Dans une petite ville du Texas, l’ex-taulard Joe Ransom essaie d’oublier son passé en ayant la vie de monsieur tout-le-monde : le jour, il travaille pour une société d’abattage de bois. La nuit, il boit. Mais le jour où Gary, un gamin de 15 ans arrive en ville, cherchant désespérément un travail pour faire vivre sa famille, Joe voit là l’occasion d’expier ses péchés et de devenir, pour une fois dans sa vie, important pour quelqu’un. Cherchant la rédemption, il va prendre Gary sous son aile…
L’avis de Vannick:
Connu pour des films sensationnels et historiques, l’excellent Nicolas Cage n’a pas abandonné ses vieilles habitudes. Il nous démontre une fois de plus sa puissance de jeu dans le nouveau projet de David Gordon Green intitulé Joe.
David Gordon Green a déjà démontré son talent dans Prince of Texas avec Paul Rudd ou encore dans Delire Express interprété par James Franco (Homefront) et Amber Heard (3 Days To Kill). Toujours dans le but d’étaler sa maîtrise, il fait appel à Nicolas Cage dans son nouveau film Joe. On retrouve également côté casting Tye Sheridan (Mud: sur les rives de Mississippi) dans la peau du jeune adolescent, Adriene Mishler ainsi que Ronnie Gene Blevins.
D’un côté, il y a Joe, un homme foncièrement calme et agréable, faisant tout son possible pour essayer d’échapper à son passé en buvant, mais constamment rattrapé par ses problèmes. D’un autre côté, évolue le jeune Gary qui déteste son père parce que celui-ci lui rend la vie impossible en lui fixant des règles très dures. Grâce à un scénario bien élaboré, ces deux hommes vont se trouver des points communs et dorénavant un lien indéfectible va se créer dans leurs vies. L’adolescent a le désir de prendre son envol loin du foyer familial mais a également des craintes dont la principale : sa survie. Comment va-t-il s’y prendre pour se débrouiller tout seul financièrement sans l’aide de son père ? C’est à ce moment-là qu’intervient Joe qui détient la clé de l’envol de Gary. Pour passer outre son passé et faire au moins quelque chose de mieux dans sa vie, Joe pense voir en la personne de Gary sa rédemption.
Les premières scènes du film portent sur la description complète du personnage éponyme. Cela peut sans doute lasser le public à un moment donné mais ces parties sont tellement bien portées qu’on ne voit pas le temps passer. Pour ne pas prendre de risque quand même, David Gordon Green ne répète pas la même chose au sujet du personnage de Gary. Rappelons que le boulot de Joe consiste à couper du bois et il travaille souvent en pleine nature, ce qui semble ne pas être anodin pour le réalisateur américain, puisqu’il effectue à plusieurs reprises des gros plans destinés à mettre en évidence des paysages magnifiques. Le spectateur est frappé par la puissance scénaristique quand les routes des deux protagonistes se croisent. Pour mettre en avant le côté paternel qui se crée petit à petit entre eux, David Gordon Green joue sur une musique lente et douce. Côté mise en scène, c’est la réussite totale. Le public ne s’ennuie en aucun moment.
Ainsi, on assiste à une belle histoire qui nous rappelle l’importance de laisser du temps au temps. À l’exemple du parcours de Joe qui se voit racheté de ses péchés en prenant en charge un jeune adolescent perdu dans sa vie, ce nouveau projet de David Green Gordon nous livre une belle leçon de vie. L’incroyable interprétation de Nicolas Cage ne nous laisse pas indifférent et cela montre qu’il est toujours au top de ses capacités cinématographiques.
L’avis de Manuel Yvernault:
David Gordon Green fait en quelque sorte partie des énigmes hollywoodiennes. De ses débuts prometteurs avec George Washington, drame puissant et intimiste, à Undertow (produit par Terence Malick) où sa propension à filmer l’homme et sa nature brute rappelaient le meilleur d’un cinéma indépendant dans les années 70 ; le réalisateur a très étrangement pris une voie diamétralement opposée avec des films comme The Pineapple Express, Your Highness, ou plus récemment le douteux The Sitter (avec Jonah Hill). Aucun lien ne peut lier les deux genres dans lesquels ces deux groupes de films s’inscrivent.
