Après L’Année Juliette (1995) et Le Coût de la vie (2003), Fabrice Luchini a retrouvé le réalisateur Philippe Le Guay pour Les Femmes du 6e étage, une agréable comédie également interprétée Sandrine Kiberlain et Carmen Maura.
Comme dans les deux précédentes comédies du réalisateur (Le Coût de la vie, Du jour au lendemain), des individus questionnent leur propre rapport au bonheur, remettent en question leur existence. Dans Les Femmes du 6e étage un bourgeois un peu austère interprété par Fabrice Luchini se prend de sympathie et d’amitié pour une joyeuse cohorte de bonnes espagnoles qui vit… au sixième étage de son immeuble.
Phillippe Le Guay était invité au 32ème CINEMED pour présenter en avant-première sa nouvelle comédie en salle le 16 février prochain et s’entretenir avec la presse.
Phillippe Le Guay révèle en préambule que son intérêt pour les femmes espagnoles, héroïnes de son nouveau film, remonte à l’enfance : ses parents avaient engagé une nounou espagnole jusqu’à ses 5 ans.
Puis la réalisation d’un film sur Boris Vian (V comme Vian en 2009) lui a permis de se replonger sur le destin de ces bonnes espagnoles dans les années 60 et par là sur l’afflux migratoire qui a commencé dans les années 50 et 55.
Il précise que de 1950 à 1965 on comptait près de 500 000 travailleurs immigrés espagnols en France et Allemagne ; les femmes revenaient dans leur famille l’été pendant les vacances. Dans cette histoire symbolique de toutes les immigrations sont présentées « des étrangères incroyablement proches, catholiques qui partagent les mêmes valeurs, la même culture même s’il y a des différences énormes dans le comportement, la fierté, le rapport à la musique, à la fête ». Et d’ajouter « le sentiment européen est née dans ces années là ; on a ce passé, cette culture en commun ».
Il révèle avoir « toujours aimé, dans le tissu urbain, voir dans les squares, les rues, des groupes de femmes et d’hommes espagnols, groupes séparés, parlant très vite », comme « une présence mystérieuse dans la ville ».
En amont du tournage Philippe Le Guay a réalisé beaucoup d’entretiens avec des espagnoles et des patronnes, des souvenirs et des anecdotes intégrés en quantité au film.
Le tournage s’est déroulé dans un immeuble bourgeois acheté par les impôts ; ont été entièrement retravaillés moulures, parquets, la cuisine et l’escalier étant les espaces les plus investis par l’équipe. Le réalisateur tenait vraiment à relier l’appartement, l’escalier de service, l’étage du dessus afin de donner une sensation d’unité et éviter l’aspect décor de cinéma.
Photo FB
Est évoqué ensuite le travail avec les comédiens en premier lieu avec Fabrice Luchini dont c’est la troisième collaboration. L’acteur a tout de suite compris que c’est « un rôle qui recevait ». Au début du film son personnage d’agent de change rigoureux et de père de famille coincé évolue en effet dans un monde virtuel, il est comme endormi. Avec sa famille il est dans un « univers émotionnel gelé», alors qu’« avec ces femmes il a le regard émerveillé d’un enfant tout à coup cajolé ».
Il précise: « son regard sur ces femmes est le pivot autour duquel s’organisait tout le film ».
Le parcours du personnage le conduit « à découvrir un monde plus vrai, plus authentique, avec l’argent, l’exil, la solitude, la politique, la solidarité, toutes sortes choses qu’il n’a jamais envisagées »
Au sujet du personnage de l’épouse interprétée par Sandrine Kiberlain le danger était d’en faire « une virago, une femme castratrice comme ses deux copines ; le personnage de Suzanne est une provinciale, elle n’a pas vraiment tous les codes, elle essaie d’être au niveau que les deux autres, elle rame pour y arriver ».
Carmen Maura est la « pierre angulaire » de ce groupe festif d’employées de maison, une actrice « merveilleuse, généreuse ». Son personnage, Conception, est « le personnage de la loi archaïque. Elle voit en Jean-Louis (Fabrice Luchini) du respect, de l’admiration, en plus elle le trouve sympathique et attachant parce qu’il se démène pour rendre service mais en en même temps c’est une chose insoutenable pour elle qu’il se rapproche au point de devenir l’amant ou le mari éventuel de Maria ». Si le film propose une sorte d’utopie, où tout semble pouvoir se mélanger, « elle incarne le principe de réalité ».
Dans ce groupe de femmes est évoquée via le personnage de Carmen, interprété par une autre interprète de Pedro Almodovar, Lola Duenas, la guerre d’Espagne.
Enfin Philippe Le Guay loue le talent de la jeune interprète de Maria, une actrice espagnole très populaire à la télévision, « la Maria idéale, fraiche, avec une fierté, une arrogance, parfois une certaine violence qui font qu’elle n’est pas seulement un objet de désir ».
A côtoyer cette joyeuse bande d’actrices, il a ressenti cette « même euphorie que le personnage de Luchini » à être avec ces femmes du 6ème étage.
Avec cette histoire d’un patron troublé par son employée de maison, Philippe Le Guay développe un des grands thèmes du théâtre et du cinéma, la relation domestique-maître, traitée avec succès par des auteurs comme Sacha Guitry ou Renoir sans parler de Molière et de Marivaux.
Buñuel grand portraitiste de la bourgeoisie est également une référence incontournable.
Pour Le Guay « le cinéma c’est faire le chemin vers l’autre, vers l’altérité ». Les femmes du 6ème étage s’inscrit dans un grand schéma cinématographique : « énormément de films raconte la prise de conscience d’un personnage ; le spectateur est convié à s’identifier, à faire le mouvement étape par étape de cette prise de conscience ». Il développe avec passion : « On vient au cinéma pour prendre conscience du monde, pour se distraire aussi ; les films qui personnellement me touchent montre un personnage qui se déplace, qui casse l’ordre pour trouver une nouvelle forme de réalité de lui-même ».
Avant de conclure « le genre de la comédie m’offre le plaisir fraternel d’être avec des personnages qui sont dans la vie ».