Début des années 70, dans le sud de l’Italie, un petit village de montagne est plongé dans la terreur : de jeunes garçons se font mystérieusement assassiner et la police semble avoir du mal à identifier le meurtrier. Les pistes sont nombreuses, mais aucune ne semble réellement aboutir. La tension monte au sein de cette petite communauté et les habitants commencent à désigner des coupables. Pendant ce temps, les crimes odieux continuent.
L’avis de Margaux :
Le Chat qui fume nous avez déjà gâté avec la sortie du Venin de la peur, la copie du film ainsi que ses bonus offraient la redécouverte d’un grand film, les voici de retour avec un nouveau film de Lucio Fulci, et non des moindre : La longue nuit de l’exorcisme. Au titre français nous préférerons sa version originale « Non si sevizia un paperino », car dans le film, il n’est aucunement question d’exorcisme. La raison de ce choix étant en réalité un bon moyen de surfer sur le succès du film de William Friedkin, L’Exorciste sorti un peu plus tôt (le film de Lucio Fulci ne sort en France qu’en 1978).
Pas de possession ni d’exorcisme donc, mais une enquête policière sur une série de meurtres d’enfants. L’intrigue tend à rapprocher le film de Lucio Fulci au genre du giallo. Pour résumer brièvement, le giallo est un genre cinématographique qui naît en Italie à la fin des années 1960, il acquiert ses lettres de noblesse avec Mario Bava et Dario Argento. Il met en scène une série de meurtres commis par un mystérieux assassin. Une enquête est alors menée pour trouver le coupable parmi de nombreux suspects. La plupart des meurtres sont commis à l’arme blanche, l’érotisme et la violence étant les thématiques phares du genre. Lucio Fulci réalise plusieurs films sous le prisme du giallo, il commence avec Perversion Story (1969) puis Le Venin de la peur (1971). Ici donc, une série de meurtre, la police enquête, mais comme souvent dans le genre, elle s’avère très vite inefficace. Le personnage qui va prendre le rôle de l’enquêteur est le journaliste Andrea Martelli, incarné par Tomas Milian. Il résout ainsi l’énigme, à la fin du film nous apprenons, avec stupeur, l’identité de l’assassin. Beaucoup d’éléments rapprocheraient le film de Fulci au genre transalpin, l’érotisme est notamment incarné par la belle Patrizia (Barbara Bouchet) qui, durant une séquence un peu troublante, se montre (s’exhibe) totalement nue devant les yeux d’un enfant. Il est pourtant difficile et réducteur de cantonner le film au genre. Au delà de la résolution de l’énigme, Non si sevizia un paperino nous emmène bien plus loin.
Le film brise les codes car, bien loin des gialli qui se déroulent la plupart du temps dans un milieu urbain, l’action se déroule ici en pleine campagne. Le village est une entité à part entière, il pourrait même être qualifié de personnage principal. En effet, pas vraiment de protagoniste, les personnages défilent avec l’histoire. L’unité du film est incarné par ce lieu, les décors extérieurs sont baignés dans une lumière parfois aveuglante loin de l’ambiance de certains thrillers italiens de l’époque. Sergio D’Offizi, directeur de la photographie du film, propose un travail remarquable et oppose à ces extérieurs ensoleillés des intérieurs plongés dans la pénombre, ce qui donne encore plus de sens aux images. Cette dualité intérieur/extérieur agit aussi avec les personnages.
Lucio Fulci livre, à travers ce film, une réelle critique sociale. Aux ignares paysans, s’opposent les bourgeois de la ville. Les habitants du village sont effectivement montrés comme superstitieux, croyant aux sorcières et à la magie noire. C’est d’ailleurs dans une des séquences les plus fortes du film, que les pères des enfants assassinés vont battre à mort Maciara incarnée par Florina Bolkan. La « sorcière » est accusée à tort d’avoir commis les meurtres mais reste coupable à leurs yeux pour avoir pratiqué la sorcellerie. Après avoir trouvé le corps de la malheureuse, l’inspecteur de police déclare à ce propos : « Nous sommes capables d’aller sur la lune, mais nous sommes incapables de vaincre l’ignorance et la superstition ». Les citadins ne sont pas non plus épargnés, Barbara Bouchet incarne une jeune femme, aux penchants quelques peu pédophiles, ayant fui la ville à cause de ses problèmes de toxicomanie. Fulci dépeint alors une société meurtrie de tous côtés, la religion n’étant pas non plus un échappatoire au vu de la résolution finale. Tout ceci est renforcé par la mise en scène frôlant parfois l’esthétique du documentaire, certaines séquences sont filmées en caméra portée incluant ainsi une part de réalisme dans le film.
