Après Les Forbans De La Nuit, 3 Femmes et La Rivière De Nos Amours, Wild Side revient en cette fin d’année pour nous proposer un nouveau Médiabook, celui de Elmer Gantry Le Charlatan. Une oeuvre majeure du cinéma américain marquant une collaboration inoubliable entre Burt Lancaster et Richard Brooks.
Nous reviendrons sur l’édition DVD du médiabook en deux temps :
I) La critique d’Elmer Gantry, Le Charlatan
II) Les caractéristiques techniques de l’édition DVD
L’avis de Quentin :
I) La critique d’Elmer Gantry, Le Charlatan
Le film de Richard Brooks s’ouvre autour de multiples affaires financières qu’entretient Elmer Gantry. Dès les premiers scènes, il installe le cadre de son récit autour de ce personnage de charlatan, qui se joue de l’offre et de la demande. Le personnage interprété par Burt Lancaster, en figure charismatique, sachant jouer avec les mots organise sa vie de marchand itinérant au gré d’acheteurs naïfs. Il est à petite échelle le reflet du monde industriel, le fruit de la société de consommation poussant à éveiller l’envie de posséder à des personnes qui ont déjà tout ce dont ils ont besoin. Suite à une énième farce commerciale, Elmer Gantry va se trouver confronter à un fantôme du passé, la religion, institut peut enviable des masses. Cette rencontre va le porter à percevoir un filon dans le domaine ecclésiastique.
Dans un premier temps, l’oeuvre de Brooks met en avant une situation inédite au territoire américain avec la liberté de culte confondant religions reconnues de manière officielles et sectes. On découvre un territoire américain à la fois segmenté par les variantes du christianisme, mais également par sa répartition géographique entre zones rurales et zones urbaines. Les zones rurales, plus croyantes, voient dans les grandes villes l’oeuvre du malin, du diable et s’ouvrent bien plus à l’émergence de nouvelles pratiques religieuses pour réussir là où l’Eglise a échoué préférant se remettre à des orateurs ingénieux plutôt qu’à la parole de Dieu. Les zones urbaines, quant à elles, délaissent de manière quasi totale l’éducation religieuse de leurs aînés et croient bien plus en la bouteille et l’argent. Les églises s’érodent au fur et à mesure que les fidèles quittent la voix de Dieu pour la voie de l’entreprise. L’analyse que fait le film y est ingénieusement menée tant elle va réussir en combinant les valeurs capitalistes et religieuses à faire lever un jour nouveau sur la croyance…. mais à quel prix.
C’est dans ce climat de renouveau spirituel qu’intervient le charlatan Elmer Gantry, s’introduisant avec malice dans la tournée d’une troupe évangéliste itinérante, porte parole de Dieu. Le personnage principal pénètre dans cette structure à la fois pour refaire ses finances mais également espérer séduire la prédicatrice (Jean Simmons) qui lui a tapé dans l’œil. Il va s’en suivre une expansion sans précédent du show religieux le menant à un lourd dilemme, devenir une entreprise avec un but financier ou garder l’intégrité du regard de Dieu et tourner le dos à la gloire pour apporter de véritables valeurs enclines à la religion. Sur cette thématique, le film revient sur les origines mêmes des valeurs du Christ, du but premier de la religion et la difficile route à emprunter pour éviter les pièges démoniaques de l’appel capitaliste, de l’avarice. Une vision dichotomique irréconciliable de l’Amérique, d’une part la réussite économique à tout prix, de l’autre la nécessité de conserver des valeurs chrétiennes pour assurer la stabilité d’une nation qui n’a plus de repères.
