Quand la Seconde Guerre mondiale a éclaté, Desmond, un jeune américain, s’est retrouvé confronté à un dilemme : comme n’importe lequel de ses compatriotes, il voulait servir son pays, mais la violence était incompatible avec ses croyances et ses principes moraux. Il s’opposait ne serait-ce qu’à tenir une arme et refusait d’autant plus de tuer.
Il s’engagea tout de même dans l’infanterie comme médecin. Son refus d’infléchir ses convictions lui valut d’être rudement mené par ses camarades et sa hiérarchie, mais c’est armé de sa seule foi qu’il est entré dans l’enfer de la guerre pour en devenir l’un des plus grands héros. Lors de la bataille d’Okinawa sur l’imprenable falaise de Maeda, il a réussi à sauver des dizaines de vies seul sous le feu de l’ennemi, ramenant en sureté, du champ de bataille, un à un les soldats blessés.
Avis de Manu
Il est souvent difficile de séparer la vie privée du talent créatif d’un artiste quand celle-ci est mise à jour. Mais puisque le but est de faire une lecture de l’œuvre et non de l’homme, il convient de mettre an avant le talent d’acteur comme de metteur en scène de Mel Gibson, au-delà des frasques de ce dernier, et ce depuis plus de trente ans. La passion du Christ avait fait à sa sortie en 2004 autant couler d’encre sur le papier que d’hémoglobine sur la toile dans des arcades allant bien au-delà de la simple critique du film. S’il était en effet légitime d’exprimer des doutes et mettre entre parenthèses certains parti-pris du cinéaste, sa liberté de ton et ses accents historiques rendaient intéressant ce film qui ne laissait personne indifférent. On pouvait aimer ou détester mais la prise de risque moins douteuse qu’on avait voulu nous le faire croire était bien là.
Après être revenu sur des bases plus cinéphiles avec son survival Apocalypto qui réinventait presque le genre dans sa manière toujours viscérale de filmer les choses, le réalisateur du multi oscarisé Braveheart revient avec un film de guerre sous forme de biopic, puisque tiré d’une histoire vraie. Avec un casting plutôt étoilé, le film peut être scindé en deux parties, une première aux accents plutôt dramatiques, voire sirupeux, et une seconde où les déflagrations et dommages collatéraux et autres de la guerre explosent littéralement aux yeux du spectateur.
Moins à l’aise sur le versant sentimental de son film, surtout sur la partie passionnelle du film, Mel Gibson réussit tout de même à installer un prologue familial si cher au metteur en scène. L’accent est évidemment mis sur tout un pan religieux (peu étonnant maintenant chez le réalisateur) mais prend une convergence plus mystique que religieuse. Evidemment les plus réfractaires ne mettront pas autant d’eau dans leur vin, et seul un discours plein de bondieuseries semblera apparaître devant leurs yeux. Difficile d’affirmer le contraire, mais cette fois la proposition de Mel Gibson semble un peu plus ambivalente bien que très (trop) habitée. La première partie du film est donc maladroite et manque un peu de hauteur figeant le film dans une certaine naïveté des sentiments qui sert autant l’introduction des personnages que dessert la globalité de son récit.
Le film bascule alors dans une seconde partie où l’art guerrier prend forme une fois de plus dans un film de Mel Gibson et n’épargne rien au spectateur dans ce qu’il tend de véracité. La violence graphique et presque « réelle » scotche et plonge aussi vite les yeux innocents dans une apocalypse guerrière rarement vue au cinéma. La cruauté de certains plans ne fait que renforcer la vérité du champ de bataille. Au-delà des éclats de balles et des fragments d’obus, de chairs, le film est relativement intelligent, à défaut d’être subtil, et offre une proposition finalement peu cloisonnée d’un discours qu’on aurait pu croire beaucoup plus extrême de son auteur.
Et c’est par ses comédiens que le film finalement s’échappe, chacun donnant au rôle qu’on lui a octroyé une saveur réaliste particulière qui procure une certaine légitimité à l’ensemble. Comme tout film hollywoodien il y a bien sûr un certain élan patriotique mais cette marque indélébile du corps militaire made in USA est probablement, à force, à mettre plus sous le drapeau culturel que national. S’il est difficile d’adhérer à la totalité du propos avec un regard européen, Mel Gibson livre tout de même un film où le courage est loué sous des accents d’universalité et ceci souligné par des extraits de documentaires d’époque en toute fin de film. Tu ne tueras point ne renverse donc pas la donne mais dans son ambivalence, dans ses maladresses, comme dans ses brillantes réussites visuelles, se dégage au final un moment de cinéma avec la patte d’un auteur, qu’on apprécie ou non…une fois de plus.
Avis de Fabien
Tu ne tueras point marque le retour à la mise en scène de Mel Gibson, dix ans après l’intense survival Apocalypto. Catholique convaincu, fasciné par la violence gore comme en témoigne une filmo de réal parsemée de chairs martyrisées (depuis L’homme sans visage et son personnage principal défiguré) et d’effusions d’hémoglobine (l’acmé, son film d’horreur, La Passion du Christ), Mel Gibson était le réalisateur idéal pour porter à l’écran l’histoire vraie de Desmond Doss, objecteur de conscience coopérant qui a sauvé des dizaines de vie pendant la bataille d’Okinawa en 1945.
