Cascadeur à moto, Luke est réputé pour son spectaculaire numéro du «globe de la mort». Quand son spectacle itinérant revient à Schenectady, dans l’État de New York, il découvre que Romina, avec qui il avait eu une aventure, vient de donner naissance à son fils… Pour subvenir aux besoins de ceux qui sont désormais sa famille, Luke quitte le spectacle et commet une série de braquages. Chaque fois, ses talents de pilote hors pair lui permettent de s’échapper. Mais Luke va bientôt croiser la route d’un policier ambitieux, Avery Cross, décidé à s’élever rapidement dans sa hiérarchie gangrenée par la corruption. Quinze ans plus tard, le fils de Luke et celui d’Avery se retrouvent face à face, hantés par un passé mystérieux dont ils sont loin de tout savoir…
Avis de Fabien
Après Blue Valentine (2010), chronique déchirante sur le délitement d’un couple avec Ryan Gosling et Michelle Williams, Derek Cianfrance fait montre d’ambition romanesque avec The place beyond the pines, saga familiale étalée sur 15 ans portée par un casting très hype avec l’incontournable Ryan Gosling, Bradley Cooper et Eva Mendes.
Tragédie familiale divisée en 3 chapitres The place beyond the pines s’ouvre, de manière scotchante avec une caméra mobile façon Dardenne, sur les exploits motorisés d’un motorcycle boy torturé interprété par Ryan Gosling, écorché vif mutique qui rappelle forcément le Driver du cultissime Drive de Nicolas Winding Refn. Ce personnage de rebelle tatoué à la recherche du bonheur pour lui et sa nouvelle famille disparaît brutalement dès le premier chapitre mais son souvenir hantera tout le film, les personnages interprétés par Bradley Cooper et Dane DeHaan dans les parties suivantes comme le spectateur intrigué par cette figure charismatique tragique. Les hasards de la vie vont rapprocher tous ses êtres dans un tableau sensible en clair-obscur d’une humanité qui se débat pour se faire une place au soleil.
Porté par une rigoureuse intensité dramatique, interprétés par des acteurs magnifiques (Gosling, Cooper et Mendes livrent des prestations mémorables), The place beyond the pines est une tragédie puissante et marquante sur les relations père/fils, dans la lignée du travail de James Gray (La nuit nous appartient). Derek Cianfrance livre un très bon film qui devrait le faire rentrer dans la cour des grands.
L’avis de Manuel Yvernault :
Blue Valentine, son précédent film, avait permis à Derek Cianfrance de se construire une solide réputation, et Michelle Williams de recevoir une deuxième nomination aux Oscars (3 depuis, avec Marilyn). De ce film intimiste sur la vie d’un couple, Ryan Gosling est le seul encore présent dans le dernier long-métrage du réalisateur.
Toujours ancré comme ses deux premiers films au cœur d’une famille, d’un couple, The place beyond the pines prend la forme majuscule de ce que le réalisateur avait entamé avec Blue Valentine. Les quelques défauts de ce dernier, certains passages qui semblaient s’étirer sont ici totalement absents. Léger paradoxe quand le film atteint presque les 2h30, qu’on ne voit pas passer.
Derek Cianfrance capte le désespoir et le drame aussi bien avec une âpreté qu’une beauté formelle. Les dix années qui séparent son premier film (Brother Tied) de son deuxième, il les a passé à réaliser des documentaires, et sa mise en scène s’en ressent.
Sorte de pendant shakespearien qui serait orné tout de même d’espoir, le film parle de tragédies familiales et de filiations. Tel un triptyque qui reviendrait à son point de départ, The place beyond the pines est d’une écriture non seulement soignée mais totalement imprégnée de vérité humaine. Tous les personnages et comédiens sans exception se fondent pour une seule entité, celle du film. Les seconds rôles d’abord, parmi eux, Ray Liotta bien sûr, Ben Mendelsohn de plus en plus en vue ces derniers temps (Cogan, The Dark Knight Rises, Animal Kingdom) prouve qu’il faudra compter de plus en plus avec lui, Rose Byrne, magnifique et le jeune Dane DeHaan (Chronicle) confirme. Mais c’est sans conteste le trio Gosling-Mendes-Cooper qui remporte l’adhésion. C’est simple, ils sont parfaits, toujours à la limite de ce que leur rôle demande, sans jamais tomber dans l’exagération, l’économie se fait même souvent par un sens aigu des dialogues, équilibrés, précis et criants de vérité. Un casting réussit du premier au dernier rôle, et ils sont nombreux.
Parfait équilibre donc, autant sur ce plan que dans la narration et le traitement. Surprenant d’un bout à l’autre par les multiples directions que le réalisateur décide d’emprunter et ce même jusqu’à un rebondissement téléphoné qu’il réussit à faire passer en douceur et vérité. Si visible qu’il en reste crédible.
On croirait presque ressentir par moments le souffle d’un James Gray (sans son ampleur tragique) et d’un enfant ayant grandi devant les films de Cassavetes (plus pour la direction d’acteurs que la réalisation il est vrai).
Toute captive de la première à la dernière minute, de la photo très naturelle de Sean Bobbit (directeur photo de Steve McQueen, tiens…) à la musique du grand Mike Patton, décidément surdoué dans tous styles de compositions (nous ne sommes pas objectif sur ce point).
Derek Cianfrance s’est amusé avec la forme joueuse de son récit à balader son film entre plusieurs genres. Son procédé, s’il n’est pas nouveau, se veut appliqué avec justesse autant par ce qu’il tend à transmettre que l’affect qu’il porte à ses comédiens. Il réalise un drame bouleversant et poignant qui prend dans une certaine mesure et retenue, des accents de thriller et tragédie humaine. Là où certains dans le cinéma indépendant ne voit qu’affliction et détresse, Cianfrance lui, se permet des notes d’espoirs en forme de lumière, bien au-delà de la cime des pins comme il semble le suggérer. Probablement un des films les plus touchant en ce début d’année sinon un des plus épique et maîtrisé dans le cinéma étiqueté « indé ».