Cette production d’après-guerre, se situant quinze ans après l’armistice, parle de la force des masses, des foules lorsqu’elle est manipulée, orientée. Derrière ces leaders charismatiques, qu’ils soient religieux, politiques ou médiatiques, l’usage de la rhétorique est l’arme la plus puissante et destructrice d’une nation. Richard Brooks réussit avec brio , à force de chants partisans, de propagandes, d’avis subjectifs, à nous embourber dans cette situation où ce qui était bon pour la population la veille devient « périlleux » le lendemain. Un travail autour des idées ainsi que de la facilité de modeler les pensées est finement mené tant et si bien que l’on ne parvient plus à savoir quel parti prendre dans le film. Que cela soit Elmer, la presse, les dirigeants ecclésiastiques ou politiques, aucun d’eux ne cherchent à hisser de manière fondamentale la défense du bien de tous, chacun essaie de tirer son épingle du jeu, d’écraser son prochain et se proclamer doctrine principale.
Bien qu’oeuvre politique, Elmer Gantry est aussi une grande oeuvre romantique. Une création quasi-Shakespearienne tant elle reprend les grandes lignes de Roméo Et Juliette à travers cette romance entre une sœur promue au rang de prédicatrice et Elmer Gantry le charlatan. L’histoire d’amour se déroulant sous nos yeux dispose d’une puissance tragique fascinante tant l’amour semble soigner les maux, mais ne peut entièrement guérir les déviances. Bien qu’oscarisé pour sa prestation de charlatan, Burt Lancaster n’aurait pas dû demeurer unique lauréat tant sa partenaire Jean Simmons crève l’écran et nous enivre dès son premier regard.
Elmer Gantry, Le Charlatan, oeuvre peu souvent citée dans l’histoire du cinéma est pourtant une oeuvre de référence qui reste encore d’actualité à travers son traitement de la propagande, de la manipulation des masses et de son analyse pertinente du morcellement religieux sur le territoire américain. Un grand film que Wild Side réussit à faire revivre à travers cette belle édition qui mérite d’être (re)découverte au plus vite !
II) Les caractéristiques techniques de l’édition DVD
Image :
Bien que visionné sur support SD, le master proposé par Wild Side est de très bonne facture bien que le grain se trouve par moment un peu trop présent. Le travail du piqué s’avère pertinent portant l’oeuvre dans la modernité à travers son lot de détails tout comme son étalonnage colorimétrique permettant à l’oeuvre de s’offrir une nouvelle jeunesse. Les plans d’ouverture semblent être ceux ayant été les plus difficiles à restaurer.
Note image : 4/5
Son :
L’édition DVD renferme deux masters :
- La version anglaise : La version originale est très réussie parvenant à parfaitement retranscrire les ambiances du film sans jamais saturer. Les dialogues y sont clairs, tout comme les pistes instrumentales ou chantées. On appréciera d’ailleurs le partage bien dosé entre les voix et la bande originale, l’un ne prenant jamais le pas sur l’autre.
- La version française : La version française, faisant la part belle aux voix s’en sort plutôt bien restreignant cependant les effets sonores, impactant ainsi la pleine pénétration dans l’atmosphère si particulière de l’oeuvre.
Note Son 4/5
Suppléments :
Deux suppléments sont proposés pour conclure cette belle édition :
- Un livret exclusif : Comme à son habitude pour ses éditions Médiabook, Wild Side voit les choses en grand et offre d’ailleurs les meilleures propositions concernant ce média. Pour l’édition d’Elmer Gantry, un livret de 80 pages est proposé écrit par Philippe Garnier. Ce dernier revient d’une part sur la collaboration exceptionnelle que scelle le film entre Richard Brooks et Burt Lancaster puis prend le temps d’aborder la carrière du réalisateur avec détails et anecdotes, pour ensuite s’interroger sur l’écriture du personnage d’Elmer Gantry ainsi que la prestation habitée de l’acteur principal. Le livret nous berce dans l’univers du film ainsi que dans ses coulisses à travers les nombreuses photos d’archives rares agrémentant la lecture.
- L’évangile selon Brooks : entretien avec Patrick Brion : Seulement disponible sur le Blu-ray, que nous n’avons pas eu l’occasion de chroniquer.
- Le Confidence Man chez Lewis Sinclair : Seulement disponible sur le Blu-ray, que nous n’avons pas eu l’occasion de chroniquer.
Note Suppléments 3,5/5