Los Angeles, dans un futur proche. Theodore Twombly, un homme sensible au caractère complexe, est inconsolable suite à une rupture difficile. Il fait alors l’acquisition d’un programme informatique ultramoderne, capable de s’adapter à la personnalité de chaque utilisateur. En lançant le système, il fait la connaissance de ‘Samantha’, une voix féminine intelligente, intuitive et étonnamment drôle. Les besoins et les désirs de Samantha grandissent et évoluent, tout comme ceux de Theodore, et peu à peu, ils tombent amoureux…
L’avis de Manu: Spike Jonze a souvent été considéré, à juste titre, comme un réalisateur tendance à travers ses mises en scène de clips ; on compte parmi ses plus belles réussites les «innovations visuelles» qu’il a mis en scène pour Björk, Beastie Boys, The Chemical Brothers et autres Weezer. Toujours inventif, constamment poétique et à l’avant-garde de ce que Michel Gondry peut également faire, il s’est fait un nom dans les années 90, 2000 pour la qualité et l’originalité de sa mise en scène de clips musicaux. Point d’orgue cinématographique de cet immense appétit, un premier long métrage en 1999 qui fait encore écho, Dans la peau de John Malkovitch, scénarisé par l’illuminé Charlie Kaufman (on retrouvera d’ailleurs ce duo aux commandes d’Adaptation, trois ans plus tard).
Puis une adaptation assez réussit du génial Where The Wild Things Are (Max et les Maximonstres) du défunt Maurice Sendak, disparu l’année dernière (Spike Jonze lui rend d’ailleurs hommage dans Her), toujours quelques clips, des courts-métrages (le brillant Scenes from the Suburbs), des documentaires, et sa participation à la production et au scénario de Bad Granpa. En somme, un Spike Jonze toujours en forme, hyper actif et pleinement créatif.
Her peut donc être considéré comme son long métrage le plus personnel si on prend en compte le fait qu’il a lui-même écrit le scénario, et bien sûr assuré toute la réalisation. Libéré des contraintes d’un Charlie Kaufman probablement survolté, c’est donc un film pleinement estampillé Spike Jonze. Le résultat est brillant, touchant, scotchant. Her est un projet né il y a une dizaine d’années dans la tête de Spike Jonze, projet né au hasard de la lecture d’un article sur une probable intelligence artificielle, qui n’en était vraiment qu’à sa forme numérique primaire. Loin donc de ce que le film propose sous la forme d’un récit d’anticipation très élaboré.
Ce qui frappe en premier c’est l’intelligence d’un scénario qui ose porter un regard juste et précis sur la société contemporaine (ses habitudes, son fonctionnement, ce vers quoi elle tend), tout comme sur la société de consommation à l’ère du numérique qui emporte tout sur son passage, de manière exponentielle, avec en premier lieu, les rapports entre les gens, les figeant encore plus dans leur individualisme naissant. Le scénario de Her ne s’arrête pas là puisque en parallèle de cette double lecture, Spike Jonze a le talent de s’interroger sur les vraies notions de l’amour d’histoires différentes. Brillant. Facile à dire après coup donc, mais l’Oscar du meilleur scénario est amplement mérité. Difficile d’en détailler ici les rebondissements tant de simples virages scénaristiques prennent dans le film une ampleur à la fois simple, surprenante et surtout bordée d’une intelligence de chaque instant quand l’auteur fouille toujours plus loin les comportements humains, les raisons des sentiments, les fonctionnements personnels et profonds de chaque individu.
En combinant une méditation sur les nouvelles technologies et en cherchant à définir les raisons de la naissance des sentiments, Spike Jonze propose un récit comme le cinéma en produit trop rarement. La grande réussite est probablement d’avoir su écrire cette «aventure» sentimentale d’un personnage, Theodore, brillamment interprété par Joaquin Phoenix, à résonance universelle et d’une beauté, d’une poésie touchantes.
