Nous vous proposons l’interview du scénariste Colin Vettier à qui nous devons les scénarios de Ouvert 24/7 et de Errange qui sont réalisés par Thierry Paya.
Colin Vettier et Thierry Paya
– Depuis combien de temps écris tu des scénarios ?
Colin Vettier : Je dirais que le premier scénario sur lequel j’ai planché ce devait être en 2005. A la fac. C’était plus un exercice de style qu’autre chose. Le but était de nous initier aux technologies que l’on aborderait d’un point de vue juridique au cours des années suivantes.
Donc nous voilà à plancher à 5 sur un scénario de court métrage. Même si on a fait des efforts sur la chose, ça ne ressemblait pas vraiment à un scénario au sens formel du terme. Et puis écrire à 5, quel bordel ! Mais quelle expérience.
Mais mon premier « vrai » premier scénar’ a été pour feu Terror Project, en 2006 ; ça fait donc 4 ans.
Auparavant je traumatisais des pages et des pages de cahier à grands coups de nouvelles et autres écrits réduits.
– D’ailleurs combien en as-tu écrits ?
Colin Vettier : Aucune idée. Ça doit être de l’ordre de 3 longs et 10 à 15 courts.
Ça peut paraître peu, mais il arrive que je perde patience lorsque je vois que l’aboutissement du projet est hypothétique. Du coup j’ai abandonné quelques projets qui me semblaient un peu irréalistes.
– Quels sont les films ou court métrage adaptés (ou en cours d’adaptation) basé sur tes écrits ?
Colin Vettier : Je commence par le gros morceau : Thierry Paya. Non pas qu’il soit particulièrement gargantuesque, mais c’est lui qui a mis en images le plus grand nombre de mes écrits. Allez hop, inventaire à la Prévert :
• Jogging (court métrage)
• OUVERT 24/7 (long métrage)
• ERRANGE (long métrage – en développement)
D’ailleurs il y a chez lui un tiroir plein de mes scénarios, certains à faire, d’autres à oublier 😉
PeeAsh Debiès a réalisé 36e Sous Sol, un court métrage pour lequel je l’ai accompagné dans l’écriture du scénario. C’était très intéressant car je suis intervenu assez tard dans le processus d’écriture, du coup l’exercice était très différent.
J’ai co-écrit High/Low avec Fabien Dubois, un court métrage très intimiste. On y retrouve vraiment l’univers de Fabien, et là encore la gymnastique scénaristique a été particulière : nous avons écrit très vite, et je me suis fondu dans l’univers de mon co-scénariste/réalisateur.
Enfin, co-scénarisation toujours, avec Pierre-Louis Levacher, sur un long métrage : Raymond. Il me semble qu’il est actuellement en recherche d’une production.
Dans un genre totalement différent, j’ai participé à Aime-Moi, un court métrage conceptuel de Chris Schu. J’ai un peu trifouillé un scénario qu’il m’a soumit, et j’ai écrit les dialogues. Le style du résultat final, m’a permis de me laisser aller à quelque chose de plus littéraire…
Colin Vettier
photo ©Chris Schu
– Ecris-tu sur demande d’un réalisateur ?
Colin Vettier : Quasiment toujours. J’ai du mal à mon plonger durablement dans un projet, si je n’ai pas un minimum de certitudes que quelqu’un va le mettre en images après.
Ça peut paraître prétentieux, mais je ne suis pas scénariste « professionnel », dans le sens où l’écriture n’est pas mon activité rémunératrice. Du coup, si après avoir écrit – et l’écriture en solitaire est vraiment douloureuse – il faut encore se barboter du démarchage… non merci.
Je tiens à ce que l’écriture de scénario reste une passion – du moins tant qu’elle ne me rapporte pas suffisamment pour en vivre – alors je limite au maximum les activités annexe à l’écriture.
Résultat, je ne me lance pas dans un projet sans un réalisateur. D’autant qu’écrire avec un réalisateur ça permet un échange très enrichissant. Le scénario prend forme plus vite, et est plus riche (sauf si le réalisateur à confondu « scénariste » et « secrétaire »).
