Synopsis : Après la mort de ses deux enfants en avril 1913, la danseuse mythique Isadora Duncan a composé un solo intitulé La mère. Dans un geste d’une grande douceur, une mère y caresse et berce une dernière fois son enfant avant de le laisser partir. Un siècle plus tard, quatre femmes font la rencontre de cette danse.
L’avis de Quentin :
Après le très réussi Le Parc, Damien Manivel est de retour derrière la caméra pour une oeuvre à mi-chemin entre le film d’essai et le documentaire. Il approche le monde de la danse, sous le prisme d’Isadora Duncan, danseuse classique internationalement célèbre et connue pour sa tragique existence suite à la perte de ses deux enfants. Le film est conçu à travers trois mouvements, tableaux modernes, dans lesquels le solo « La Mère » réalisé en 1913, par la danseuse américaine trouve écho dans le parcours de vie de trois individus, en quête de sens, de mots, de partage.
Le cinéaste parvient à installer dans l’oeuvre dès les premiers instants une aura fascinante à ses images, aux corps, aux mains, aux vies en pleines mutations. Il travaille la solitude des êtres à travers la danse. En seulement quelques mouvements, Manivel réussit à cibler, capter l’essence même de la discipline, lui rendant une symbolique thérapeutique.
Dans le premier tableau, il dresse le portrait d’une jeune femme mutique, qui ne trouve d’intérêt et de sens qu’au travers les mots d’Isadora Duncan dans son autobiographie. A l’inverse des autres portraits, elle décide de rentrer par un format rationnel dans la transe que pourront lui offrir ces quelques gestes. Elle cherche l’origine même de l’improvisation dans la peine et la tristesse que la danseuse aurait pu ressentir le jour de la première. A travers cette transposition de vie, d’absence de mots, la protagoniste cherche en questionnant le malheur d’une autre destinée à s’identifier, se reconnaître, se connaître dans un univers en perte de raisons. La caméra révèle les sens de cette danseuse amatrice le regard face à la glace, le toucher lors des appuis au sol, l’audition pour saisir l’intensité de l’environnement, à la quête d’une vérité. Dans le destin tragique d’Isadora, à la limite des martyrs, une lumière s’est allumée dans l’obscurité pour les personnes qui la succéderont dans le chagrin. Une lueur qui, une fois les gestes rituels réalisés apaise.
Dans le second tableau, une jeune femme trisomique cherche sa place dans le monde, dans le regard des autres, à la recherche d’une reconnaissance par ses pairs. Passionnée de musique et avec la volonté d’apporter du lyrisme à ses mouvements et son corps, elle ne cesse de s’entraîner avec son enseignante pour transmettre une émotion, donner à voir et partager à travers un regard, un mouvement, une part de céleste. Dans sa situation, le destin d’Isadora, lui donne la force, au travers des émotions ainsi que de la gestuelle pour entrer en communication avec un public qui d’ordinaire est effrayé de la différence. Une séquence qui amène une dimension humaine, donnant une vision du partage totalement désintéressée et transcendée. Le public est son miroir, leurs sourires sa métamorphose. L’enseignante, gardienne du savoir artistique et plus largement des arts, interagit comme un médecin de l’âme qui connaît les bienfaits de la composition d’Isadora Duncan.
Enfin, le dernier tableau, nous fait entrer dans le quotidien d’une femme âgée et handicapée de par son âge ainsi que son surpoids. Elle trouve dans le spectacle donnée par la jeune femme trisomique, une part de vérité, de beauté, de majestueux. L’enjeu de l’échange entre le public et l’artiste a fonctionné. Une étincelle apparaît dans le quotidien de cette femme fatiguée par la vie, le temps, la solitude. A travers les mouvements, qu’elle a vu et répète dans son salon, elle accède à une approche divine du corps, de l’esprit, de l’univers.
De la sorte, le cinéaste nous compte la puissance de la création artistique ainsi que de son partage. La magie de l’ouverture aux autres, au monde par le corps et les gestes fascine, nous submerge d’émotions, donnant la définition même de ce qu’est une oeuvre d’art, une création qui de par son partage transcende les êtres, les émotions, les vies tendant à offrir un sens, une raison, une lumière aux existences.
Les Enfants D’Isadora est une oeuvre unique, récit universel sur la puissance de la création artistique. L’improvisation d’Isadora Duncan en devient transcendantale tant elle réussit plus d’un siècle après sa première à nous bercer, nous caresser avec la légèreté du toucher maternel, à travers le regard humble de Damien Manivel.