Si une histoire comme celle-ci fonctionne à elle seule, elle prend une ampleur tout autre par son interprétation et sa mise en scène. En cela, Joaquin Phoenix est le parfait représentant de cette fragilité, de douceur, d’innocence que le personnage convoque. Le comédien comme à son habitude s’implique pleinement dans son rôle et libère une sorte d’aura évidente donnant toute la crédibilité à son personnage. Le reste du casting n’est pas en reste puisque entre la composition uniquement vocale et réussie de Scarlett Johansson, la présence angélique de Rooney Mara (qui a remplacé Carey Mulligan au dernier moment) et Amy Adams décidément irréprochable de film en film, l’ensemble des comédiens confère à Her cette énergie douce et sincère. Au rayon des guests vocaux c’est un savoureux melting-pot de personnes talentueuses, Kristen Wiig (géniale), Bill Hader, Brian Cox sont présents, tout comme Spike Jonze dans un rôle « numérique » (on vous laisse la surprise), plein de vulgarité et d’humour. Mais toute cette compilation de talents ne peut réussir à elle seule l’engouement qu’on porte au film sans une réelle valeur ajoutée, sans la mise en scène épatante de Spike Jonze.
Ayant été à bonne école, «acteur» à ses débuts chez David O. Russell, David Fincher, il a fait partie de toute cette « nouvelle » vague US de réalisateurs, jeunes prodiges, sur lesquels Hollywood misait à la toute fin des années 90. Peu étonnant d’ailleurs de le voir demander à Steven Soderbergh son avis sur le montage du film (ce dernier ayant livré une version de 90 minutes du film, non exploitée au final).
Depuis, le metteur en scène a bien sûr pris son envol, ses marques et garde sa propre patine. Avec Her, Spike Jonze semble pourtant passé à un échelon supérieur, le film ne souffre d’aucun manque de rythme, du premier au dernier plan, tout est parfaitement maîtrisé, et surtout la réalisation répond de façon conséquente à ce qu’offre le scénario. L’habileté de la mise en scène conjugue forme et fond, dans une modernité qui évite les pièges de la réalisation clippée qu’on pouvait craindre.
Dans une ambiance rétro et futuriste à la fois, le fait de difficilement situer géographiquement le film (probablement une grande métropole asiatique), donne ce petit plus, ce cachet tellement séduisant de certains films d’anticipation (Gattaca par exemple). On reste dans la simplicité des décors, magnifiés par la photo de Hoyte Van Hoytema, (Let The Right One In (a.k.a Morse), Tinker Tailor Soldier Spy, qui sera surtout le directeur photo sur le prochain Christopher Nolan, Interstellar). Le film baigne d’une dominante de couleurs chaudes, le rouge est omniprésent et donne un aspect épuré assez séduisant au film. En résulte une efficacité aussi bien de mise en scène que graphique, qui ravit le regard à chaque nouvelle séquence. Ajoutons à cela un soupçon de composition musicale d’Arcade Fire, tout en finesse et retenue, et le plaisir est de chaque instant.
Her est donc l’objet-cinéma parfait. Sortant d’un académisme profond, moderne sans être version 2.0, le film s’habille des meilleurs apparats pour délivrer la comédie romantique la plus adulte et la plus touchante de ces dernières années. Intelligente, questionnant constamment chacun sur l’objectivité personnelle de nos émotions, de ce que représente l’être aimé. Le film emprunt d’une certaine mélancolie ne tombe jamais dans les affres noires de ce propos. Au contraire, Her est un film qui touche, captive, interroge, invite le spectateur en douceur, pour le questionner sur le théâtre des sentiments, des émotions et de leurs résonances personnelles, physiques et intérieures.
Dans une réussite parfaite de mise en scène rendant la pleine mesure d’un scénario terriblement malin, étreignant et critiquant en un même instant son sujet principal, Spike Jonze signe ici son meilleur film, qui dans ses moments les plus précieux nous rappelle le brillant Eternal Sunshine of the Spotless Mind. La sensibilité, la pureté graphique et de fond du film, font cependant passer Her dans une autre catégorie. Si le discours est ici bien plus simple et facile de compréhension, il tire cependant sa force de son universalité et tout simplement de son romantisme pur, présent en chacun de ses plans, de ses personnages. Spike Jonze réussit donc le pari de nous raconter une histoire unique qui d’Elle à Lui finit par parler de Nous. Her, Him, Us…