Synopsis : En 1939,à Dresde , un jeune garçon, Kurt Barnert, découvre avec sa tante une exposition de tableaux «dégénérés». Sa tante, souffrant de schizophrénie, sera internée puis assassinée par les Nazis. Kurt, voulant devenir peintre, apprend le réalisme socialiste en RDA, avant de passer en RFA.
L’avis de Quentin :
Florian Henckel Von Donnersmarck revient en Allemagne après son échappée hollywoodienne, The Tourist, en demi-teinte avec L’Oeuvre Sans Auteur. Douze après avoir décroché l’oscar du meilleur film étranger pour La Vie Des Autres, film revenant sur l’Allemagne divisé suivant un couple ayant été mis sur écoute par le Ministère de la Culture de L’Allemagne de L’Est. Avec L’Oeuvre Sans Auteur, le réalisateur revient sur l’histoire de l’Allemagne et dépasse cet instant figé par son premier film qui décrivait le pays à un instant précis. Il se lance désormais dans une tâche bien plus importante et complexe peindre l’Allemagne de 1937 jusqu’aux années 60. Le cinéaste allemand propose de suivre la vie de Gehrard Richter, de sa petite enfance jusqu’au lancement de sa carrière de peintre.
Dans cette fresque que nous raconte Von Donnersmarck, on ne cesse de penser à Rainer Werner Fassbinder ou encore la saga cinématographique Heimat. Il marie à merveille la petite et la grande histoire. Il nous donne l’histoire de toute une nation, ses failles, ses craintes, sa haine, son pardon au travers d’un facteur individuel, la création d’un artiste, le parcours d’un homme au travers d’une histoire d’amour, d’une relation embrassant à merveille le champ du romanesque.
Face à la tâche complexe de réaliser une telle oeuvre, le réalisateur s’entoure, certainement, de la plus belle équipe d’acteur que l’on ait pu voir depuis des années. Tout d’abord, il signe le grand retour de Sebastian Koch, en médecin nazi, ne cessant de faire des pirouettes pour continuer, malgré les changements de régimes, à disposer des plus grands avantages de la société. Il convient à merveille et donne tant de conviction à son rôle, qu’à la moindre de ses apparitions, nous nous retrouvons pétrifiés, terrorisés. Néanmoins, il n’est pas le seul à faire briller le film. On découvre de cette manière un acteur au don incroyable : Tom Schilling. Ce dernier parvient à totalement nous porter dans les moindres séquences du film. Une manière de jouer simple, il n’en fait jamais trop et joue sur les nuances, les petits détails, une gestuelle épurée pour nous emporter de manière prodigieuse dans ce récit de plus de 3 heures. Paula Beer, interprétant la compagne de Tom Schilling et la fille de Sebastian Koch, parvient à jouer avec une grande justesse, ce personnage parvenant à force de cloche pied à survivre à cet étau se refermant autour d’elle, ce bras de fer entre son mari aimant et son père sadique, impitoyable. Enfin, nous ne pouvons que nous incliner vers Saskia Rosendhal, qui irradie le film malgré sa courte présence, laissant planer son fantôme durant l’intégralité du film. L’actrice découverte dans Lore est une véritable révélation. Elle offre un portrait de femme tiraillé entre ses convictions politiques et la propagande nazie, cette dernière ne parvenant plus à penser, à raisonner tant le poids de la dictature est fort.
Les portraits dressés par le cinéaste sont merveilleusement écrits. Ils permettent de montrer les métamorphoses des personnes, leur capacité à s’adapter à l’inadaptable de la seconde Guerre Mondiale à l’Allemagne de l’Est et le régime communiste tout en passant par la liberté que pouvait offrir humainement et culturellement l’Allemagne de l’Ouest. Là où l’on pourrait ainsi penser la reconversion d’un dirigeant nazi assez complexe sous le régime communiste, il n’est rien. Les dictatures qu’elles soient d’extrême droite ou bien d’extrême gauche se ressemblent dans leur gestion étatique, dans leur assise des pleins pouvoirs.
Von Donnersmarck, nous donne à voir durant la première partie du film les mutations de la ville de Dresde, de l’avant guerre jusqu’à la fin des années 50. Il aborde de la sorte le sort de la population allemande, et débute par les premières étapes d’éradication de la population selon certains critères, relevant ici du caractère mental.
C’est d’ailleurs la force du film, sa capacité à nous montrer une frange de la population allemande durant la Seconde Guerre Mondiale qui a souvent été occultée dans l’histoire, dans l’art et tout particulièrement au cinéma. On y perçoit un peuple opprimé vivant les prémices du processus d’extermination qui sera étendu par la suite au reste de l’Europe.
Le cinéaste nous guide également à travers l’histoire allemande et l’art, on y voit le traitement de l’art moderne comme art dégénéré, on peut constater le rejet total de l’expression des sens, des sentiments et surtout de l’inconscient, facteur essentiel voir primaire de l’appréciation de cet art. Puis, un changement radical de paradigme dès l’entrée en Allemagne de l’Ouest, ventant les bienfaits de cet art réhabilité. Une pratique permettant à de nombreux individus de se libérer de l’ombre de la guerre. Il donne à voir la qualité extrasensoriel dont fait preuve l’artiste, cette manière de voir au-delà du monde sensible, cette façon d’atteindre le sacré, le beau, l’abject, ou le plus silencieux des secrets.
Enfin, ce récit romanesque fascinant et sensible qui nous est délivré ne serait pas aussi majestueux sans le travail sur mesure de Max Richter, compositeur émérite, sachant toujours trouver le cœur de l’oeuvre pour la magnifier, la transcender. On ne peut de cette manière que s’incliner une fois de plus face à un tel accompagnement musical.
L’Oeuvre Sans Auteur est l’un des plus beaux films qui nous aient été donné de voir depuis ces dernières années. Il emprunte de la sorte une démarche classique pour nous conter avec finesse et audace les vies malmenées, détruites par la guerre ainsi que ses retombées sur les générations l’ayant succédé. Une histoire de l’art au travers trois décennies d’instabilités allemandes, qui, une fois découverte nous semble tout simplement indispensable que cela soit pour le cinéma ou bien pour mieux comprendre la reconstruction d’un pays en ruines. Florian Henckel Von Donnersmarck après plusieurs années de silence, s’impose avec ce nouveau film, comme un cinéaste incontournable dans le paysage du septième art.