ESC est de retour avec sa collection British Terrors pour délivrer un nouveau cauchemar britannique des studios de la Hammer. Elle revient avec un film délaissé lors de sa sortie, n’ayant pas connu les louanges qu’il méritait. La réputation du réalisateur Terence Fisher, célébré pour des lectures sanguinolentes des créatures mythiques des studios Universal, des années 30, avec entre autres Dracula ou bien Frankenstein, propose avec Les Deux Visages du Docteur Jekyll de revenir sur une mythologie pour la recomposer avec finesse. La violence ne vient plus des coups, elle vient des mots qui invitent la mort.
Cet article se divisera en deux parties :
I) La critique de Les Deux Visages Du Docteur Jekyll
II) Les caractéristiques techniques de l’édition mediabook
L’avis de Quentin :
I) La critique de Les Deux Visages Du Docteur Jekyll
Les deux visages du Dr Docteur Jekyll a durant de nombreuses années été perçu comme un film mineur de Terence Fisher, mais également une adaptation décriée des personnages emblématiques que sont Dr Jekyll et Mr Hyde.
La genèse de la bipolarité de Jekyll est de nouveau abordée. Une étude qui prend le temps d’expliquer les motivations ainsi que les recherches qu’il entreprenait l’ayant poussé à s’injecter un sérum faisant ressortir, malencontreusement, les aspects les plus sombres de sa personnalité.
La particularité du film réalisé par Terence Fisher est la manière dont il est parvenu à remodeler la mythologie de Docteur Jekyll et Mister Hyde. Il dépasse la condition de bête tueuse hideuse de Mister Hyde pour loger la créature dans le corps d’un séduisant gentleman manipulateur. La brutalité laisse place à la finesse. Il dresse la naissance d’un personnage ni bon, ni mauvais qui en fréquentant la société dans laquelle se déroule le film va embrasser les vices qu’il s’agisse de l’alcool, des jeux mais également de la séduction. Le personnage devient un dandy avec la volonté de tout posséder qu’il puisse s’agir de la vie du Dr Jekyll tout comme de l’existence de l’intégralité des autres protagonistes. Son absence d’empathie en fait la création d’une mythologie nouvelle faisant froid dans le dos. Quant au Docteur Jekyll, il fait mine d’un fébrile chercheur qui à force de ne dévouer ses efforts qu’à la recherche va quitter le monde et ses proches sans même s’en rendre compte pour se faire cannibaliser et posséder par sa création : Mr Hyde. L’approche schizophrénique du personnage à deux visages, troublante et dérangeante, offre au film toute sa singularité.
Le long-métrage prend la forme d’une course à la séduction. Fisher réussit à concevoir trois profils d’hommes hétérogènes. D’une part Jekyll, mari effacé, ne montrant que d’intérêts pour ses recherches délaissant une épouse ne sachant que faire de la richesse, désirant être saisie par l’amour. D’autre part Paul Allen, interprété par Christopher Lee, coureur de jupon, amant de Madame Jekyll et ami du Docteur Jekyll, qui se nourrit des revenues de Jekyll pour assister à de nombreuses soirées de débauche. Enfin, Mister Hyde, monstre nocturne vivant au dépens de l’énergie vitale de Jekyll, tente de séduire Madame Jekyll, tout en ne cessant de vouloir détruire l’existence de son créateur et devenir l’unique possesseur de son enveloppe corporelle.
Face à cela, Madame Jekyll se doit de jongler entre les hommes, et user de nombreuses manipulations afin de disposer de l’existence dont elle rêve. Ce triangle d’hommes, représentant chacun l’intelligence, la séduction et la malice, va lancer notre interprète féminine dans un tourbillon de complots. Fisher réalise ainsi une oeuvre qui bien que traitant le sujet de la schizophrénie, met en avant une autre problématique principale qui est celle de l’existence de Madame Jekyll.
Le cinéaste peint de la sorte un monde intéressé, où l’amour n’a pas de place. Il montre un univers sombre où l’humanité n’a plus de repères amoureux, où la grande époque de l’Angleterre emplie de romance, n’existe plus, la désillusion de l’époque victorienne. Le film montre, en arrière plan, une société pleine de vices qu’il s’agisse de l’alcool, de la drogue ou encore bien de la prostitution. La plus désirable des prostituées a pour animal de compagnie un redoutable serpent en tant que protecteur, symbolique du malin et de la tentation.
