Gustavo est également un excellent chanteur.
Cette première partie de son concert fera d’ailleurs figure de retour aux sources puisque, outre Camino, d’autres chansons du groupe Arco Iris, réactualisées en 2017 dans l’album Raconto Gustavo, ne tarderont pas à suivre. On reconnaitra/découvrira notamment Quiero Llegar, avec ses sonorités rock teintées de jazz, le tout mâtiné de sonorités latines, et Canción de cuna para el niño astronauta, démarrant comme une comptine aux sonorités jazz très douces avant de se muer en objet plus entrainant et rock.
Puis vient la première OST/bande originale de la soirée avec la chanson The Apology Song, extraite du film d’animation La Légende de Manolo / The Book of Life (film que l’on vous recommande chaudement). Si elle conserve d’abord sa rythmique douce originale, les fans apprécieront que la chanson ait été remaniée pour l’occasion, profitant des talents de chaque membre du groupe pour s’ouvrir à des sonorités donnant sévèrement envie de se lever de son siège pour danser. De là à dire que cette version serait meilleure que l’originale, il n’y a qu’un pas…
Ce sentiment reviendra d’ailleurs plusieurs fois dans la soirée puisqu’après The Apology Song, Santaolalla nous gratifie rapidement de morceaux issus du Secret de Brokeback Mountain, notamment Brokeback Mountain Suite qui reprend les accords iconiques du film au sein d’une seule et même composition. Démarrant par quelques discrets accords de guitare, le morceau s’emballe rapidement en mettant à contribution l’ensemble du groupe, notamment les percussions, pour un résultat qui réussit le tour de force de transcender le morceau original. Un enchantement pour les oreilles, un vrai frisson pour les fans, du grand art ! Tout juste regrettera-t-on (ceci pour l’ensemble du concert) que le Bataclan n’ait pas jugé bon de mieux régler la ventilation de la salle, le fort bruit de soufflerie constant n’étant pas des plus agréables pour les spectateurs, en particulier pendant les morceaux les plus épurés.
Alors que les esprits sont encore au sommet de Brokeback Mountain, Santaolalla nous ramène immédiatement sur terre avec le défoulant Manana Campestre, lui aussi issu des chansons de son groupe Arco Iris. Ici, plus de jeu d’alternance avec les rythmes, on est dans du pur morceau à l’ancienne pour danser, le tout sur des sonorités un brin western décalé qui n’auraient pas démérité au sein d’un film de Terrence Hill ou sur la scène de danse de Retour vers le Futur 3.
A nouveau, alors que les esprits sont déjà prêts à danser sur les sièges, Gustavo nous remmène dans les étoiles avec ses oniriques Apertura et De Ushuaia à la Quiaca, extrait de l’OST de Carnets de Voyages (la seconde étant également présente sur l’album Qhapaq Ñan). Sans doute parmi ses compositions instrumentales les plus enivrantes, de celles aptes à vous donner envie de vous allonger dans l’herbe, les yeux vers le ciel, en rêvant des paysages de l’Argentine. Si les versions d’origine sont déjà magnifiques, Santaolalla profite ici de l’occasion pour sublimer ces thèmes en mettant à contribution l’ensemble de son groupe et des instruments à leur disposition (ici en particulier la flûte), faisant notamment passer De Ushuaia a la Quiaca d’une « simple » balade zen à une véritable ode à l’évasion. On serait presque prêt à parier que des billets pour l’Argentine auront sans doute été réservés dans la foulée du concert.
« Je sais pourquoi beaucoup d’entre vous certains sont spécifiquement venus ce soir », lance soudain Gustavo avec amusement à l’assemblée, déclenchant une vague de rires dans la salle. Et oui, le monsieur n’est pas dupe, et c’est donc dans un tonnerre d’applaudissements que sont annoncés deux thèmes de The Last of Us : All Gone et le Main Theme. Si All Gone respectera à la lettre sa version d’origine déjà excellente, c’est sur le Main Theme que la surprise nous attend. Bien conscient que ce thème est déjà bien ancré dans les esprits des joueurs et des spectateurs (merci la série HBO), Gustavo et son groupe profite de l’occasion pour totalement revisiter le thème autant en termes de sonorités (nombre et diversité des instruments impliqués, dont des maracas) que de rythme, avec des passages ajoutés, voire totalement modifiés. Le résultat est indescriptible tant la composition gagne en intensité, notamment dans sa dernière partie qui, à renforts de violons et percussions mis en avant, en vient à gagner une dimension véritablement épique. Phénoménal, tout simplement !
Alors que le public et les fans sont encore sur un nuage, Gustavo se lance dans la dernière partie de son spectacle qui lui permet de boucler la boucle : après les OST, retour aux chansons. D’abord avec une parenthèse totalement hors du temps où Gustavo, seul sur scène avec un tambour (et sans micro svp !), se lance dans No Se Que Tienen las Penas en chantant d’une voix forte qui parvient à emplir la salle du Bataclan. Chapeau bas ! Puis son groupe le rejoint pour Sudamerica, jolie pépite d’Arco Iris issue de leur opéra-rock du même titre et mêlant à nouveau jazz et rock sur un rythme et des paroles endiablés.
Et d’endiablé, il en sera à nouveau question pour la conclusion de ce concert puisque le groupe ne tarde pas à faire signe à l’assemblée de se lever pour danser avec eux sur le rythme de Pa’Bailar, mélange de tango et de sonorités plus électro, qui ne sera pas sans rappeler le Santa Maria de Gotan Projet. La totalité du public ne se laissera d’ailleurs pas prier longtemps pour s’abandonner à un petit déhanché mené par le groupe, certains spectateurs venant même investir les allées pour pouvoir profiter encore plus de l’occasion. Après tout, ce n’est pas tous les jours qu’on danse avec Gustavo Santaolalla comme maitre de soirée ! Et au vu de cette expérience du jour, on espère désormais qu’une seule chose : le revoir très vite, toujours avec son groupe Bajofondo et toujours avec le soutien de l’équipe française de Los Production !