Nous vous proposons une interview du réalisateur Eric Dinkian qui nous parle de son film Precut girl. Il nous avait déjà surpris avec son premier court métrage intitulé Kaojikara (superbe) et il récidive encore une fois …
Pourriez vous vous présenter ?
Je m’appelle Eric Dinkian. Je suis tout d’abord monteur pour la télévision et le cinéma. J’enseigne en parallèle le montage en école. Je collabore en tant que journaliste au site web www.devildead.com dédié au cinéma fantastique. Après avoir réalisé et/ou écrit quelques clips et sketchs humoristiques, j’ai tourné mon premier court-métrage en 2004/2005. C’est un film très particulier qui s’appelle Kaojikara. Comme le film possède beaucoup de plans d’effets spéciaux exécutés avec des techniques très graphiques proches de l’animation, on a mis trois ans à le terminer. Le film est disponible sur le net pour les quelques courageux qui veulent le voir. Precut Girl est mon deuxième court. Je termine en ce moment mon troisième opus, Yukiko.
Comment avez-vous eu l’idée du scénario de Precut Girl ?
Il y a 2/3 ans, mon père a été victime de plusieurs incidents respiratoires très graves. Il n’avait aucune chance de s’en sortir, mais il a pourtant tenu bon et a déjoué les pronostics des médecins. Il va bien aujourd’hui, mais cette période , longue dans le temps, a été très difficile pour tout le monde. L’idée de la mort était à ce moment extrêmement présente dans nos vies, écrasante même. C’était devenu un concept extrêmement tangible. Je pense que l’idée de Precut Girl s’est nourrie de cette période noire et de l’énergie désespérée et dépressive que je déployais à l’époque pour soutenir mon père qui était à un fil de nous quitter.
Precut Girl est aussi un projet qui est né de manière très libre et spontanée. Après Kaojikara, j’ai rencontré des producteurs pour m’aider à concrétiser ce qui allait devenir mon troisième court-métrage, Yukiko. Ce film était très compliqué à mettre en place, notamment à cause de son scénario qui morcelle la narration entre passé, présent et imaginaire. Yukiko était un projet qui avançait lentement et qui demandait beaucoup de minutie. J’ai donc eu envie de me lancer en parallèle dans un « petit » film en équipe très réduite, histoire de ne pas perdre la main et de se défouler un peu. J’ai écrit le scénario de Precut Girl très rapidement, presque à l’instinct. J’ai ouvert les vannes de mes expériences personnelles et ça a donné cette histoire étrange.
Pourriez-vous nous parler de votre choix pour les deux acteurs principaux (Karin Shibata et Alexandre Leycuras)?
Karin et Alex sont des comédiens avec qui j’avais déjà travaillé par le passé, notamment sur Kaojikara. Dès l’écriture du film, il était prévu qu’ils tiennent les rôles principaux. Le scénario bouclé, on a commencé les répétitions ensemble et on a tourné dans la foulée. C’était l’été 2008, tout est allé très vite.
Que représente la mort pour vous ?
Oh la, c’est une question très perso. Je ne sais pas quoi répondre. Comme j’ai longuement fréquenté les cellules de soins intensifs suite aux problèmes de mon père, j’ai une vision très clinique, très technique de la mort. La mort représente pour moi un corps qui s’arrête, comme une machine qui s’éteint. Je n’ai pas encore assez de recul sur ce que j’ai vécu pour en tirer une quelconque philosophie. Avec l’histoire de Precut Girl, j’essaie de parler du concept de la mort en tant que « non-existence », concept qui me terrifie car je n’arrive pas à imaginer devoir abandonner un jour mes sensations et mes souvenirs d’être humain.
Pourquoi l’héroïne renaît elle toujours dans une décharge et dans un sac blanc ?
Ce n’est pas expliqué dans le film, donc je ne peux pas donner de rationalisation. Cela fait partie de sa « routine » de résurrection. Comme certaines choses dans la vie, c’est une situation qui n’est pas compréhensible mais qui est pourtant indiscutable. Il faut l’accepter c’est tout. Bien entendu, il y a un sens métaphorique à cela, si l’on regarde le film sous un autre angle de lecture. Mais ça, c’est comme un jeu entre le film et le spectateur. Au spectateur de trouver si le film lui plait suffisamment.
Pourquoi avez-vous choisi le métro pour la première scène de suicide ?
Pour des raisons d’efficacité de narration (car il faut savoir être concis quand on fait du court), son premier suicide devait être brutal, rapide et ne lui laisser aucune chance de survie. La méthode devait être aussi « à portée de main », car le personnage n’est alors pas en état d’organiser quelque chose de très sophistiqué. Se jeter sous les roues d’un métro me semblait une bonne idée, surtout que ça nous permettait de tourner dans des décors intéressants de stations en travaux. Le tournage guerrilla de cette séquence a été en revanche plutôt rock n’roll : les agents de sécurité nous traquait sans arrêt car ils avaient peur qu’on le fasse vraiment !
Pourquoi la culture asiatique est elle une récurrence dans vos thèmes ?