Et puis dans le cinéma indépendant, le plus important est de se faire plaisir. Alors, l’idée est de ne pas écrire quelque chose que le réalisateur n’aura pas envie de mettre en images…
– Qu’est ce qui t’attire dans l’écriture ?
Colin Vettier : Joker ? C’est une sacrée question. Quelqu’un a dit « ce que j’aime, ce n’est pas écrire, c’est avoir écrit ». Je n’ai toujours pas trouvé l’auteur de cette phrase, que j’ai du lire dans un live qui lui même la citait d’un autre auteur. Je la trouve parfaitement juste. Écrire, c’est un processus douloureux. Je vous épargne la métaphore sur la défécation, mais vous aurez compris où je veux en venir.
Ce qui est intéressant c’est de partager. Or la majorité du temps passé à écrire, c’est devant un écran d’ordinateur avec une tasse de thé – sucre et nuage de lait, merci.
– D’où te vient ton inspiration ?
Colin Vettier : Le plus sérieusement du monde, de ma connerie et de celle des autres. Si l’homme n’était pas aussi con, je n’aurais rien a écrire. Et si je n’étais pas aussi con, je n’aurais probablement pas envie de l’écrire. (d’écrire non ?!)
Quelque soit le type de scénario à écrire (et même de nouvelles ou autres) j’ai besoin de me libérer de mes conneries. Donc les premiers jets et idées, vont être profondément débiles. Les blagues pipi-caca je m’en débarasse dès le début, comme ça, ça évite qu’il en traine dans le scénario par la suite 🙂
– Es tu un grand cinéphile ?
Colin Vettier : Non. Je suis allé une fois au cinéma. Il faisait froid et noir, j’ai pas aimé… Et tous ces gens qui chiquent du maïs soufflé…
Plus sérieusement, je ne sais pas si je suis cinéphile ou cinéphage. Je regarde beaucoup de films, et particulièrement des micro-budgets indépendants américains. C’est un peu mon dada, ça me permet de chroniquer des films improbables pour Horreur.com ! Mon dernier coup de cœur est Brian Wimer, un jeune cinéaste qui casse vraiment la baraque. Un journaliste américain à vu en lui la relève de l’argento des années Suspiria etc… Sans être du giallo, il a un véritable sens de l’esthétique qui le rapproche effectivement de l’italien.
Sinon je regarde des classiques, mais je prends mon temps. De toutes façons, vu qu’en ce moment, à part des suites et des remakes, il n’y a pas grand chose, je n’ai pas envie d’avoir vu tous les films cultes classiques tout de suite. 🙂
– Si l’on ne devait citer qu’un scénariste (Américains ou autres), qui serait à ton avis celui qui te ressemblerait le plus ?
Colin Vettier : James Gunn ? L’homme qui est passé de Tromeo et Juliet, à Scooby Do, et qui maintenant fait le PG Porn ! Quel plus beau parcours ?
Après, j’ai un petit faible pour les anglais (Pegg & Wright, mais aussi Stephen Merchant, Mark Gatiss, …), surtout ceux de la télévision. Ils ont un millénaire d’avance sur le monde entier en matière d’écriture de fiction humoristique.
Sinon j’aimerai ressembler à Pierre Desproges.
Peut-être que ceux vers qui je tends le plus, ne sont pas des scénaristes mais plutôt des écrivains de fiction… On m’a fait de très beaux compliments en comparant mes travaux à ceux d’écrivains renommé que j’affectionne plus ou moins. Mais comparer un scénario aux travaux de romancier… ça m’a beaucoup touché.
Guillaume Colson, Thierry Paya Colin Vettier
photo ©Chris Schu
– Pourrais tu nous parler de ta rencontre avec Thierry Paya ?
Colin Vettier : C’était dans les backroom d’un club gay de la vallée de la Fensch. Comment que c’était le nom déjà… Le Poing de Force. Je me souviens encore, il tenait un bidon d’huile total dans la main.
Bon, en vrai, on s’est rencontré par Horreur.com. J’avais écrit une nouvelle, et il m’a dit qu’il faisait des courts, qu’il avait aimé la nouvelle et qu’il voulait l’adapter.
