Synopsis : Au commencement, il y avait l’Âge des Anciens, où les dragons ancestraux régnaient sans conteste. Puis vint le Feu, amenant la disparité. Certains, cachés dans les Ténèbres, y découvrirent un nouveau pouvoir et s’élevèrent contre les dragons. Gwen, le Seigneur de la Lumière, accompagné de Nito, le Premier des Morts, ainsi que la Sorcière d’Izalith et ses filles du Chaos, eux-mêmes aidés par la trahison de Seath l’écorché, décimèrent les dragons ancestraux et l’Âge du Feu commença. Des siècles, puis des millénaires passèrent et, parmi les Dieux salvateurs, les humains s’élevèrent. Leur ancêtre, le Pygmée, lui aussi étant détenteur d’un pouvoir du Feu, les affubla de la Marque Sombre. Les humains se transformèrent petit à petit en Carcasse, état entre la mort et la folie.
C’est dans ce contexte que le joueur incarne un de ces humains. Marqué et emprisonné avec les autres de son état, il s’échappera du refuge et deviendra l’Élu. L’Élu d’une nouvelle ère, d’un nouvel Âge.
Prenez place dans le canapé.
Il est de ces jeux qui nous frustrent, que l’on boude, voire que l’on déteste par moment tellement ils nous donnent du fil à retordre, mais auxquels on ne peut se passer de jouer. Rassurez-vous, le masochisme vidéoludique n’est plus un plaisir coupable ni tabou, il est même devenu pour Darks Souls un ingrédient de la recette de son succès. Mais avant de partir dans des considérations freudo-névrotiques, il me faut vous présenter la série.
Du doute au chef d’oeuvre
Dark Souls 3 est un jeu issu du studio From Software et réalisé par Hidetaka Miyasaki. Le titre fait partie d’une série de jeux, celle des Souls, qui mélange action et jeu de rôle à la 3ème personne et tire son origine de Demon Souls, sorti sur PS3 en 2010. En bref, vous y parcourez un univers sombre, équipé d’une lame rouillée et d’une armure qui sent le moisi, tuant les monstres qui vous barrent la route, esquivant les pièges tel un Indiana Jones, allumant tour à tour les feux de camp qui ponctuent votre aventure et vous servent de points de sauvegarde, jusqu’à faire face au sacro-saint seigneur des lieux: M. le Boss Final.
C’est en 2012 que la série connaîtra un véritable succès critique et commercial dès la parution de Dark Souls sur les plateformes PC, PS3 et Xbox 360. Un succès qui se prolongera avec Dark Souls 2 et ne fera que croître jusqu’à ce troisième opus en passant par Bloodborne, sorti en exclusivité sur PS4 et fils spirituel des Souls aussi chaperonné par Miyasaki.
« Il faut prendre des risques inconscients pour réussir », telle aurait pu être la devise de Miyasaki qui, bien conscient de se démarquer de la concurrence, aura longtemps douté de son oeuvre. L’homme était loin de savoir qu’il menait son jeu vers un succès mondial tant sa direction créative prenait le parti pris inverse des grosses productions actuelles.
En effet, pour mesurer la prise de risque qu’a représenté l’entreprise des Souls, il suffit de replacer l’oeuvre dans son contexte, une époque où le jeu vidéo ne cesse de s’élargir au grand public. Difficulté revue à la baisse, tutoriaux guidés par la main, récompenses à gogo… tel est le credo de la plupart des production à succès d’aujourd’hui.
Oui, Dark Soul est une oeuvre à contre-courant ! Dark Souls rime avec : difficulté, précision au poil de cul, apprentissage par l’échec, punition, frustration, esthétique morbide, solitude… Pour comparer avec ce que le cinéma a pu nous offrir, imaginez un mélange entre Les 12 travaux d’Hercule et Salò ou les 120 Journées de Sodome. Voilà, vous avez Dark Souls.
