Été 1967. Les États-Unis connaissent une vague d’émeutes sans précédent. La guerre du Vietnam, vécue comme une intervention néocoloniale, et la ségrégation raciale nourrissent la contestation.
À Detroit, alors que le climat est insurrectionnel depuis deux jours, des coups de feu sont entendus en pleine nuit à proximité d’une base de la Garde nationale. Les forces de l’ordre encerclent l’Algiers Motel d’où semblent provenir les détonations. Bafouant toute procédure, les policiers soumettent une poignée de clients de l’hôtel à un interrogatoire sadique pour extorquer leurs aveux. Le bilan sera très lourd : trois hommes, non armés, seront abattus à bout portant, et plusieurs autres blessés…
Avis de Manu
Ces dernières années Kathryn Bigelow s’est inscrite comme la chef de file des réalisatrices américaines. Après une jolie épopée à la fin des années 90, Point Break, Strange Days (qui lui mérite d’être estimé beaucoup plus aujourd’hui) elle a dû faire le dos rond au début des années 2000 entre système hollywoodien machiste et déception cinématographique (K-19 et The Weight of Water étaient plutôt ratés). Elle revient en force en 2008 avec l’oscarisé et impactant Démineurs (The Hurt Locker) et le poignant et documenté Zero Dark Thirty.
Retour de la réalisatrice aujourd’hui, avec un film en 3 actes composés de la même fièvre esthétique et de fond qui ont caractérisé ses deux derniers films. Et si la 3ème partie de Detroit s’avère plus conventionnelle, sa dernière réalisation est d’une maîtrise incroyable en conjuguant un propos fort (et hélas encore actuel, le racisme aux Etats-Unis) et une mise en scène oppressante et fiévreuse.
Le constat est clair, elle tente, car cela s’avère encore nécessaire aux pays de l’Oncle Sam, une décharge politique pour montrer que le système américain, comme le fonctionnement de sa société, est à deux vitesses en ce qui concerne ses citoyens, avec cette barrière invisible qui semble éternelle et divise blancs et afro-américains. Pour cela, elle relate l’horreur de ce qui s’est passé dans cet hôtel de Détroit à la fin des années 60.
Huis clos exceptionnel à la tension permanente, Detroit est une décharge émotionnelle à chaque séquence devant le théâtre de ce qui s’écoule devant les yeux du spectateur, vraie claque entre effroi et stupeur. Kathryn Bigelow prend sa caméra à l’épaule, souvent en plan serré pour faire corps avec l’ensemble des protagonistes de cette histoire, représentants de l’ordre corrompu et raciste comme citoyens américains victimes de leurs origines. D’autant plus terrifiant que le film résonne comme un constat hélas actuel de ce que vivent beaucoup d’afro-américains. Pas de surenchère ici, elle semble capter comme un témoin, reconstituer les faits tels qu’ils eurent lieu, c’est fort, horrible et révoltant.
Cinéaste engagée depuis quelques films, Detroit s’inscrit définitivement comme son plus fort, percutant et oppressant. Le résultat d’une mise en scène ultra léchée, un casting très juste parfaitement dirigé et un sens du rythme qu’on retrouve dans chaque film de la réalisatrice. On peut toujours regretter un troisième acte un peu expédié mais l’intérêt de l’exposition du film et de son développement a déjà fait son effet, avant cette conclusion certes rapide mais écœurante. Actuel, triste, rageant, mais essentiel.