J’ai donc réécrit la chose en format scénario. Comme il fallait écraser un bébé contre une vitrine et faire descendre un avion en flamme sur une ville, on s’est dit qu’il vaudrait mieux faire autre chose.
C’est ce qu’on a fait ! Il m’a demandé de lui écrire des pitchs pour une réalisation très courte « 6-7 minutes ». J’ai écrit le pitch de Jogging, ça lui a plu, il a développé le scénario et l’a tourné l’été 2007.
Le tout sans jamais s’être rencontré en chair et en os.
Vers mars 2008, on a finit par se rencontrer et c’est là qu’est né OUVERT 24/7.
– Pourquoi as-tu voulu travailler avec lui ?
Colin Vettier : Parce qu’il voulait bien.
Parce que quand je dis une connerie, il ne me jette pas un regard désapprobateur : il surenchérit.
Parce qu’il est gentil, beau, drôle et que les femmes l’adore. (Tu me dois 50€ pour celle là Thierry !)
En fait la première fois que je l’ai rencontré, j’avais un peu peur. J’ai débarqué chez lui en train, je ne le connaissais pas autrement que par internet… c’était un pas nécessaire à franchir, mais j’étais pas très à l’aise. Pour ne rien arranger, je suis un peu timide.
Finalement, il n’a pas tenté de violer mon intégrité rectale, ni de me découper en petit bout.
Et puis, il y a chez lui, et dans les gens qui l’entourent, une certaine aura qui fait que l’on se sent à l’aise très vite.
– Pourrais tu nous dire comment s’est déroulé ta collaboration avec Thierry sur ouvert 24/7 ?
Colin Vettier : Oui, mais après je serais obligé de vous apprendre la brasse coulée avec des chaussettes en béton.
Le processus d’écriture est très collaboratif. Quand je travaille avec Thierry on partage des idées – beaucoup d’idées. Ensuite j’écris en fonction de ce que nous avons déterminé. Puis je lui soumets. Si ça lui plait tant mieux, sinon on en rediscute jusqu’à ce qu’on soit tous les deux satisfaits… ou qu’on se retrouve face à un mur. Dans ce cas, on s’arrête pour réfléchir plus posément.
Sur Errange par exemple, Chris Schu (le photographe de plateaux qui nous a rejoint sur OUVERT 24/7) a lu des versions très avancées du scénario, ce qui a permis d’avoir un point de vue extérieur. C’est très important.
– D’ailleurs vous allez travailler Thierry et toi sur Errange… Pourrais tu nous expliquer pourquoi vous avez choisi d’adapter ce scénario ?
Colin Vettier : Enfin, maintenant que le scénar est écrit, c’est surtout lui qui va travailler 😀
A dire vrai,on n’a pas vraiment choisi de travailler sur Errange. Quand OUVERT 24/7 a été fini, tout le monde était lessivé, et c’était la fin de l’aventure. On s’était dit que les longs sans argent c’était fini.
Du coup, on a commencé à développer divers projets, mais pas de long. Et puis un jour, après avoir vu une bande annonce sur internet (Hobo with a Shotgun), je lui ai dit : « et si on faisait un film super simple façon grindhouse ? » Il a tout de suite apprécié l’idée. Le concept était de faire un Charles Bronson Mosellan.
Mais à la deuxième page de scénario j’avais fait le tour du sujet : sort dehors – massacre tout le monde – fin. Alors ça a complètement dévié, et ce n’est plus du tout une série B à la Bronson.
– Mais que raconte l‘histoire d’Errange ?
Colin Vettier : Errange c’est l’histoire d’un endroit un peu hors du temps, où errent des protagonistes à la recherche de référents. Tout ce sur quoi ils ont construit leur vie jusqu’à maintenant s’effondre. Donc ils doivent s’adapter. Et ceux qui ne parviennent pas à s’adapter se marginalisent…
Comme OUVERT 24/7 l’histoire fonctionne sur le principe d’un binôme qui tente d’atteindre un certain équilibre tout en gérant sa misère. Mais Errange sera bien moins léger qu’OUVERT 24/7. C’est ce que permet le format long classique, les personnages seront donc plus profonds et aussi plus sombres.