Mais il ne suffit pas de ne pas faire comme les autres pour obtenir le statut d’œuvre originale, il faut le faire avec élégance et intelligence. Là où d’autres jeux font de leur difficulté absurde un argument de vente super racoleur, Dark Souls, lui, fait plus que brosser le joueur dans le sens inverse du poil, il le plonge en totale immersion dans un univers typé heroic fantasy où la direction artistique, somptueuse, fait se côtoyer le merveilleux et le morbide, et où le gameplay aux petits oignons peut faire de chaque situation un moment de tension intense.
Aventurier en devenir.
Dark Souls 3 s’ouvre sur une cinématique réalisée en images de synthèse techniquement très réussie qui vous présente l’univers et les seigneurs qui l’habitent, futurs boss en devenir. Malgré les explications de l’envoûtante voix off, beaucoup de questions subsistent. Les raisons de notre venue restent assez nébuleuses même si cela a le mérite de renforcer l’effet de perdition dans un monde fait de symboles qui nous est d’office hostile et peu familier.
La première étape du jeu consiste à créer votre personnage, et pour peu que vous soyez perfectionniste, elle vous prendra du temps, car les options de customisation ne manquent pas. Au-delà du côté « Barbie », il y a un vrai enthousiasme qui peut émaner de la création de votre personnage. Le choix de sa classe de combat est accompagné d’un texte qui, non seulement vous annonce le type de gameplay que vous choisissez, mais est également suivi d’une mini biographie qui narre le passé lié à votre classe. Ce procédé rajoute de la profondeur à votre personnage et est un premier outil de narration et d’immersion dans l’univers du jeu. Si l’univers dans lequel vous êtes plongé ne vous est pas familier, votre vrai premier point d’accroche sera votre personnage.
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« Vous ne voulez pas trop galérer, prenez chevalier ! »
Mes premiers pas.
Des actions à faire, il y en a un bon paquet : courir, faire des roulades pour esquiver les attaques, sauter pour atteindre des corniches, faire une frappe faible ou forte de la main droite, passer en mode arme à deux main pour faire plus de dégâts, effectuer une simple parade du bouclier ou un contre réglé au dixième de seconde pour effectuer une riposte mortelle, lancer des sorts ou des objets… Oui, il y a beaucoup d’informations à digérer pendant la première demi-heure qui sert de tutoriel.
Au rang des actions inédites, vous pourrez lancer des compétences spéciales liées aux armes que vous portez à deux mains, avec comme contrepartie de faire baisser votre jauge de mana qui fait son grand retour depuis Demon Souls.
Même si la prise en main peut s’avérer peu intuitive pour un joueur néophyte, le didacticiel, qui prend la forme de notes explicatives écrites au sol, a le mérite d’être travaillé et clair (car ce ne sont pas les menus, très denses, qui vont vous aider). De plus, la conception du premier niveau est conçue de telle manière qu’à chaque mécanique de jeu apprise, le joueur est tout de suite mis en situation pour l’application de celle-ci.
Par exemple, quand on apprend qu’on peut lancer une attaque spéciale en attaquant un ennemi par derrière, les level designers ont pris le soin de disposer gracieusement un ennemi qui a le dos tourné, adossé contre un mur, prêt à recevoir la fessée létale.
Profitez-en tant que c’est gratuit !
J’ai oublié la perche à selfie.
Après la première douzaine de monstres tués (des morts vivants, au passage), Dark Souls 3 vous offre son premier effet « wahoo ! ». Vous vous retrouvez en effet sur le flanc d’une montagne à contempler un panorama à couper le souffle, offrant à la fois une profondeur de champ et une mine de détails assez hors normes. Cet attrait pour le gigantisme est récurrent dans la série des Souls, mais ce qui devient vraiment vertigineux, c’est que le jeu ne se contente pas de vous présenter un décor de carte postale : ce que vous voyez au loin, ce fort tout là-bas, vous serez en mesure d’y aller à un moment de l’aventure.
Ce premier cliché a un but, celui de vous rappeler que votre aventure épique ne fait que commencer !
L’environment storytelling, ou « la narration par l’environnement » est un véritable outils de game design utilisé dans beaucoup de productions et manié ici avec brio. Pas besoin de visite guidée, les décors ont un passé, une réelle identité et savent parler par eux-mêmes. Que ce soit par ses panoramas à vous couper le souffle ou par la richesse et la mixité de ses environnements tous empreints des différentes cultures de notre planète, le jeu ne manque pas de superlatifs pour décrire la qualité de son univers.