Tu ne tueras point est centré sur Desmond Doss, adventiste du 7ème jour, un homme de foi, aux convictions inébranlables qui refuse de porter une arme et va mettre en péril la sienne pour sauver ses camarades lors d’un épisode terrible de la seconde guerre. La première partie du film raconte l’enfance et l’adolescence de Desmond, la naissance de sa foi, de ses convictions (en réaction à un trauma, à sa relation compliquée avec son père), de son amour pour une jolie et douce infirmière avant son engagement dans l’armée. Cette première partie intime, avec moments mélodramatiques et envolées romantiques, n’est pas ce qu’il y a de plus assuré dans le film (rien d’indigeste toutefois) mais est nécessaire pour expliquer le comportement sacrificiel de Desmond au front, l’altruisme sans réserves de l’homme poussé par sa foi. Douceur puis violence, bonheur puis horreur, élans romantiques et giclées de gore cimentent le cinéma de Gibson : aux scènes inaugurales de romance et de bonheur familial de Braveheart et Apocalypto succèdent des séquences guerrières implacables où le personnage lutte pour la survie des siens et être libre. Puis l’entrainement à Fort Jackson, avec quelques scènes assez amusantes de chambrée avec dialogues virils comme dans Le maître de guerre et de mise en condition musclée des recrues, se solde par la convocation en cour martiale de Desmond pour avoir refuser de toucher une arme. Avec quelques scènes intenses de procès, Gibson met en scène le combat de Desmond pour rester dans l’armée qui ne peut tolérer son attitude et l’accuse d’avoir désobéi aux ordres de son officier supérieur. Comme pour William Wallace dans le chef d’oeuvre Braveheart est proposée au personnage de renoncer à ses convictions pour être libre : « plaidez coupable », l’exhorte l’accusation. Le motif récurrent de la crucifixion dans le cinéma de Gibson est présent également ici via un dialogue entre la fiancée de Desmond et son père venu le soutenir dans cette première épreuve : « Ils veulent le crucifier ». L’heure suivante nous plonge dans l’enfer de la guerre à Okinawa en mai 45. L’ascension de Hacksaw Ridge via un gigantesque filet nous transporte vers une autre dimension, d’horreur et de sauvagerie, l’idée de passage vers un monde inconnu est renforcée par le dialogue « On n’est plus au Kansas, Dorothy » renvoyant au Magicien d’Oz.
Comme pour les scènes de batailles hallucinantes de Braveheart, jamais égalées en terme de réalisme brutal avec une caméra au coeur de l’action, des effets spéciaux physiques bluffants et un mixage sonore percutant, Mel Gibson orchestre dans Tu ne tueras point un spectacle guerrier plein de bruit et de fureur, en filmant dans les tranchées, au ras de la terre, une terre de désolation et de mort jonchée de cadavres en décomposition, de corps mutilés, de visages défigurés. Depuis la séquence du Débarquement dans Il faut le soldat Ryan, on avait pas vu de représentation aussi impressionnante de bataille de la seconde guerre. Chaque séquences guerrière de Tu ne tueras point raconte une histoire. La première bataille, d’une durée de quinze minutes tétanisantes, est d’une grande sauvagerie, brute et viscérale : déluge pyrotechnique, balles qui fusent, corps suppliciés… Gibson montre également l’après combat : les cadavres rongés par les rats, le repos des soldats où les cauchemars et la peur empêchent de dormir, les confidences qui permettent de combler une attente interminable avant le prochain assaut. La séquence suivante (30′), plus stylisée que la précédente avec ajout de musique, montre le courage et l’abnégation de Desmond qui sous un déluge de balles et de flammes court, rampe, lutte pour sauver toujours plus de blessés. Cherchant une réponse de Dieu au coeur de la bataille (« par pitié aide moi à en sauver un de plus »), Desmond retourne encore et encore sur le champ de bataille pour ramener encore plus de blessés, geste sacrificiel saisi avec lyrisme par Gibson. La dernière séquence, située le 3ème jour, jour de Sabbat, voient les soldats galvanisés par l’exploit de Desmond triompher sur leurs ennemis et prendre Hacksaw Ridge, séquence la plus courte mais la plus emphatique et stylisée avec ralentis, musique, travellings au ras de la terre, prise de vue subjective de soldats fusil en main. Desmond Doss aura sauvé 75 blessé. Il fut le premier objecteur de conscience à avoir obtenu la Médaille d’honneur. Ultime hommage à ce héros campé avec conviction par Andrew Garfield, Desmond Doss apparaît dans des images d’archive lors du générique de fin.
D’une facture technique remarquable (2 Oscars à la clé, son et montage), avec des séquences guerrières d’une sauvagerie frontale impressionnante, Tu ne tueras point confirme le talent de Mel Gibson à mettre en scène des spectacles épiques mémorables.
Technique
Piqué acéré, profondeur de champ, contrastes équilibrés, les images sont superbes en toutes circonstances. Le remarquable mixage sonore, avec explosions, tirs, cris et musique, répartis sur tous les canaux pour une plongée dans l’horreur, a été logiquement récompensé par un Oscar.
Bonus
Ce disque blu-ray Metropolitan débute par un message de Mel Gibson (1′), hommage aux vétérans, aux militaires et à la force divine.
6 scènes coupées de 4′ sont ensuite proposées.
Les coulisses du tournage (70′) est un copieux making-of avec interviews du producteur Bill Mechanic, des scénaristes, de Mel Gibson, d’Andrew Garfield, au sujet du personnage de Desmond Doss, la difficulté de porter son histoire à l’écran et aussi sur le tournage des scènes d’action. Pour les scènes de guerre tournées en Australie, 3 batailles avec des caractéristiques distinctes et des styles différents, le réalisateur voulait « qu’on aille au sol, avec les balles qui fusent au dessus…au milieu des explosions et des tirs » et « plonger les spectateurs au coeur du combat ». Pour Mel Gibson ce film réunit les 3 E : « exaltant, éducatif et enrichissant ». Le documentaire dévoile les secrets de cascades et effets réalisés en direct puis s’attarde sur la musique de Rupert Gregson Williams et l’excellent mixage sonore de ce grand film de guerre.