La mise en scène est brillante, tout fait sens dans l’image, chaque plan, cadrage, lumière, mouvement de caméra apporte un peu plus de dramaturgie. La caméra, parfois placée de manière oblique, déstabilise le spectateur et l’amène à se questionner sans cesse sur ce qu’il voit. Une certaine poésie de l’image vient contraster avec la violence du film. Pour se rendre compte de ça, il faut voir la sublime séquence (si l’on peut la qualifier ainsi) dans laquelle le personnage de la sorcière incarné par Florina Bolkan est littéralement lynché à mort par les pères des victimes. En effet, tout le cinéma de Fulci est là, l’horreur côtoie la poésie. Le réalisateur est célèbre pour son cinéma gore, contrairement aux films de Dario Argento (son grand antagoniste de l’époque) où le sang d’un rouge vermillon donnait aux meurtres un caractère presque pictural et graphique (Suspiria), chez lui la violence est brute, les chairs éclatent pour laisser place à de béantes plaies purulentes. Dans la séquence de Non si sevizia un paperino, Florina Bolkan est frappée à coup de bâtons et de chaînes. La musique rock diffusée par un poste radio, s’arrête tout à coup pour laisser place à une musique mélancolique de Riz Ortolani. Le morceau accompagne le lent calvaire de la jeune martyre jusqu’au moment où elle parvient à ramper au bord d’une route. Elle finit par mourir seule devant les automobilistes qui n’y prêteront aucune attention. La séquence est d’une émotion rare et témoigne d’une vision bien peu flatteuse de l’humanité et de son indifférence face à la misère. Lucio Fulci avouait lui même que le film figurait parmi ses favoris de sa filmographie et on ne peut qu’être d’accord avec lui. Un grand merci au Chat qui fume pour nous avoir donné, une nouvelle fois, l’opportunité de redécouvrir un film marquant et unique en son genre.
Technique
Au niveau de l’image, le travail et bluffant, les couleurs sont magnifiques, la lumière éclatante du village écrasé par la chaleur ambiante contraste bien avec les tons sombres des intérieurs. Il y a très peu de bruit dans l’image, seulement au générique ce qui ne dure pas . Les rares imperfections de l’image sont peu visibles.
Pour le son, la version française est aussi satisfaisante que la version originale. En français, quelques passages ne sont pas doublés et reviennent à la version originale.
Bonus
Pour les compléments pas de déception, il y a de quoi faire. Il y a plus de bonus que de temps de film. On y trouve deux entretiens avec d’une part celui de Florina Bolkan (28′) , le petit plus étant le moment où elle visionne la séquence de lynchage qu’elle n’avait pas revu depuis près de 44ans (la réaction est plutôt amusante). D’autre part, c’est la sublime Barbara Bouchet qui raconte des anecdotes sur le film et son réalisateur (18′) . Dans Entre noirceur et lumière (48′), Federico Caddeo fait parler devant sa caméra Sergio D’Offizi, le directeur de la photographie. Il parle de ses choix techniques et de sa vision du film. S’en suit un entretien avec Bruno Micheli (27′), monteur du film, qui nous décrit le caractère apparemment bien trempé du réalisateur.
Une interview de Lucio Fulci est également disponible, il s’agit d’un enregistrement sonore de 1988 où le cinéaste répond aux questions du journaliste Gaetano Mistretta. Olivier Père, directeur générale d’Arte France Cinéma, présente La longue nuit de Lucio Fulci (24′) et livre une analyse passionnante du film. Dans Les brûlures de la frustration (16′) c’est Jean-François Rauger, directeur de la programmation à la cinémathèque française qui se prête au jeu de l’analyse. Enfin, Fathi Beddiar, scénariste, nous parle dans Ne tuez pas les canards (22′), du cinéma de Lucio Fulci et de sa relation avec d’autres cinéastes comme Elio Petri. Pour finir : les traditionnels films annonces pour les prochaines sorties du Chat, parmi elles la présentation du nouveau master d’Opera de Dario Argento.
Le digipack 3 volets quadri avec étui cartonné est encore une fois bien soigné, le design est réussi, bref un bel objet à avoir dans sa dvdthèque !