Profitez de ce moment pour allumer le feu de camp qui se trouve à côté de vous, il vous permettra de sauvegarder votre partie, de servir plus tard dans le jeu de point de téléportation, de refaire le plein de fioles d’Estus, fioles qui vous permettent de vous guérir ou recharger votre mana.
Dépucelage en règle sur musique symphonique en ré mineur.
Après un doux moment de contemplation, la dure réalité reprend le dessus. Cette réalité, elle s’appelle « arène de 200 mètres carrés avec boss au milieu ». Là aussi, travail de professionnel sur la mise en scène – bien qu’un peu trop prévisible. (Attention Spoiler: si vous voulez garder la surprise, passez directement à la section suivante)
Imaginez-vous avancer à tâtons dans une arène qui accueille en son centre une statue agenouillée, traversée d’une lame, semblant attendre l’âme assez folle pour la délivrer de son fardeau. Vous vous rapprochez d’elle, doucement, commencez à enlever la lame, et là… deux secondes de silence… puis la statue se redresse, s’arme de l’épine que vous lui avez enlevée du pied et s’approche et vous d’un pas décidé, et vous remercie à coups de lattes sur une composition orchestrale épique signée par l’excellent Motoi Sakuraba… frisson !
Mon havre de paix.
Après l’effort, le réconfort ! Bienvenue au sanctuaire de Lige-Feu, le centre de votre périple, votre meilleur ami. Ici, pas d’ennemis, vous pouvez lâcher la manette, personne ne vous veut du mal.
Le lieu accueille des personnages qui vont aideront dans votre quête. Le jeu vous permettra à chaque feu allumé de pouvoir vous téléporter au sanctuaire. Vous pourrez y dépenser les âmes, monnaie universelle du jeu, que vous avez récupérées sur les ennemis tués pour monter en niveau et augmenter vos statistiques, vous acheter des objets, vous faire fabriquer l’arme de vos rêves par votre pote le forgeron. Vous pourrez aussi y discuter avec les âmes solitaires que vous rencontrerez au cours de votre périple et qui rejoignent le sanctuaire pour profiter du même repos que vous.
Ce Dark Souls offre la même progression semi-linéaire (ou semi-ouverte selon si l’on voit le verre à moitié vide ou à moitié plein), et chaque environnement est conçu de telle manière qu’il est possible d’ouvrir des raccourcis qui permettent de relier entre eux les différent feux, de gagner en souplesse de déplacement et ainsi diminuer la difficulté à emprunter de nouveaux itinéraires. Les niveaux sont tantôt noueux et denses, tantôt très étendus, et savent jouer autant sur l’horizontalité que la verticalité.
L’enfer c’est les autres.
Miyazaki délivre une vision très sartrienne du rapport aux autres, une vision qui est un des piliers forts de la direction créative. Les autres, ce sont les ennemis tantôt déchaînés, tantôt désintéressés comme ayant pris le cacheton de valium de trop. Ce sont vos rencontres avec ces personnages tous plus obsessionnels, tarés, névrosés ou plus dépressifs les uns que les autres. De plus, votre personnage est muet et tous les dialogues sont unilatéraux. Même quand vous quittez le climat omniprésent d’adversité, votre rapport à l’autre est empreint de solitude et reflète l’enfer profond dans lequel vous êtes plongé.
Vous pouvez apercevoir, lorsque vous êtes connecté en ligne les personnages d’autres joueurs qui passent près de votre position sous la forme de spectres lumineux intangibles. Aussi, des tâches de sang fleurissent au sol. Dès que vous interagissez avec, vous pouvez assister aux denières secondes de la vie d’un joueur. Des messages sont laissés par d’autres joueurs au sol pour vous guider ou vous faire de mauvaises blagues, ce qui renforce le sentiment de faire partie d’un monde où chacun, par malice ou par solidarité, met sa pierre à l’édifice et contribue à écrire l’histoire du jeu.