La culture asiatique est présente dans ma vie personnelle grâce à mes amitiés ou encore grâce à ma compagne qui est d’origine chinoise. Je ne pense pas avoir recherché particulièrement cette culture en particulier. Elle est juste arrivée à un moment donné dans ma vie et je m’y suis senti bien sans que je puisse l’expliquer plus que cela. En tant que réalisateur, la culture « asiatique » est présente dans mes films aussi et surtout car j’essaie de faire des films qui soit métissés, c’est-à-dire des films qui soient à la fois dit « de genre » mais aussi des films personnels. Pour moi, Precut Girl est un film d’horreur mais aussi un portrait de femme intimiste. Mélanger « le genre » et « l’auteur » se fait très peu en occident alors que c’est tout à fait normal en Asie. C’est aussi pour ça que, lorsque j’imagine des histoires, elles sont souvent ancrées dans un background asiatique.
Par rapport à Kaojikara quelles ont été les difficultés supplémentaires que vous avez pu rencontrer ?
Precut Girl a été un parcours de santé par rapport à Kaojikara ! Le film n’a pas posé de difficulté particulière. Certes, on tournait à l’arrache sans autorisation, mais pour une fois on tournait l’été. Il faisait beau et c’était agréable pour tout le monde. Precut Girl est un film plus centré sur les comédiens, donc techniquement, c’était facile pour nous. Ca a été en revanche très difficile pour Karin, car le rôle titre lui demandait beaucoup. C’était épuisant pour elle, surtout que l’on tournait souvent des prises longues pour que le chef opérateur puisse prendre ce qu’il voulait. Mais globalement, Precut Girl a été assez simple et agréable à construire, de l’écriture jusqu’à la finalisation. A côté de ça, Kaojikara et sa postproduction expérimentale de plusieurs années c’était juste de la folie furieuse !
Votre court métrage est d’une certaine façon poétique (il suffit de voir la séquence finale) et fait réfléchir le spectateur tels les films de David Lynch. Qu’est ce qui vous attire dans cela ?
Merci pour la comparaison. Je ne suis pas sûr de la mériter mais bon. Je pense qu’il est indispensable quand l’on fait un film, qui plus est un court-métrage, d’être dans la proposition. Et l’un des moyens pour moi d’être dans la proposition est de confier aux spectateurs des histoires étranges et particulières, le tout avec plusieurs facettes. Mes histoires sont très noires mais il y a un vrai désir de lumière dedans. Certains trouvent par exemple la fin du film poétique, mais d’autres spectateurs trouvent cette fin horrible. C’est vrai que la séquence est belle, apaisante, mais le personnage principal tient en voix off un discours si tordu que beaucoup de gens se sont sentis dérangés. J’essaie de faire en sorte que mes films soient des expériences qui mettent en scène des situations diffuses où le noir et le blanc n’existent pas. En espérant que les spectateurs ne regretteront pas les 20 minutes de leur vie passées à visionner le film.
Pourriez-vous nous parler de vos effets spéciaux (les scènes de suicides) ?
Les effets spéciaux sont un mélange d’effets physiques et de retouches infographiques en postproduction. Tous les effets de prothèses et de coupures ont été créés par la société d’effets de maquillage Djinn Studio, tenue par Frédéric Balmer et Alexis Kinebanyan. Ils ont un système d’application de prothèses via des moules souples, ce qui fait que notre maquilleuse pouvait les poser à la vitesse de la lumière sur le plateau. Djinn a aussi fabriqué les faux couteaux dont nous avions besoin pour les scènes de mutilation. Comme la comédienne se poignarde la plupart du temps torse nu, ils ont produit des couteaux en plastique dont le bout était très souple. Karin pouvait s’envoyer ainsi les lames dans le ventre sans le moindre danger. Par contre, comme le plastique (même peint) n’a pas la même réaction à la lumière que le métal, nous avons rajouté des brillances sur la lame en infographie. L’idée étant de parvenir à des plans crédibles sans qu’il n’y ait à aucun moment le moindre danger pour les comédiens.
Pensez-vous faire bientôt un long métrage ?
Il faudrait poser la question à mes producteurs ! Passer au long-métrage est un processus tellement fragile que je ne peux rien dire pour l’instant. Maintenant que je termine mon troisième court, oui, j’aimerais me lancer un jour dans un tel projet. Je suis en train d’écrire un scénario de long dans la continuité de mes précédents travaux. C’est une histoire originale et forte, mais surtout, c’est une histoire capable d’être produite dans une économie très légère. Un argument essentiel quand on est un jeune réalisateur. Je termine l’écriture pour le premier trimestre 2010.
Quels sont vos futurs projets ?
Je termine donc Yukiko, mon troisième court-métrage. C’est un film produit, avec un comédien confirmé en tête d’affiche (Thomas Jouannet). On s’est donné beaucoup de mal sur ce film, donc j’espère que les gens l’apprécieront. J’enchaînerais avec la réalisation d’un clip vidéo pour le groupe Hell Nino, clip qui sera tout d’abord diffusé lors d’une exposition artistique réunissant peintres et créateurs dans le centre de la France fin avril. Et dans les petits trous de mon emploi du temps, j’écris. En espérant que les mots se transforment un jour en images.
Interview réalisé en novembre 2009 par Stéphane Humbert