L’année 1939 marque le début de la carrière américaine d’Alfred Hitchcock, alors le réalisateur britannique le plus en vogue, grâce une collaboration de près de dix ans avec le célèbre producteur américain David O. Selznick (Autant en emporte le vent, Duel au soleil). Le contrat entre les deux artistes n’étant pas exclusif, Hitchcock tournera entre 40 et 47 pour d’autres studios des films comme Correspondant 17 (1940), La Cinquième colonne (42), L’ombre d’un doute (43) pour Universal, Joies Matrimoniales et Soupçons en 1941 pour la RKO, Lifeboat en 1944 pour la Fox. De cette association entre le maître du suspense et l’un des plus importants producteurs hollywoodiens naîtront 4 grands films réunis pour la première fois dans un superbe coffret blu-ray Carlotta avec versions restaurées et florilège de bonus: la romance gothique Rebecca (1940), le thriller psychanalytique La Maison du docteur Edwardes (1945), le film d’espionnage Les Enchaînés (1946) et le thriller judiciaire Le Procès Paradine (1947). La collaboration entre le mogul hollywoodien et le réalisateur se termina avec Le Procès Paradine dont le montage fut source de conflit entre les deux hommes puis Hitchcock poursuivit une brillante carrière américaine entrée dans la légende du 7ème art.
Rebecca est le premier film réalisé par Alfred Hitchcock aux USA. Basé sur un roman de Daphné du Mourier, auteure déjà adaptée par le réalisateur britannique avec La taverne de la Jamaïque en 1939 et plus tard avec Les Oiseaux en 1963, Rebecca remportera 2 Oscar, meilleur film pour le producteur Selznick et meilleure photographie. Autour du personnage de Laurence Olivier, énigmatique veuf, dominé par une femme dont la mort fut une libération, Rebecca propose de beaux portraits de femmes : la mystérieuse Rebecca dont on ne connaît les traits que par ceux qui en parle, la nouvelle madame Winter (Joan Fontaine), jeune femme innocente propulsée dans un monde inconnu, l’inquiétante gouvernante Mme Danvers hantée par sa défunte patronne. Mme Danvers représente très vite une menace pour la nouvelle Mme Winter tout comme Rebecca dont l’obsédante absence contamine la psyché et le comportement des personnages principaux : son mari qu’elle a humiliée de son vivant et hante une fois morte, sa nouvelle femme envahie par un sentiment d’infériorité, la gouvernante amoureuse en secret de sa patronne jusqu’à la folie. Pour le personnage de Laurence Olivier, Maxim de Winter, Rebecca est « The Devil ». Ce thème, le passé qui hante le présent, sera également au coeur de Vertigo, chef d’oeuvre d’Hitchcock. Le début du film situé à Monte-Carlo est dans le registre de la comédie puis avec l’arrivée du couple à Manderley le film vire vers le gothique et l’angoisse monte. La demeure Manderley est utilisée comme un personnage; par son aspect gothique, labyrinthique elle a tout d’une maison hantée (bouton de porte trop haut, fauteuil trop grand…) qui peut engloutir à tout moment le personnage de Joan Fontaine et dont le seul moyen pour s’en libérer est le feu purificateur. Pour Hitchcock, Rebecca c’est »Cendrillon et une des soeurs vilaines ». Le secret derrière la porte de Fritz Lang doit beaucoup à Rebecca, superbe mélodrame gothique dont le réalisateur allemand était fan.
La maison du docteur Edwardes (Spellbound) est un film psychanalytique, discipline tabou à l’époque, mixé à une histoire d’amour. Le personnage de Gregory Peck, torturé, souffre d’un complexe de culpabilité quant le personnage d’Ingrid Bergman, une docteresse éprise de ce patient, se révèle une femme forte capable de le libérer de ses névroses. Spellbound n’offre pas le meilleur scénario de Hitchcock mais recèle, comme souvent chez le maître du suspense, de nombreuses fulgurances visuelles : dans la scène où Ingrid Bergman s’échappe de la pièce où se trouve l’assassin Hitchcock filme en prise de vue subjective du point de vue du malfrat en montrant une grande main serrant un pistolet qui se retourne vers le spectateur avant de tirer (une tâche rouge envahit alors le n&b de l’image) ou bien encore dans la célèbre séquence onirique signée Salvator Dali. Pour François Truffaut Spellbound est « décevant mais avec de bonnes idées » et est « trop compliqué » pour son réalisateur.