Quand l’année dernière, il revenait à un cinéma plus indépendant, pas encore proche de ses débuts, mais intimiste. Ainsi, la comédie dramatique Prince Avalanche (Prince du Texas), qui n’a pas connu le succès escompté, remettait le réalisateur dans l’actualité cinématographique à suivre versant indy.
Joe, également sortie en 2013 aux Etats-Unis, prouve alors la totale reprise du réalisateur à ses premiers élans de metteur en scène, très proche d’Undertow (L’autre rive en VF) qui nous avait déjà éclaboussé avec la même force il y a quelques années. Toujours emprunt d’une tragédie et d’une noirceur qui forment l’identité même de ses premiers longs-métrages. Porté par un regard d’une Amérique forte de ces mythes ancestraux, définis par sa ruralité et les hommes qui composent ce paysage social, ce cinéma de David Gordon Green transpire l’Amérique white trash, dans ce qu’elle a de plus brute mais également de plus pure. Il est difficile, sinon impossible, de faire le lien avec les comédies qu’il a bâtit précédemment tant le fossé semble immense entre les deux genres.
Tout est affaire de métaphores, de sens cachés ; à ce titre la relation entre Gary et Joe, ici père de substitution, si elle est déjà-vu, prend une forme réellement nouvelle par le traitement du réalisateur. Tout se règle dans ce paysage urbain par la violence, comme un retour primaire dans les échanges sociaux, les mêmes qui ont constitué l’Amérique. Évoluant dans un univers âpre, rugueux et très masculin, ce parcours prend vite les tournures d’une rédemption dont chacun ressortira transformé, jusque dans un final élégiaque, où les protagonistes trouveront une porte de sortie.
Quant à Nicolas Cage, il s’imprègne dans l’écrin de son personnage pour l’emmener au plus profond d’une noirceur nécessaire où la misère humaine est ici présente comme un acte de grâce avant un dernier jugement. Fabuleuse bête humaine aux élans paternels nécessaires à sa survie, entre alcool et sexe. Qui de mieux pour incarner ce personnage que Nicolas Cage qui dans un état de grâce, proche de ce que le comédien avait livré dans Leaving Las Vegas rend une interprétation parfaite et récupère beaucoup de crédit à la vue de ses derniers films, si ce dernier est bien dirigé, contrôlé.
En tant que fils de substitution, Tye Sheridan (The Tree of Life, Mud !! peu de hasard) joue encore une partition vibrante de naturelle et confirme que le crédit qu’on lui accorde depuis quelques années est justifié et tend à se confirmer film après film. Seule colonne vertébrale du film, leur relation sert de d’arche narrative qui dans un parfait équilibre d’écriture narre à jeu égal le parcours d’un fils qui doit survivre au cœur d’une famille détruite socialement, et celui d’un homme en pleine rédemption.
Et la puissance que dégage Joe dans un parfait équilibre d’écriture et de mise en scène est parfaitement relevée par l’éternel chef opérateur de David Gordon Green, Tim Orr, qui parsème le film d’une photo sublime du premier au dernier plan.
Mais Joe est surtout la parfaite réussite d’une fable brutale et poétique qui ne peut trouver son salut qu’en se consumant de l’intérieur, en faisant parcourir à ses principaux personnages (n’oublions Gary Poulter dans un rôle magistral) un chemin de croix, où chacun doit renaître dans la violence, psychologique et physique, après avoir parcouru de nombreux ravages.
Si les films sur la rédemption sont légion, ici, c’est de manière abrasive et réaliste que Joe s’impose comme une ouverture positive d’un monde en feu, désespéré, qui ne renaîtra que de ses cendres. Classique ? mais de le sens noble du terme alors.