Synopsis : Au début du XXe siècle, dans un village isolé, plusieurs habitants ont trouvé la mort dans des circonstances mystérieuses. Appelé par le bourgmestre, l’inspecteur Kruger fait venir de la ville le docteur Paul Eswai afin qu’il autopsie le corps d’Irina Hollander, la dernière victime. La jeune femme vient d’être retrouvée empalée sur la grille de la villa de la baronne Graps, dont la fille aînée, Melissa, a succombé vingt ans auparavant à un accident de cheval.
En 1966, Mario Bava est déjà fort de nombreuses réalisations, qui aujourd’hui ont su trouver une véritable reconnaissance. Qu’il s’agisse de Le Masque Du Démon, Six Femmes Pour L’Assassin, La Fille Qui En Savait Trop, Les Trois Visages De La Peur ou encore La planète Des Vampires, le cinéaste transalpin a en l’espace de six ans réalisé pas moins de quinze films depuis 1960. Il propose alors l’une de ses dernières réalisations de style gothique avec Opération Peur. Une oeuvre qui réussit à synthétiser la quasi intégralité des motifs cinématographiques du réalisateur. Plus de cinquante ans après sa sortie, et suite à une rétrospective nationale du travail de Mario Bava, il devient nécessaire de sortir de la malle ce film trop peu cité, qui mérite pourtant le détour.
Le cinéaste italien avec Opération Peur, deux ans après Six Femmes Pour L’Assassin, et pas moins de quatre films plus tard allant du western (Arizona Bill) au film de vikings (Duel Au Couteau) en passant par la Science-Fiction (La Planète Des Vampires), revient à ses premiers amours, le cinéma d’horreur à tendance gothique. Pour cela il installera son intrigue au cœur d’un village italien prisonnier de ses superstitions et malédictions. Un jeune médecin légiste fraîchement débarqué de la ville va se mesurer à l’hostilité des habitants quant à l’usage des sciences modernes pour élucider les causes du décès d’une jeune femme. Un bras de fer va alors débuter entre croyances ésotériques et savoir scientifique.
Mario Bava parvient à cerner les problématiques inhérentes à la vie des villages isolés, des tensions entre habitants aux secrets en passant par la création d’une mythologie locale. Il appuie sur le caractère d’indépendance face au pouvoir étatique de la bourgade pour caractériser ses personnages et leurs croyances. Il y est question de malédictions, de sorcellerie et plus largement de fantômes. Le médecin venu de la ville, à l’esprit cartésien va tenter de raisonner le village, de le sensibiliser à la rationalité et à la nécessité de recours à la science pour éclaircir les peurs et inquiétudes. Cet esprit logique sera mis à l’épreuve, dans une confrontation journalière, sous forme d’un ostinato allant crescendo dans sa révélation horrifique, installant le doute dans le caractère irrévocable des savoirs du monde moderne.
Le réalisateur italien, maître dans la mise en scène ainsi que dans la gestion de son imaginaire, de ses couleurs, va transformer de façon progressive le village au fur et à mesure de l’avancée de l’intrigue. Les habitants se font de plus en plus rare, la lumière naturelle s’éclipse à la faveur de couleurs primaires faisant plonger le spectateur dans les méandres de l’intrigue, le brouillard ne cesse de jaillir de part et d’autre faisant accéder à un univers dissimulé d’ordinaire, dans une nébuleuse noirceur. La quête de savoir du personnage principal ne cesse de s’enfoncer dans l’histoire, le passé de cette communauté isolée. Cette manière qu’a le réalisateur italien d’utiliser les escaliers pour accéder aux mondes irrationnels et mystiques est fabuleuse. L’usage de l’escalier en colimaçon renvoie à un voyage au cœur de l’inconscient, à une vérité inaccessible. On pense de la sorte au chignon spiroïdal du Vertigo de Hitchcock renfermant en un plan, une image le caractère singulier de l’oeuvre et son analyse du subconscient. Dans le cas d‘Opération Peur, l’escalier en spirale permet la connexion entre lumières et ténèbres, une interstice pour accéder au mal.
Une mise en espace appelant au caractère complexe du film de Bava tant il se joue sur une zone multi-dimensionnelle. La quête dans les tréfonds ne permet pas d’assimiler pour un humain « ordinaire », le souvenir du voyage. Ce dernier se revêt d’un apparat renvoyant au cauchemar, à l’illusion pour résonner à jamais dans l’âme des protagonistes.
Les motifs d’architecture gothique, précieux à Mario Bava, au début de sa carrière reviennent et semblent plus que jamais maîtrisés de par ses divers expériences. L’enquête menée dépasse les traditionnelles histoires de l’époque, à des années-lumières des productions de la Hammer et pourtant si proche dans son contenu, le réalisateur instigue son savoir faire désormais expert dans la création d’intrigues suite à ses travaux dans l’univers des gialli.
La bande originale composée par Carlo Rustichelli, connu pour avoir travaillé avec des cinéastes de la trempe de Riccardo Freda, Pier Paolo Pasolini, ou encore Lucio Fulci, propose une musicalité dans son orchestration qui sied à merveille avec l’expérience esthétique visuelle de Mario Bava.
Enfin, il serait triste de ne pas aborder l’interprétation d’Erika Blanc à la fois séduisante et inquiétante tant son personnage semble attiré et enchaîné au village. L’actrice italienne connue pour sa présence dans de nombreux gialli, réussit à convaincre du début à la fin du film dans la moindre de ses émotions. Une actrice envoûtante qui en un regard emporte le spectateur dans un flot entre séduction et obsession.
Opération Peur est une oeuvre à la limite des songes, possédé par sa mise en scène gothique, effrayante de par son approche de la sorcellerie mais avant tout obsédante de par sa capacité à hypnotiser le spectateur dans un monde cauchemardesque où les ténèbres s’installent de manière insidieuse pour nous tenir et asséner le savoir-faire de l’immense Mario Bava.