Dans sa réécriture, Terence Fisher a opté pour quitter le champ du cinéma d’horreur, pour le métamorphoser en oeuvre à énigme disposant d’une approche nouvelle avec une relecture inspirée de la tragédie.
Avec ses multiples personnages complexes et désireux, cette réinterprétation du mythe de Mister Hyde, le cinéaste anglais, habitué de la Hammer, parvient à apporter un rythme fulgurant allant de manière crescendo jusqu’à un final savoureux et finement réalisé. Pour appuyer cette mise en scène, la bande sonore composée par Monty Norman, connu pour avoir conçu le James Bond Theme, nous porte dans la moindre des scènes sachant tirer les émotions dans le regard des spectateurs tout particulièrement lors de la scène de clôture.
Les Deux Visages du Docteur Jekyll, bien que décrié à sa sortie, se révèle être aujourd’hui un incontournable de la Hammer ainsi qu’un grand nom du cinéma fantastique. En nous proposant cette relecture, Terence Fisher offre l’une des plus intrigantes adaptations de l’oeuvre littéraire de Robert Louis Stevenson.
II) Les caractéristiques de l’édition Mediabook
Image :
En raison d’un problème de format proposé par Sony, ESC a délivré une version rognée de l’oeuvre de Terence Fisher. Le format image d’origine étant passé du 2,35:1 à du 1.78. Néanmoins, l’éditeur en date du 30 août 2019 a indiqué faire parvenir sous peu des disques au bon format pour tous les acheteurs concernés. Voici le communiqué officiel :
» LES 2 VISAGES DU Dr JEKYLL » au format d’ origine. Le temps de refaire l’authoring et le pressage, nous allons échanger gracieusement à ceux qui le souhaiterons les 2 galettes.
Ceci fera bien entendu l’ objet d’ une annonce officielle avec la procédure d’ échange. Quant aux revendeurs passionnés et pointus tels que Metaluna store, nous lui ferons un échange de produits finis. C’ est ça le « Semper Fidelis »
De ce fait, Cinealliance a pris le décision de ne pas attribuer de notes qualitatives au travail de l’image sur cette édition.
Cependant, habitué d’un catalogue assez inégal en matière de restauration chez la Hammer, Les Deux Visages du Docteur Jekyll s’en sort plutôt avec les honneurs avec une colorimétrie donnant une véritable renaissance, mention spéciale au rouge à lèvres de Madame Jekyll, ainsi qu’un travail du piqué pertinent offrant de belles images faisant oublier l’âge du film à plusieurs reprises. Le grain d’origine est présent et apporte du charme à cette proposition. Enfin, quelques griffures et tâches s’invitent à la fête mais n’empêche en aucun cas de troubler l’appréciation de cette version HD.
Note Image : Non noté. Voir critique image ci-dessus.
Son :
Dans l’ensemble, le rendu sonore est réussi et offre deux versions sonores réussies malgré quelques saturations dans les aigus.
- La version anglaise Dual Mono Dts-HD Master Audio : Une version anglaise équilibrée entre les voix et l’ambiance sonore, l’un ne prenant jamais le pas sur l’autre parvenant à créer une atmosphère angoissante qui sied à merveille à l’oeuvre.
- La version française Dual Mono Dts-HD Master Audio : La version française s’en sort plutôt bien avec des doublages d’origine qui font leur effet et parviennent à conserver l’esprit de l’oeuvre. Cependant, comme souvent, les voix prennent le dessus sur l’ambiance sonore ne permettant pas une aussi bonne pénétration dans l’atmosphère de l’oeuvre de Terence Fisher.
Note Son : 3,5/5
Suppléments :
Enfin, ESC pour cette nouvelle sortie dans sa collection British Terrors propose pas moins de quatre suppléments et un livret de 16 pages écrit par Marc Toullec. Le tout inclus dans un mediabook particulièrement soigné à la manière des autres sorties de la collection. Le visuel glacé fait ressortir avec merveille le visage bipartite de Jekyll.
