Deux amis perdus dans une zone désertique tentent de retrouver leur chemin. Le découragement, la déshydratation et la fatigue mettent à l’épreuve le lien
qui les unit…
Premier volet d’un cycle marqué par la mort et la plongée vers l’expérimental, composé d’Elephant (2003), Last days (2005) et Paranoid Park (2007), en réaction à ses films hollywoodiens comme Prête à tout (1995), Will Hunting (1997) et A la rencontre de Forrester (2000), Gerry (2001) de Gus Van Sant bâtit un pont entre cinéma de fiction et cinéma expérimental.
A partir d’une histoire vraie, tragique, de deux amis perdus dans le désert, Gus Van Sant a co-écrit, avec ses deux acteurs Matt Damon et Casey Affleck, le scénario de Gerry qu’ils ont tourné en toute liberté en Argentine et dans l’Utah. Comme le réalisateur américain le raconte dans la passionnante itw donnée à Filmaker Magazine à l’hiver 2002, l’histoire a évolué en fonction de l’état psychique des acteurs et les consignes de jeu ont été réduites quasiment aux indications d’entrée et de sortie du plan.
Avec un récit épuré sans caractérisation et psychologie des personnages, ponctué de micro-péripéties classiques du genre (s’orienter depuis un point élevé, trouver de l’eau dans ce désert qui est le troisième personnage du film) et l’utilisation d’une caméra en liberté, indépendante qui va parfois jusqu’à abandonner les personnages dans leur errance sans fin pour tracer son propre chemin et la durée dilatée de nombreux plans-séquences, Gus Van Sant façonne un drame arty, aux frontières de l’expérimental, dans un geste esthétique radical. Comme dans le cinéma de Béla Tarr (Sátántangó), modèle avoué du réalisateur pour Gerry, il est question de faire éprouver au spectateur les notions de durée et de temps. Pour Gus Van Sant son film est un « anti-jump cut » : il s’agit de ne pas couper et montrer l’action en entier.
La caméra dans Gerry, à l’inverse d’un récit classique comme Will Hunting ou bien encore Psycho (étrange exercice de style consistant à répliquer plan par plan le chef d’oeuvre d’Hitchcock), ne semble plus guidée par la volonté, la toute puissance du Réalisateur mais comme affranchie, libérée des codes du cinéma traditionnel, elle décide par moments de faire disparaître les personnages du plan lors d’un travelling où elle part dans les buissons ou bien, à l’inverse, lors de longs plans-séquences, saisir leurs stagnations (la séquence en plan fixe du rocher) et leurs déambulations (celle de la marche active saisie en caméra mobile où les deux visages et corps des deux personnages au même prénom Gerry semblent fusionner). Les deux personnages marchent, errent sans fin dans un espace continu, infini (comme les ados d’Elephant évoluent dans l’espace clos, labyrinthique du lycée), à la recherche d’une sortie et d’eux-mêmes. L’un des derniers plans-séquence de 17′ où les Gerry avancent fatigués, tel des robots, dans un paysage naturel d’une beauté sidérante (magnifique photographie d’Harris Savides), plan d’une grande richesse plastique et sonore avec un travail intéressant sur les dissonances, illustre très bien cette idée de petitesse de l’homme face à la Nature.
Cette errance poétique ne cesse d’hypnotiser à chaque visionnage, un Gus Van Sant important à (re)voir en blu-ray pour la première fois en France grâce à Carlotta.
Technique
Le master restauré pour ce blu-ray de Gerry délivre une image avec un piqué doux qui manque un peu d’éclat mais la copie est nickel et le gain par rapport au dvd est indéniable. Le mixage sonore est subtil, anti-spectaculaire à l’image de ce film de fiction indépendant à la frontière de l’expérimental.
Bonus
Deux intéressants et complémentaires bonus sont proposés avec Sur les traces de Gerry (15′), analyse pertinente de Gerry par le journaliste et critique Serge Kaganski et Satlake Van Sant (14′), instantanés de tournage dans le désert de l’Utah où Van Sant et son équipe filme en plan-séquence Damon et Affleck