Synopsis : Tout un film tramé sur un seul mot : « Tamaran ! » La première fois qu’on l’entend, c’est au téléphone, le père d’Hinako pestant contre un typhon : « Tamaran ! », « insupportable ! ». La deuxième fois, c’est dans le titre d’un livre que tend le libraire à l’étudiante en quête d’ouvrages sur les « villes natales » : Tamaran Hill. L’adjectif est devenu nom propre – un nom très suggestif et profond », ajoute le libraire. Sur le quai puis dans le train qui la ramène chez elle, Hinako lit. Immédiatement, la lecture se met à réfléchir sa vie, les phrases l’entraînent sur le chemin de ses origines, du passé familial et de ses douleurs.
L’avis de Quentin :
Tamaran Hill est le nouveau film de Tadasuke Kotani, présenté au FID marseille en première mondiale, sélectionné en compétition officielle dans la catégorie film international. Le réalisateur revient avec cette proposition sur la rencontre de la littérature et du septième art. Il prend pour point de départ l’oeuvre littéraire Tamaran Hill, contant l’histoire d’un village et de son étymologie.
L’oeuvre de Kotani dresse le tableau d’une société en quête d’identité, écrasée par le monde du travail, ne connaissant plus la véritable valeur de la vie, de l’histoire, de leur famille. Le cinéaste offre le portrait d’une jeune femme à la fin de ses études en passe d’accéder à son premier emploi. On lui inculque de cette manière la suprématie du profit. Cette donne se devant même de supplanter la notion de vérité.
Suite à un entretien préparatoire pour la création d’un curriculum vitae, l’enseignant lui demande d’oublier son existence, et de se créer une identité nouvelle. Une vie inventée de toute pièce qui saura plaire aux employeurs futurs. C’est en suivant cette démarche que l’héroïne du récit va inventer son passé autour d’un mot : « Tamaran ». L’expression ne se traduit pas dans la langue de Molière. Le père du personnage principal utilise de manière très fréquente ce mot, piste d’ouverture d’un film traversant l’histoire du Japon, de sa société et du mode de vie nippon. Le portrait d’une société impitoyable et compétitrice nous est donné à voir.
Tamaran est un mot polysémique qui peut s’employer dans différentes situations. Il se rapproche de notre utilisation du mot « putain », en bien moins vulgaire. Néanmoins, il est utilisé lors de situations similaires pour insister sur le caractère insupportable des choses, impossible, réussi de peu ou encore en témoignage de frustration.
L’oeuvre revient sur l’origine des mots, leur force ainsi que leur enracinement dans la culture du pays. On y apprend la conception de la langue et on y entrevoit la civilisation nippone sous un nouvel œil.
Kotani alterne les supports dans son parti pris visuel entre un noir et blanc, renfermant la morosité, la mélancolie d’un Japon croulant sous la fatigue et le désespoir, et des séquences sous formes de dessins animés assez épurés, traduisant la métamorphose de l’héroïne tout au long de son voyage initiatique.
Ce parcours identificatoire, cherchant à concevoir une nouvelle vie, va lui permettre en réalité de découvrir d’où elle vient, qu’elles sont ses forces et la formidable histoire d’une famille ne prenant plus le temps pour exister. Le film dépeint une existence familiale éclatée, écrasée, inexistante.
De cette manière le réalisateur pointe du doigt la difficulté de se concevoir, de se confronter aux autres, d’apprendre de nos échanges, de s’identifier à des modèles dans une époque prônant l’individualisme.
Cependanr, il ne faut pas croire que Tamaran Hill est un film fataliste, pessimiste. Cela serait passer à côté de l’aspect poétique du long-métrage. Kotani ne cesse de donner des rayons de soleil à sa création, des possibilités de dépasser cet univers morne, pour accéder à la beauté primaire, celle de la nature. De la sorte, le film rappelle l’importance du shintoïsme, pour transcendance du quotidien. On assiste ainsi à de véritables séquences de grâce.
Tamaran Hill est une véritable réussite qui rappelle l’importance de l’histoire, de la langue, ainsi que des besoins sentimentaux primaires qu’exprime l’être humain. Kotani présente une nation piégée, qui se doit de toute urgence échapper au mécanisme pervers du modèle individualiste, et réinventer son rapport au monde du travail. Il s’agit de l’oeuvre la plus touchante, vraie, subtile et délicate que nous ait délivré le FID. Il ne reste plus qu’à espérer que le film trouvera un chemin vers les salles obscures, car Tamaran Hill est un film utile, dont on ne peut se passer.