Constantinople, 1910.
Trop de chiens errants dans les rues de la ville. Le gouvernement nouvellement en place, influencé par un modèle de société occidentale, cherche auprès d’experts européens les moyens de s’en débarrasser avant de décider, seul, de déporter trente mille chiens sur une île déserte au large de la ville. À travers le double regard d’une chienne qui vient de mettre bas et du gendarme qui l’encage, on suit l’exil forcé de ces chiens dont la plupart mourront de faim et de soif.
32ème CINEMED-Soirée d’ouverture
L’avis de Géraldine Pigault
1910. Plan fixe sur une carte postale de Constantinople. L’œil glisse et découvre, au détour d’une rocade, le visage d’une ville à l’aube de l’occidentalisation : l’avènement des Jeunes Turcs au pouvoir vient de tirer un trait sur un traditionalisme incarné dans ses dernières heures par le sultan Abdülhamid II. Heurté par l’omniprésence des chiens de rues ancrés dans la capitale ottomane et ancestralement nourris par sa population, le nouveau régime organise dès lors la déportation de 80 000 chiens sur l’îlot d’ Hayirsiz, au large de la mer de Marmara.
En quinze minutes, Serge Avedikian, transcende le dessein de ces bêtes arrachées à l’homme. Pour raconter cet épisode laissé à la périphérie de la grande Histoire, son court métrage se gorge des aquarelles peintes par Thomas Azuelos : l’audace des lignes anguleuses se conjugue à la force du trait et confère à cette animation un grain singulier. L’âpreté de l’image absorbe le regard du spectateur, médusé par ce mélange de photographies et de dessins, et très peu habitué aux plans de plus de trois secondes.
Cette réalisation hybride capte l’essence d’un évènement tragique : désossée de tout dialogue avec, en perspective, la cruauté pour seul horizon.
A cet égard, la bande son de Michel Karsky se fait écho des hurlements de ces bêtes dont le caricaturiste Sem avait décrit à l’époque l’atrocité : «A terre, ce n’était que de sauvages mêlées de chiens qui s’arrachaient des cadavres (…) Beaucoup avaient les oreilles à moitié dévorées, ils étaient couverts de plaies hideuses qui, avivées par le sel, laissaient des traînées de sang sur l’eau limpide ».
Témoin, l’œil ne peut se détourner de cette colline où les carcasses s’enchevêtrent avant de fondre dans la mer, en silence. Et Avedikian de nous laisser sans voix devant l’anéantissement.
Vient en tête, la réflexion de Pavloff dans Matin Brun, quant l’éradication due à une surpopulation: « Les chiens, ça m’avait surpris un peu plus (…) peut être parce que c’est le compagnon de l’homme».
Chienne d’histoire a reçu la palme d’or du court-métrage au Festival de Cannes 2010.