- Le livret de 16 pages par Marc Toullec : Marc Toullec revient en cinq parties sur cette oeuvre sous-estimée de la Hammer. Il va nous apprendre de nombreuses anecdotes sur le lancement de ce nouveau projet d’adaptation des écrits de Stevenson, après l’essai comique décrié The Ugly Duckling en 1959. Puis il nous parle de la volonté de Michael Carreras de remettre sur pied le mythe de Jekyll avec au volant un pilier de la Hammer : Terence Fisher. En partant de ce postulat, le livret reviendra sur le casting dont la présence de Christopher Lee, les raisons d’abandonner la bête de Mister Hyde au profit d’un gentleman, les restrictions financières du tournage, les retards pris par la production et enfin la réception du film par le grand public ainsi que son classement X, interdisant strictement le film aux mineurs. Un document essentiel pour permettre une meilleure appréciation du film et une occasion de revisionner l’oeuvre avec tant de détails et d’anecdotes permettant une appréciation totale du film. Il ne nous reste plus qu’à vous souhaiter bonne lecture et bon film !
- Les quatre suppléments inclus dans l’édition Blu-ray :
- Présentation de la Hammer par Nicolas Stanzick : Le journaliste et spécialiste de la Hammer revient sur les débuts du studio dans les années 30 jusqu’à ses dernières heures. Il nous parle du tournant décisif du studio à la sortie de la seconde guerre mondiale, qui va amener à force de tournages un véritable succès et engouement pour le cinéma fantastique à partir de 1950. Il aborde les différents sous-genres du studio qu’il s’agisse d’horreur, d’oeuvre gothique, de science-fiction mais également du cinéma de monstre. Stanzick dresse de la sorte un panel des acteurs, dont Christopher Lee, mais également les réalisateurs, dont Terence Fisher, récurrents du studio. Un supplément extraordinaire qui parvient en peu de temps à synthétiser l’esprit de la Hammer en parlant des accords avec Universal, les manières de filmer, l’influence du gothique, la société victorienne, les perspectives politique, l’influence internationale jusqu’au cinéma de Mario Bava et Jess Franco ou encore les différentes suites et variations des classiques du cinéma fantastique. Il s’agit certainement du contenu le plus spectaculaire sur la Hammer qu’ESC nous délivre. Nous ne pouvons que les féliciter et applaudir Nicolas Stanzick pour une telle proposition.
- Mythologie du Docteur Jekyll Et Mister Hyde par Nicolas Stanzick : Nicolas Stanzick revient sur la fin des années 50 et la volonté de revisiter les œuvres des années 30 d’Universal. On apprend les raisons de l’adaptation de Docteur Jekyll et Mister Hyde, la volonté de concevoir deux œuvres en parallèle avec la comédie The Ugly Duckling et Les Deux Visages Du Docteur Jekyll. Il explique les raisons et conditions de création du film de Terence Fisher et nous éclaire sur les différentes rencontres entre les personnalités à l’origine de l’oeuvre. Il va tout au long du supplément analyser l’oeuvre de 1960 en la mettant en parallèle avec une grande partie des adaptations de l’histoire de Stevenson. Nicolas Stanzick offre de nouveau un supplément passionnant avec cette entrevue.
- Docteur Terence Et Mister Fisher par Gilles Penso : Le réalisateur et journaliste aborde la carrière de Terence Fisher et la dimension schizophrénique des personnages présents dans la filmographie du réalisateur. Gilles Penso prend le temps de disserter sur les films et leurs caractéristiques qu’il s’agisse de l’usage du technicolor, du choix des acteurs, des réécritures du scénario par le cinéaste, la volonté d’un Mister Hyde séduisant, le maquillage des acteurs, l’analyse de personnages complexes mais également le croisement des mythes avec celui de Dorian Gray.
- Analyse du film par Noël Simsolo : Une analyse pertinente par Noël Simsolo qui après un premier visionnage de l’oeuvre semble être un document inévitable pour vouloir se relancer dans cette tragédie horrifique qu’est le film de Terence Fisher et l’appréhender sous de nombreux angles nouveaux. On ne peut vous en dire plus, vous laissant la surprise de la découverte.
ESC signe ici un mediabook fascinant qui ne cesse de nous documenter, intéresser et intrigue sur la Hammer, Terence Fisher ainsi que le mythe de Jekyll. Un objet d’une grande valeur qui, une fois, cette histoire de format d’image corrigé aura une place d’incontournable dans la collection British Terrors de l’éditeur français.
Note Suppléments : 4,5/5