Le gangster Joe Sullivan tente de s’évader de prison avec la complicité de sa petite amie Pat et de Rick Coyle, le chef de gang qui espère en fait voir l’opération échouer et être ainsi débarrassé de l’homme à qui il doit 50.000 $. Mais l’évasion est un succès, et Joe se réfugie chez Ann, une assistante sociale qui s’est prise de sympathie pour le truand. Celui-ci veut retrouver Rick, et récupérer son argent.
Anthony Mann est célèbre pour ses westerns dans les années 50 (Les affameurs, L’appât, L’homme de la plaine ) et péplum des années 60 (Le cid, La chute de l’empire romain) moins pour ses polars, pourtant il a signé de remarquables films noirs dont Marché de brutes (Raw deal) en 1948.
Marché de brutes narre la cavale désespérée d’un évadé de prison, accompagnée de sa petite amie et de l’assistante de son avocat, pour régler ses comptes avec son ancien partenaire de crime qui lui doit une belle somme d’argent.
Dès les premières scènes, deux entrevues dans le parloir d’une prison et l’évasion de notre anti-héros vue depuis l’habitacle d’une voiture, Marché de brutes adopte le dispositif du huis-clos oppressant avec des personnages qui recherchent une bouffée d’air frais, un changement d’horizon, un nouveau départ mais n’auront de cesse d’être enfermés dans des décors urbains comme ruraux. Le film précipite sans relâche ses protagonistes dans des espaces cloisonnés (une auberge encerclée par la police, une ruelle envahie par le brouillard…), leur horizon est sans cesse bouché par des cadres envahis par des éléments comme des branches d’arbres, le brouillard et les ténèbres.
Comme le personnage principal interprété par Dennis O’Keefe est enfermé dans un triangle amoureux (Claire Trevor et Marsha Hunt) le spectateur, son regard, est dirigé par la subjectivité, la vision du monde qui s’exprime dans la voix-off de la petite amie du truand évadé comme dans quelques plans subjectifs. Cette dernière, femme mature trahie par son compagnon qui lui préfère une femme plus jeune, va ourdir, en femme fatale, un plan machiavélique mais se rachètera à la fin. Ce choix d’une voix-off féminine est assez rare dans le genre pour être souligné.
Autre ingrédient indispensable du film noir, la photographie avec ses savants jeux d’ombre, signée du grand directeur de la photo John Alton avec des clairs-obscurs saisissants et des noirs profonds. Anthony Mann qui tourna avec lui La brigade du suicide (T-men) enferme ses personnages dans des cadres très travaillés dans un film compact, nerveux, parsemé d’éclairs de violence dans des scènes de bagarre très brutales; il excelle à montrer des actions rapides en juxtaposant des plans aux cadres soignés. Ce remarquable film noir permet d’apprécier la précision de la mise en scène d’Anthony Mann, à (re)voir d’urgence grâce au blu-ray édité par Rimini Editions.
Technique
Marché de brutes a fait l’objet d’une restauration 2K, réalisée à partir d’un élément nitrate 35mm, en provenance du British Film Institute. La copie est très propre, sans poussières ni tâches. Est à l’honneur le magnifique N&B ciselé par John Alton avec des noirs profonds et de nombreux détails à l’image avec un grain argentique préservé. Sur le plan acoustique, l’unique piste anglaise DTS-HD mono délivre une bonne restitution des dialogues et de la musique.
Bonus
L’unique supplément de ce blu-ray Rimini Editions est Féminin singulier (15′): entretien avec Jacques Demange, critique à Positif. L’intervenant propose une intéressante analyse filmique de Marché de brutes réalisé par Anthony Mann, artiste qu’il qualifie de « pré-moderne » en faisant le pont entre classicisme et Nouvel Hollywood.