Interview de la réalisatrice Jeanne Aslan pour le film Fifi pendant les 25 èmes Rencontres du cinéma de Gérardmer.
Les questions
Votre film, Fifi, semble commencer avec une histoire d’amour qui débute au son du piano. Pourquoi ce choix spécifique ?
Jeanne Aslan : J’ai toujours cru que la musique est un véritable vecteur d’émotion. Dans Fifi, le piano est une métaphore du début de leur relation. Lorsque le personnage principal se met à jouer du Schubert, il crée une connexion profonde avec l’autre personnage, c’est là que leur histoire commence réellement.
Parlez-nous du casting. Vous avez de jeunes talents qui ont déjà été reconnus, notamment aux César. Comment les avez-vous choisis ?
Jeanne Aslan : Nous avons été incroyablement chanceux avec notre casting. Le jeune homme était notre premier choix – il dégage une intelligence subtile, sans avoir besoin de prononcer un mot. Quant à Céleste, c’était une surprise. Nous ne l’avions pas vue dans ses précédentes performances, mais dès son audition, nous savions qu’elle était parfaite pour le rôle.
Le film se déroule autour de Nancy. Quel a été l’apport de la région dans le film ? Le film aurait-il pu se faire sans eux ?
Jeanne Aslan : Honnêtement, sans le soutien de la région Grand Est, Fifi n’aurait probablement pas vu le jour. Nous avons rencontré des difficultés pour obtenir le financement du CNC, mais la région Grand Est a été le premier à nous soutenir. Je pense qu’ils ont senti que ce film avait une authenticité, étant moi-même originaire de cette région.
On ressent une certaine luminosité dans le film, malgré le fait qu’il se déroule dans un quartier difficile. Est-ce une décision consciente ?
Jeanne Aslan : Absolument. Je voulais éviter de tomber dans les clichés associés aux quartiers défavorisés. Au lieu de cela, je voulais offrir une échappatoire à Fifi et montrer ce qu’elle découvrirait en la suivant dans ce voyage. Le film est conçu pour avancer par la beauté, pas par le drame. C’est la raison pour laquelle il a été difficile à financer, mais je suis convaincue que c’était le bon choix.
Comment avez-vous réussi à capter la réalité des quartiers populaires, et plus particulièrement celle du haut du Lièvre à Nancy?
Jeanne Aslan: J’ai eu la chance de connaître cette réalité par ma famille qui vivait là-bas. C’est un endroit impressionnant avec ses grandes tours et une tour panoramique incroyable. Nous avons même eu la chance de tourner dans cette tour alors qu’elle était presque vide.
Pouvez-vous nous parler de votre approche pour dépeindre les quartiers dans votre film ?
Jeanne Aslan: Le film ne décrit pas les quartiers comme absolument obscurs, car il y a beaucoup de bons côtés aussi. Il y a une vie vibrant là-bas, il y a des amitiés, et cela fourmille de vie. Parfois, on reçoit des éloges sur la luminosité et l’aspect non misérabiliste du film. C’est juste une représentation fidèle de la réalité. Il est vrai que certains quartiers peuvent être difficiles, mais la majorité d’entre eux sont simplement négligés ou oubliés, où il ne se passe pas beaucoup de choses. Ce n’est pas un terrain de jeu constant pour les trafiquants. Je pense que la plupart des gens y mènent une vie normale, avec ses hauts et ses bas.
Pourriez-vous nous expliquer l’évolution des relations sociales dans le film et la manière dont vous avez traité la question de la différence sociale?
Jeanne Aslan: Le cœur du film réside dans le fait que la différence sociale s’estompe au fur et à mesure de l’avancement du film. Les deux personnages principaux se rapprochent sur un terrain complètement différent. En grandissant dans ces quartiers, j’ai vu comment la pauvreté affecte les gens de manières différentes et cela a grandement influencé la façon dont j’ai abordé cette question dans le film.
Pourquoi avez-vous choisi d’adopter une forme proche du documentaire pour ce film?
Jeanne Aslan: Nous voulions commencer le film avec une forme de réalisme, puis glisser vers quelque chose qui est plus de l’ordre du rêve. Nous voulions que les spectateurs vivent vraiment avec ces deux personnages et suivent leurs évolutions pas à pas.
Pourquoi avez-vous décidé de nommer le film « Fifi »?
Jeanne Aslan: Le choix du titre a été une longue histoire. Au début, le film devait s’appeler « Fifi Languille » pour symboliser le fait qu’elle se faufile d’un milieu à l’autre. Mais finalement, nous avons décidé de le simplifier à « Fifi », car c’était plus évocateur et moins usuel.
Que pouvez-vous nous dire sur le personnage de Fifi et sa situation ?
Jeanne Aslan: Fifi est une jeune femme qui cherche à s’échapper de son quotidien, non pas parce qu’elle vit dans un enfer, mais parce qu’elle a besoin de respirer, de rêver. À 15 ans, il est normal de vouloir un peu de liberté. Elle est le produit de son milieu et c’est ce qui l’influence. Fifi a parfois recours à l’alcool, pas parce qu’elle a un problème d’alcool, mais pour noyer ses problèmes et son manque d’espoir.
Quels aspects importants avez-vous voulu soulever dans ce film ?
Jeanne Aslan: Nous voulions mettre en évidence ces petites choses de la vie, qui sont souvent négligées mais qui sont importantes. Comme voir la mer, lire des livres chez soi, apprendre à jouer d’un instrument. Ces choses peuvent sembler anodines pour certains, mais pour beaucoup de gens, elles ne le sont pas du tout. Nous voulions montrer l’importance de ces aspects de la vie dans le film.