David Locke est un reporter américain basé en Afrique. Un jour où il se rend à son hôtel, il découvre le corps sans vie d’un homme lui ressemblant étrangement dans la chambre voisine. Il décide de lui prendre son identité et de vivre une nouvelle vie qu’il espère plus passionnante, ce qui l’amènera à rencontrer une mystérieuse femme qui semble aussi perdue que lui. Ce qu’il ne sait pas, c’est que le cadavre dont il a pris l’identité était un espion au service d’un groupe terroriste…
L’avis de Fabien
Après Blow-up (1966) et Zabriskie point (1970), Profession : reporter (1975) est le 3ème film tourné par Michelangelo Antonioni loin de son Italie natale et de sa célèbre trilogie L’avventura (1960), La Notte (1961) et L’Eclipse (1962). Suite à des années de voyage et de réflexion le réalisateur italien livre une nouvelle trilogie formée par Zabriskie point, Chung Kuo (1972) et Profession : reporter, trilogie marquée par le désert, l’errance et la recherche d’un ailleurs.
Cette trilogie est encadrée par 2 films réalisés dans le désert pour une réflexion sur le vide et l’absence : le désert, espace vaste, champ vide est le lieu de la perte de soi et figure le désert de l’âme de David Locke, le personnage de reporter à la dérive interprété par Jack Nicholson dans Profession : reporter. Ce film raconte la lente désintégration d’un individu, un personnage absent au monde comme Meursault dans L’étranger d’Albert Camus. Ce « film intimiste d’aventures » pour son réalisateur est un drame existentialiste centré sur la substitution d’identité : emprunter le corps et l’identité d’un autre et (espérer) ré-inventer sa vie. Mais ce récit dramatique est travaillé par le motif de la boucle qui dit l’impossibilité de changer sa destinée (Locke, témoin par son travail de reporter, échoue à être acteur de sa vie): à la crise cardiaque de David Robertson répond la mort de David Locke abattu dans une chambre d’hôtel d’Andalousie.
La mise en scène, avec ses surcadrages, cadres à l’intérieur du cadre, où Locke est montré à travers des grilles, portes ou vitres, traduit l’incapacité du personnage principal à adhérer aux situations rencontrées, un détachement profond, un dépaysement par rapport à soi-même. Enfin est illustré avec virtuosité ce motif de la boucle dans le célèbre mouvement circulaire de la caméra dans le plan-séquence final de 7 minutes : la caméra quitte le corps de Locke endormi et dirige le regard vers l’extérieur, elle passe lentement en travelling à travers les barreaux de la fenêtre avant de tourner autour de la place à côté de l’hôtel et de revenir à son point de départ où gît Locke, assassiné. Cette caméra autonome exprime le passage de Locke vers un ailleurs, son basculement dans l’absence; le sujet est éclipsé.
Profession : reporter, un des meilleurs films d’Antonioni, est disponible en blu-ray, dans la collection coffret ultra collector de Carlotta.
Technique
Des contrastes solides, une luminosité remarquable et un master propre : une belle restauration (avec préservation du grain d’origine) nous est proposée. Cette copie affiche 2 pistes audios satisfaisantes, des ambiances plus marquées sur la VO.
Bonus
Cette édition limitée et numérotée à 3000 exemplaires offre de nombreux suppléments : un portrait du cinéaste avec extraits de films, cérémonies de remise de prix et interviews de ses proches et collaborateurs (56′), « Antonioni vu par Antonioni » : un autoportrait (21′), une courte interview extrait du journal de 13h du 15 mai 1975 (5′), une analyse par le réalisateur de la dernière séquence (14′) et un court-métrage d’Antonioni en n&b sur la conception d’un roman photo (12′). Enfin le coffret au visuel exclusif créé par Robert Sammelin renferme un passionnant livre « L’aventure du désert : Profession : reporter » dirigé par Dominique Païni (théoricien et critique de cinéma, ancien directeur de la Cinémathèque Française), avec textes inédits, analyses du film, entretiens d’époque et photos d’archives (160 pages).