Un film c’est aussi des images, donc j’ai hâte de découvrir quels angles Thierry apportera à l’histoire en la réalisant.
– D’où t’es venu l’idée d’Errange ?
Colin Vettier : En premier lieu de la volonté de refaire quelque chose avec Thierry, mais aussi avec toute l’équipe de Singapour 1939 Productions.
En second lieu, je dirais que c’est très environnemental. J’ai écrit Errange en sachant où il serait tourné. Résultat le lieu a guidé mon écriture, bien que l’environnement (social et gégraphique) ne soit qu’une toile de fond.
Et puis, depuis que je viens chez Thierry, j’ai envie d’intégrer la vallée de la Fensch dans un scénario. C’est un lieu extrêmement cinégénique, gonflé d’inspiration. On pourrait le croire doté d’une vie propre.
– Deux films (un court et un long) adaptés de ton travail sont sélectionnés au festival Killer Film Fest, comment as-tu pris cette nouvelle ?
Colin Vettier : Très bien, pourquoi ? 🙂
Je crois que la première chose que je me suis dit, c’est : « wow ». La seconde devait être « enfin un festival qui ne nous snob pas ».
Pour autant, je n’ai pas remplacé mon thé et mes tartines de marmelade par un bol de champagne et des toasts au caviar.
Ça fait vraiment du bien quand les gens reconnaissent ton travail. Ça donne un sens supplémentaire à tout ça. Parce que faire un film c’est bien, qu’il soit vu, c’est mieux !
– Tu as été travaillé il me semble avec Lloyd Kaufman… Pourrais tu nous parler de votre rencontre et de ton travail avec lui ?
Colin Vettier : J’ai été faire un stage chez Troma. C’était majoritairement du travail administratif. Je n’ai quasiment pas vu Lloyd pendant ce temps. Mais j’ai rencontré plein de gens supers.
Ca a été compliqué d’organiser sa venue car c’est un homme très occupé. Mais il avait l’air enchanté de venir jouer un petit rôle pour nous. Même si, une fois sur le quai de la gare de Metz, il m’a demandé de lui rappeler comment nous nous étions rencontrés.
C’est un sacré bonhomme. Et hors de son personnage, c’est quelqu’un que j’admire beaucoup.
– Pourquoi ne désires tu pas réaliser toi-même des films ?
Colin Vettier : Ah ! La question embarrassante.
Pour la bonne raison que j’ai la naïveté de croire qu’on ne peut pas être un bon scénariste et un bon réalisateur à la fois. En tout cas, pas sur le même projet. Ce sont deux postes bien distincts, et il me semble que c’est une bonne chose qu’ils le restent. Même si en France nous avons un tradition de réalisateurs-scénaristes.
Pour le moment ça ne m’intéresse pas aussi pour une autre raison : c’est plus d’emmerdes que je ne pourrais en gérer. Tout particulièrement au niveau de la direction d’acteur, où il faut trouver un véritable équilibre pour ne pas se faire manger, mais ne pas non plus être un tyran…
Par contre, je ne serais pas contre une co-réalisation. Mais peut-être pas tout de suite.
– Es tu en train d’écrire de nouveaux scénarios ?
Colin Vettier : Tout à fait. Je suis en train de me creuser les méninges avec plusieurs personnes pour des projets de scénario futurs. Mais pour l’instant rien de très précis ; juste des discussions passionnées.
– D’autres projets ?
Colin Vettier : Oui. J’aimerai implanter un parc d’attraction en Charente, dont le thème serait la coloscopie.
Sinon, un projet avec deux jeunes dessinateurs sacrément doués.
J’essaye de tenir un blog (panikattak.fr) et d’écrire des nouvelles, mais comme dit précédemment, quand j’œuvre en solitaire, j’ai du mal à aller jusqu’au bout. J’ai besoin de savoir que quelqu’un attend quelque chose de ma part pour vraiment concrétiser les choses.
J’aimerais écrire un jeu vidéo aussi. Pas nécessairement une grosse bombe technologique. Un jeux de type « retro gaming » ou un point & click à la Machinarium.
Interview réalisé par Stéphane Humbert le 9 août 2010