Les enchaînés (Notorious) est une histoire d’amour déguisée en film d’espionnage avec le couple glamour Cary Grant/Ingrid Bergman. L’actrice vue précédemment dans Spellbound y interprète le superbe personnage Alicia : mondaine à la vie dissolue, elle porte difficilement le poids du passé de son père qui a trahi son pays quand elle va être recrutée comme espionne pour infiltrer un repère de nazis au Brésil. Elle va rapidement tomber amoureuse de son recruteur Devlin (Cary Grant). Dans ce jeux d’espions, de dupes, deux hommes sont épris de la même femme et se leurrent sur son compte : son mari Alex Sebastian (Claude Rains) qui ne voit pas qu’elle est une espionne et Devlin qui la repousse à un tournant dramatique du récit la pensant retombée dans la boisson. Sur un excellent scénario signé Ben Becht, Notorious, en pur film hitchockien, multiplie les tour de force visuels avec un découpage technique de haute volée : le plan- séquence anthologique du baiser, la séquence de la cave avec le MacGuffin de l’uranium dans les bouteilles de vin pour créer du suspense. Citons aussi ce prodigieux mouvement de caméra, situé au début de la réception organisé par Alex Sebastian, avec un plan chargé de tension où la caméra amorce un plan d’ensemble des invités, descend lentement de l’escalier pour terminer en gros plan sur la main d’Alicia renfermant avec nervosité la clé de la cave derrière son dos. Le plan dit un péril intérieur en cette demeure où la fête bat son plein. Le suspense est lancé, notamment grâce aux objets dont Hitchcock se sert du pouvoir symbolique (la clé par exemple) pour bâtir du suspense. En outre, lors de la saisissante scène où Alicia comprend qu’elle a été empoisonnée, Hitchcock place une tasse de café au premier plan, objet surdimensionné qui semble terrasser le personnage et envahit l’écran : une tentative de meurtre a été orchestrée par Sebastian, le mari trompé et sa perfide mère. Notorious présente un beau spécimen de mère possessive qu’Hitchcock utilisera plus tard dans ses chefs d’oeuvre Psychose et Les oiseaux. Cette mère, prête à tuer (empoisonnement à l’arsenic) pour sauver son fils, est la véritable méchante du film, elle s’avère en fait plus terrifiante que son fils, amoureux éconduit immature. Pour Truffaut, Notorious, un de ses films préférés d’Hitchcock, ressemble à un conte de fées, La belle au bois dormant (les clés, une héroïne endormie réveillée avec un baiser). Sensuel, dramatique, palpitant, ce chef d’oeuvre où la caméra-stylo d’Hitchcock fait des merveilles illustre magnifiquement ce programme du maître : « Les baisers devraient être des poèmes lyriques et les étreintes shakespeariennes ».
Le procès Paradine (The Paradine case) voit un avocat (Grégory Peck) tomber amoureux de sa cliente. Comme dans Spellbound, Peck interprète un homme torturé, faible, ici il tombe amoureux de sa cliente et refuse d’admettre sa culpabilité. Son épouse interprétée par Ann Todd, comme le personnage d’Ingrid Bergman dans Spellbound, est un adjuvant essentiel pour le sauver d’un délitement psychologique. La première heure s’avère assez laborieuse pour présenter le lien entre les personnages, avec des scènes dialoguées poussives mais la deuxième heure consacrée au procès est, à défaut de suspense, chargée de belles idées de mise en scène, avec une caméra toujours en mouvement, pour dynamiser la partie judiciaire.
Technique
Rebecca a bénéficié d’une nouvelle restauration 4K et La maison du docteur Edwardes, Les enchaînés et Le procès Paradine d’une nouvelle restauration HD. L’image de Rebecca est flamboyante, avec un n&b superbe. La maison du docteur Edwardes présente quelques défauts de master mais l’ensemble est très satisfaisant. Quant aux 2 autres films, Les enchaînés et Le procès Paradine, la restauration est moins probante, avec une définition parfois en baisse, du grain numérique sur certains plans et quelques rayures. Le gain par rapport aux DVD français de ces deux derniers films est toutefois incontestable; la compatibilité avec les écrans 16/9 permet de re(voir) ces films dans les meilleures conditions techniques à ce jour. Côté son, Rebecca domine largement les autres films, aux voix moins claires. VF honnêtes sur Les enchaînés et La maison du docteur Edwardes.
Bonus
Ce coffret collector Alfred Hitchcock, les années Selznick présente, comme les 6 autres coffrets de la collection coffret ultra collector signée Carlotta, un beau packaging et une riche interactivité.
Chaque disque est accompagné d’un entretien/analyse de Laurent Bouzereau (une quinzaine de minutes à chaque fois), cinéaste et auteur de Hitchcock : pièces à conviction.
Un extrait audio des incontournables entretiens Hitchcock/Truffaut (30 mn environ sur chaque disque) vient en complément indispensable à chaque film. Les quatre films décryptés par Hitchcock et Truffaut au cours de leurs célèbres entretiens sont augmentés d’une postface inédite de l’excellent réalisateur et ancien critique Nicolas Saada.
Sur le disque de Rebecca est proposée les Screen test (9 mn) : Margaret Sullavan, Vivien Leigh et Sir Laurence Olivier font des essais pour les premiers rôles du film.
Sur un disque à part sont rassemblés Hitchcock/Selznick (22 mn), un entretien exclusif avec Daniel Selznick, sur la collaboration entre son père et Hitchcock; Monsieur Truffaut meets Mr.Hitchcock (39 mn), documentaire sur la genèse, le déroulement et la pérennité des rencontres Truffaut/Hitchcock qui a donné un livre référence, avec les témoignages notamment de Claude Chabrol (ancien critique des Cahiers, passionné par le cinéma hitchcockien), Laura Truffaut, Patricia Hitchcock; un portrait complet de l’auteur de Rebecca et des Oiseaux Daphné du Maurier sur les traces de Rebecca (54 mn) et les précieux Home movies (35 mn) de la famille Hitchcock, muets en n&b et couleurs, avec des moments de détente en famille et des extraits des coulisses de Chantage et Frenzy.
Un passionnant livre de 300 pages, La conquête de l’indépendance, avec plus de 120 photos et des articles issus des Cahiers de l’époque signés Claude Chabrol, des analyses par notamment Jean Douchet ou bien encore un lexique mythologique pour l’oeuvre immense d’Hitchcock, est compris dans ce coffret indispensable pour tous les fans d’Hitch, à ranger dans sa vidéothèque personnelle aux côtés de celui édité il y a 5 ans par Universal.
Coffret Alfred Hitchcock, les années Selznick : le test blu-ray
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