Vous pouvez aussi vous faire envahir dans votre propre monde par un joueur désireux de vous latter le minoi. Quand ça arrive et que vous vous faites tuer alors que vous étiez partis sur une bonne lancée… pour parler dans le champ lexical du jeu, c’est la goutte de sang qui fait déborder la fosse à cadavres.
Heureusement, les joueurs les moins téméraires pourront consommer la précieuse braise qui vous permettra d’abord de voir les marques d’invocation laissées par d’autres joueurs puis d’intéragir avec, ce qui aura pour effet d’invoquer ces derniers dans votre monde afin qu’ils vous aident à éliminer un boss un peu trop coriace.
Quand le plaisir solitaire vous Souls, un peu de braise à plusieurs et c’est reparti !
Le renouveau.
Au rang des innovations de gameplay, j’ai évoqué l’ajout de la barre de mana qui vous permet de lancer sorts et attaques spéciales liées aux armes. Une nouveauté intelligente est celle de pouvoir, grâce au forgeron, définir entre toutes vos fioles d’Estus combien d’entre elles vous redonneront de la vie et combien vous rendront de la mana.
De leur côté, les coups spéciaux liés aux armes offrent une panoplie de nouveaux mouvements et de stratégies qui s’intègrent parfaitement au gameplay, renforçant le dynamisme et la variété des combats.
Techniquement, le jeu assure en fluidité sur PC. Sur consoles, le jeu tourne à 30 images par seconde et on est graphiquement au niveau d’un Bloodborne, ce qui est pas mal ! Les animations sont travaillées, la profondeur de champ au rendez-vous et les détails pullulent. On relèvera des soucis de caméra assez récurrents qui peuvent faire rager car la jouabilité se doit parfaite tant la difficulté est corsée.
Le bestiaire est varié et coriace, les boss sont nombreux et pour la plupart assez impressionnants, et les secrets ne manquent pas. Autant vous dire que le jeu vous tiendra longtemps entre les mains.
« De sa flamme il rayonne. »
Darks Souls 3 possède une direction créative et une direction artistique qui font de ce jeu un vrai bijou à jouer, à contempler – que ce soit avec ses yeux ou ses oreilles – et à analyser. C’est un jeu globalement dense, au rythme soutenu, où l’exploration se mêle parfaitement au combat, où la contemplation se juxtapose habilement aux phases de tension épiques. Le gameplay est profond, il vous faudra mesurer habilement l’utilisation de vos objets, vérifier que votre équipement se prête bien à chaque zone de jeu, assimiler le comportement de chaque arme… Bref ! La marge d’apprentissage est énorme à tel point que maîtriser toutes les facettes du gameplay vous demandera de recommencer le jeu plusieurs fois. Enfin, l’ambiance envoûtante et mortifère fait s’émaner un parfum de beauté que seule la frustration de la défaite pourra empêcher de vous enivrer.
On dit des génies qu’ils marquent leur époque. On peut reconnaître à Miyasaki d’avoir marqué grâce à Dark Souls une génération de joueurs et de concepteurs de jeux, à tel point que certains journalistes n’hésitent pas à parler de la « Darksoulisation » du jeu vidéo. Capcom va à son tour s’essayer à l’exercice de style avec Deep Down dont la date de sortie sur PS4 n’est pas encore annoncée. On peut d’ores et déjà jouer à Eitr, un jeu indépendant qui rend hommage au gameplay de Darks Souls tout en s’inspirant de Diablo.
Là où la série surprend le joueur en imposant des codes différents des autres jeux, chaque nouveau Souls réexploite les mêmes codes car il se doit d’être fidèle à lui-même, sauf qu’une partie de ces codes est basée sur la surprise. Darks Souls arrivera-t-il à renouveler à chaque fois avec la même intensité la surprise de la première partie qui fait le charme de la série ? En tout cas la flamme de Dark Souls premier du nom, épisode le plus respecté de la série, se consume un peu plus à chaque nouvelle itération et c’est, je pense, une vérité qu’il faut être prêt à accepter.
Aucune flamme n’est immortelle, jouez avant qu’elle ne s’éteigne !
Test réalisé par OasisRaven