Synopsis : Veuve depuis plusieurs années, Fang Xiuying, 68 ans, est née à Huzhou, dans la région du Fujian où elle travaillait comme ouvrière agricole. Elle a souffert les dernières années de sa vie de la maladie d’Alzheimer. Après avoir été hospitalisée en 2015, elle a été renvoyée chez elle pour y mourir, entourée de sa famille. Mais la mort est longue à venir…
L’article se divisera en deux parties :
I) La critique de Madame Fang
II) Les caractéristiques techniques de l’édition DVD
I) La critique de Madame Fang
Madame Fang revient sur les derniers jour de la vie de la doyenne d’une famille chinoise. Neuf ans après avoir été diagnostiquée souffrante de la maladie d’Alzheimer, la caméra de Wang Bing s’installe dans la demeure familiale mettant en lumière une précarité à la fois économique et sociale. Bien que connu de tous, l’évolution des conditions de vie des souffrants d’Alzheimer reste taboue, cachée à la manière d’un secret maudit. Le cinéaste chinois, en restant discret, s’immisce dans le quotidien de ce foyer où se croisent enfants, neveux, frère et petits-enfants, révélant à la fois les conséquences de la pauvreté dans le suivi médical et les répercussions sur l’organisation familiale.
Le documentaire entremêle des scènes d’hospitalisation à domicile, des gros plans sur le visage, le corps décharné de Madame Fang, à l’activité professionnelle des membres de la famille et la nature environnante. De cette succession de scènes, Wang Bing débute l’oeuvre sur une vision sociale de la maladie pour la mener à une atmosphère aux nuances mystiques, aux croyances de la société chinoise. De la sorte, comme dans ces précédents documentaires, qu’il s’agisse d’Argent-Amer, A L’Ouest Des Rails ou encore Les Âmes Mortes, il dessine l’entièreté du monde alentour pour mieux tenir son sujet et lui donner racine en plein cœur de son contexte.
Madame Fang, lors des premières séquences du film, présenté dans un état de maigreur extrême et d’immobilité presque généralisée, effraie, inquiète et surprend. Néanmoins, au fur et à mesure des ses apparitions en plans-séquences, on apprend à découvrir les moindres détails de sa peau, de ses rides, de son visage. Le regard plein d’humilité du réalisateur, fait traverser le portrait de cette femme âgée au delà de l’écran pour nous toucher en plein cœur. La caméra apprend au spectateur à comprendre, analyser, communiquer avec son regard. Le reflet des yeux de Madame Fang, siège de l’âme, fait résonner son état entre conscient et inconscient.
Cet état entre le réel et l’après-vie se juxtapose avec les images de la nature où la végétation se reflète sur l’eau comme une représentation floue de la réalité. En quittant le monde humain, Madame Fang se rapproche des éléments primaires à la manière d’une chaîne dont la mort n’est qu’une composante de la vie, une phase transitionnelle difficile mais obligatoire pour atteindre un nouvel état dont seul le décès peut en révéler les desseins.
L’entourage familial de Madame Fang est assez stupéfiant et interroge sur notre gestion des anciens dans nos sociétés occidentales. Ils alternent travail le jour et compagnie, soins le soir. Bien qu’on puisse se demander si cet accompagnement généalogique est dû à des raisons financières, on se rend compte tout au long du documentaire qu’il s’agit bien plus d’un cortège de fin de vie culturellement établi. Cette leçon d’humanité est saisissante, émouvante. Les inquiétudes des uns et les attentes des autres face au décès le sont toutes de manière bienveillante. De la sorte, on pense au récent Séjour Dans Les Monts Fuchun réalisé par Gu Xiaogang, et à cette continuité familiale de la vie chinoise de manière ancestrale, saine et éternelle, qui suite à la politique de l’enfant unique risque dans les années à venir de s’effondrer. Lorsque les familles ne seront plus assez nombreuses, que les filles auront rejoint les familles des époux, que la société aura appauvrie les personnes âgées empêchant les moindres soins, qu’adviendra t-il des Madame Fang du futur ?
Wang Bing signe avec Madame Fang un témoignage renversant de la société chinoise, du système de santé mais également de l’incroyable force de la cellule familiale. Il questionne et alerte les générations à venir, avec une oeuvre singulière radicale qui saura résonner au travers du regard des spectateurs durant de nombreuses années.
II) Les caractéristiques de l’édition DVD
Image :
A l’instar des éditions de Wang Bing chez Arte Editions, Potemkine réussit haut la main à maintenir le niveau visuel. N’allez pas chercher des prouesses techniques en matière d’images tant les conditions de tournage sont précaires. Néanmoins sachez que cette édition de Madame Fang est exemplaire dans la transposition du travail difficile du cinéaste chinois. Le travail autour du piqué permet au visage de cette femme âgée de nous délivrer pléthore de secrets, tout comme la colorimétrie qui fait ressortir le contexte dans lequel se passe l’événement.
Aucune hésitation à avoir si vous êtes friands de l’oeuvre de Wang Bing !
Note Image : 4/5
Son :
Tout comme pour l’image, les prises de son dans l’oeuvre de Wang Bing ont été complexes à effectuer. Pourtant le rendu final est bien plus que convenable et nous offre une expérience sonore se juxtaposant de manière réussie à l’expérience visuelle, faisant entrer le spectateur au cœur de la société chinoise et de ses problématiques.
Note Son : 4/5
Suppléments :
Un unique complément vient apporter des informations sur le tournage et la réalisation de Madame Fang. Wang Bing en personne revient sur le projet et les conditions extrêmes en matière de temps pour réussir à mettre en oeuvre ce projet. De façon émouvante et passionnante, le cinéaste parle de la genèse du projet, de la manière dans laquelle a été pensé le documentaire, et les raisons pour lesquelles il lui semblait important si ce n’est essentiel d’aborder cette histoire humaine et bouleversante.
Du haut de ses 15 minutes, ce supplément apporte tout ce qui pouvait importer d’être ajouté à l’oeuvre. A ne rater sous aucun prétexte.
Note Suppléments : 4/5
Avec une telle sortie, l’accomplissement d’un devoir de patrimoine essentiel pour le cinéma chinois a été réalisé, nous ne pouvons qu’espérer voir ressortir A L’Ouest Des Rails chez l’éditeur français Potemkine et espérer un jour voir d’autres réalisateurs de la même trempe rejoindre cette merveilleuse dynamique, en pensant fort à l’immense travail, encore trop difficile à trouver, du cinéaste philippin Lav Diaz…